« Interprète » au FRAC d’île de France

L’exposition  « Interprète » au FRAC d’île-de-France se veut être la présentation d’œuvres traitant toutes du thème de l’interprétation. Premier volet d’un triptyque d’expositions, celle-ci est plutôt orientée sur l’aspect musical : la manière d’interpréter une chanson, l’interprétation donnée à certaines paroles ou la reconversion d’un instrument en objet d’art…

 

The Flut of Sub, Zin Taylor, 2007

The Flute of Sub, Zin Taylor, 2007

La première salle est une pièce sombre où une flûte tordue est posée sur un socle et mise sous verre ; plus loin dans la même salle, une vidéo de dix minutes est diffusée. Elle raconte l’histoire de cette flûte, The Flute of Sub, en commençant par sa conception, puis par le son qu’elle émet, pour arriver à son statut d’œuvre d’art. C’est une balade en forêt, où l’on suit les traces d’un lièvre jusqu’à son terrier afin de nous faire comprendre que la flûte interprète un son souterrain, sauvage, en référence aux terriers que l’on peut trouver en forêt. De par sa courte durée, la vidéo se regarde facilement, sans que l’on en soit lassé. Le côté poétique, transmis par la voix-off faisant instance de conteur, repose nos esprits et éveille notre imaginaire.

Regaining a Degree of Control, Haroon Mirza, 2010

Regaining a Degree of Control, Haroon Mirza, 2010

L’apaisement dont il était question dans cette salle ne se retrouve pas dans l’installation suivante, conçue par Haroon Mirza : Regaining a Degree of Control (2010). On se retrouve alors dans une ambiance tamisée où toutes sortes de bruits sont enclenchés par des mécanismes et s’enchainent automatiquement. Un stroboscope aveuglant empêche de regarder les détails de l’œuvre pendant quelques minutes. Il faut attendre qu’il s’arrête pour pouvoir en faire le tour. L’installation a l’air complexe et désorganisée, on ne voit que des tas de choses entassées dont en voici une liste non-exhaustive : une platine et un vinyle lu à l’envers (avec le bras passant en dessous du disque et non dessus), une vidéo d’un homme faisant des locks (des pas de danse de breakdance) que l’on peut regarder à travers le trou d’une sorte d’étagère abîmée, un vinyle du groupe Joy Division tournant sur la partie sans son du disque, donc sur la fin de la face, une autre vidéo de mixage de son diffusée via un lecteur DVD portable, des enceintes mises à l’envers et à l’endroit, une lampe, des fils courant partout,  une radio, et le stroboscope. Il est difficile de savoir par quoi commencer, donc mieux vaut démarrer avec ce qu’il y a de plus voyant pour faire le lien entre tous ces éléments : le spot lumineux. Il est inscrit à l’entrée que cette salle est déconseillée aux épileptiques, et cet effet de lumière est caractéristique des déclencheurs de crises. Il se trouve que Ian Curtis, membre du groupe Joy Division a écrit une chanson, She’s lost control, sur cette maladie après avoir été témoin de la crise d’une jeune fille, il en sera plus tard lui-même atteint. Ces informations amènent à penser que les vidéos tournant en boucle, les bruits, les sons et la musique se confondant, sont installés pour instaurer une tension palpable, c’est-à-dire une tension physique : le corps et l’esprit sont troublés par tous ces éléments, ils ont un réel impact sur le visiteur. L’artiste essaye alors de nous faire expérimenter un état de trans, artistique ici, mais qui est également l’état dans lequel se trouve les épileptiques.

The Moon Shall Never Take my Voice, Damir Ocko, 2010

The Moon Shall Never Take my Voice, Damir Ocko, 2010

Nous nous retrouvons ensuite dans un couloir où des partitions sont encadrées, ce sont celles qui correspondent à la musique de la vidéo The Moon Shall Never Take my Voice de Damir Ocko se trouvant dans l’espace suivant. Je m’assieds et regarde donc une pièce en chant signe (qui est la forme poétique de la langue des signes). Le but n’est bien entendu pas de tout comprendre, mais de se laisser imprégner par la gestuelle et les expressions de l’artiste présente sur scène. La langue des signes étant une langue du silence, il est intéressant de noter que de la musique accompagne la performance. Les titres des actes nous aiguillent tout de même sur les thèmes exploités : un enterrement, John Cage et un astronaute. Ces trois références sont toutes liées à une expérience du silence et au pouvoir qui s’en dégage. Damir Ocko a voulu le retranscrire et l’expérimenter avec cette pièce de théâtre qui bien que quasi-silencieuse, arrive à en dire long sur cette expérience du silence vécue à travers les écrits des autres.

The Center and the Eyes, Lili Reynaud Dewar, 2006

The Center and the Eyes, Lili Reynaud Dewar, 2006

La dernière pièce est riche en informations et remplie de références à des personnages ou faits historiques dont tout le monde n’a pas connaissance. L’on retrouve surtout cette impression avec le travail de Lili Reynaud Dewar qui réalise des sortes de posters remplis de textes en anglais assez engagés politiquement. La barrière de la langue est un premier obstacle, la prolifération des textes allant du sol au plafond en est une autre, et la multiplicité des références en est une dernière. De ce fait, son travail ne s’adresse alors qu’à ceux qui ont les clés intellectuelles, ce qui est dommage car bien que ses œuvres soient complexes, elles n’en restent pas moins fascinantes et ont un côté hypnotique de par l’abondance des textes affichés.

Au final, il ne faut pas chercher à comprendre à tout prix le sens de chaque œuvre, l’intention de chaque artiste ; il s’agit plutôt de laisser libre court à notre imagination pour interpréter les œuvres et l’exposition en général selon nos inspirations du moment. Ce qui m’amène à ce raisonnement, c’est la fin de l’exposition avec la performance de Marie Cool Fabio Balducci que je conçois vraiment comme une conclusion. Une femme est assise au fond de la dernière salle devant une table ordinaire et fait glisser des feuilles A4 blanches les unes vers les autres. Elles se rencontrent, se confrontent, se plient, s’assemblent, se collent, se détachent : elles interagissent entre elles. Ces feuilles sont comme nos esprits, vierges au début, puis cornés par les affrontements que nous avons pu avoir avec d’autres, et c’est ce qui forge nos caractères ou nos personnalités. Si les feuilles sont blanches c’est pour qu’on y projette nos interprétations, qui sont sûrement différentes d’une personne à l’autre. L’exposition « Interprète » est alors une question de point de vue, ce qui fait également écho à ce qui se ressent en ce moment dans l’art contemporain, où l’on cherche régulièrement à tout comprendre de peur que ce qu’on pourrait déduire des œuvres ne soit pas en accord avec l’opinion générale.

Hélène Mondet

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