Entretien avec Emmanuelle Blanc

Matière d'architecture, Emmanuelle Blanc

Matière d’architecture, Emmanuelle Blanc

 

Hélène Mondet : Vous avez fait des études d’architecture, comment en êtes-vous arrivée à la photographie ?

Emmanuelle Blanc : Je faisais des photos avant et pendant mes études puisque je suis allée une année à Québec et j’avais pris une option photographie, cette passion était déjà présente avant l’architecture. J’ai même failli ne pas passer mon diplôme car je voulais faire de la photo. Je l’ai tout de même eu et c’est une très bonne chose.

H. M. : Vous êtes originaire de la région Rhône-Alpes et l’on peut lire sur votre site internet que les montagnes sont pour vous le « premier modèle architectural observé par l’homme ». Vos photos sont en effet clairement influencées par ces paysages, est-ce que ces paysages manquent à votre pratique artistique en vivant en région parisienne ?

E. B. : Oui, j’ai commencé à faire des photos de montagne il y a trois ans dans le cadre d’un projet spécifique, mais sinon, je n’ai jamais osé de peur de faire des cartes postales. Les montagnes sont très difficiles à photographier. C’est tellement grand, tellement époustouflant que je ne m’étais jamais autorisée à les prendre.

En 2011, j’ai commencé à faire partie d’une aventure qui s’appelle aujourd’hui France(s) territoire liquide, qui est inspirée de la Mission photographique de la DATAR, en se disant qu’on allait photographier le territoire français en réfléchissant à ce que voulait dire pour nous le paysage.  Je me suis alors rapprochée de la peinture classique et romantique pour ce que ça transmet. Il n’y a plus de paysages naturels puisque tous ont des traces humaines ; j’ai donc cherché les paysages les plus sauvages possibles, ce qui m’a amené vers la montagne. Les éléments humains sont toujours trop petits pour les remettre à son échelle, même si finalement ils sont toujours trop gros dans l’univers. C’est ainsi que je me suis mise à photographier ce paysage particulier.

On est suivi sur ce projet par un commissaire d’exposition, Paul Wombell, qui était le directeur de la Photographer’s Gallery à Londres pendant 12 ans (l’équivalent du Jeu de Paume britannique). Il a trouvé que la façon dont je photographiais la montagne et le volume que j’y mettais était spéciale, il n’avait pratiquement jamais vu cette manière de les concevoir parce qu’elles devenaient très architecturales ; c’est ce qui m’a désinhibée et j’ai continué à travailler sur ce sujet. Les deux que je montre dans le cadre du salon sont le début d’une série sur l’opposition entre la force, la puissance de la montagne et les éléments comme la neige ou le brouillard qui donnent quelque chose de fragile.

H. M. : Vous êtes donc toujours en voyage pour photographier la montagne ?

E. B. : J’ai deux enfants donc je voyage beaucoup moins qu’avant. Mais cet hiver je suis partie une semaine, j’essaye de me donner ces temps de liberté. J’aimerais bien avoir des résidences pour que ça soit un peu plus confortable, parce qu’en général j’auto-finance mes projets, ce qui est un peu lent. Mais ce n’est pas très grave, j’aime prendre le temps.

Alpes, Emmanuelle Blanc

Alpes, Emmanuelle Blanc

H. M. : Vos photos sont majoritairement dans les tons pastels et les couleurs froides, ce qui les rend vraiment contemplatives. Voyez-vous la photographie un moyen de figer l’instant ? Ou plutôt comme un témoin du passé ?

E. B. : Je me rends compte petit à petit que ce sont des témoignages du passé. Comme je photographie des bâtiments, j’ai l’impression qu’ils seront toujours là, mais pas du tout. Ils disparaissent au bout d’un moment, ou bien le soleil n’est plus pareil, il y a toujours un changement. Je me rends compte après coup que j’ai montré quelque chose du passé. Pour ce qui est de figer l’instant, oui, parce que c’est toujours un moment décisif, même si c’est de l’architecture. Par contre pour le côté contemplatif, mes photos ne sont pas si froides, même si ce sont des tons bleus, la lumière est souvent assez jaune et chaude, sauf dans les photos de neige biensûr.

Il y a une notion que j’aime beaucoup et qui de façon inconsciente a toujours été présente : en architecture au Japon, plutôt que de concevoir un bâtiment par sa forme, on le conçoit par l’espace et les circulations, c’est le vide qu’il y a entre les choses qui va générer l’architecture. Je ne sais pas pourquoi, mais quand j’étais en architecture ça m’intéressait beaucoup. C’est ça aussi que je montre en photo, quand je prends un cliché, je réfléchis tout le temps à qu’est ce qu’il y a entre les plans, dans les vides, pour tout. Il y a eu une expo sur un peintre japonais au musée Guimet il n’y a pas très longtemps, il disait que les gens devaient rentrer ses tableaux pour être vraiment dans le paysage montré. Sôseki, le poète japonais, m’intéresse aussi. Il faisait des études et avait enseigné en Europe à la fin du 19e siècle, il était retourné au Japon ensuite, donc il avait connu les deux cultures. Il disait que nous, en Europe, nous étions plus dans le romantisme, la figure, où il fallait qu’il y ait des personnages ou des émotions, alors qu’en Asie on était plus contemplatif, des paysages dans lesquels on pouvait entrer. Je suis plus sensible à ce concept, au contemplatif, au paysage dans lequel on va rentrer et qu’on va sentir.

Selon Soseki, Emmanuelle Blanc

Selon Sôseki, Emmanuelle Blanc

H. M. : La figure humaine semble absente dans votre travail, pourtant, l’Homme est bien le concepteur des éléments architecturaux présents sur vos photos, est-il simplement relayé au second plan ou au contraire, est-il mis en avant grâce à ces constructions ?

E. B. : Quand je fais des photos d’architecture, ça peut être à l’architecte que je pense, mais c’est aussi aux usagers. Le fait qu’ils ne soient pas là c’est pour recentrer le sujet, dire que le sujet est l’espace mais qu’il y a des traces de leurs passages. Dès qu’un personnage rentre dans l’espace, le sujet c’est lui, et l’espace disparaît, même si le personnage est petit, il est difficile de ne pas le voir. C’est comme pour Gabriele Basilico qui était un architecte et un photographe, il ne voulait vraiment personne car son sujet était l’espace uniquement. Dans ma vidéo (La Visite) c’est l’inverse, c’est une personne mais en même temps dans cette toute petite fiction, la maison est aussi personnage, il y a donc deux personnages dans cette histoire.

H. M. : La danseuse a un aspect très fantomatique ce qui accentue aussi la présence de la maison.

E. B. : Oui, il n’y a pas plus d’attention portée à la personne qu’à la maison.

H. M. : Dans ce court-métrage, vous mettez en avant la danse alors que vous semblez davantage vous intéresser aux formes immobiles dans vos photos. Était-ce un moyen de marquer une rupture entre ces deux médiums et l’utilisation que vous en avez faites ?

E. B. : Ce film est un peu un autoportrait, parce que j’ai été danseuse longtemps et que cette maison est extrêmement sensuelle. Je voulais un corps qui ait un vrai rapport physique avec la maison, d’où le choix d’une danseuse. Et puis cet architecte Alvar Aalto, est un de mes grands maîtres, j’avais envie d’être un petit peu irrévérencieuse, de passer à autre chose. Je l’admire toujours énormément, mais je me le suis approprié d’une autre façon. Ça raconte bien ce que j’ai pu ressentir dans cet endroit qui est vraiment très beau et que je conseille d’aller visiter, c’est le seul bâtiment qu’il a construit en France à Bazoches-sur-Guyonne, après Versailles.

H. M. : Votre participation au salon de Montrouge est-elle significative pour vous ?

E. B. : Ça me donne une caution, ça me permet de rencontrer beaucoup de monde et je pense que ça va débloquer des choses. Il y a des galeristes avec qui j’avais envie de travailler qui sont venus, ça me fait avancer.

H. M. : Vous attendiez-vous à ces lauréats ?

E. B. : Pour être franche je n’ai pas eu le temps de tout bien regarder, mais il y a certains travaux que j’aurais récompensés. Par exemple, je suis vraiment en accord avec la vidéo de Qingmei Yao, je trouve qu’elle mérite largement son prix, après je ne veux pas trop me prononcer car je n’ai pas eu le temps de tout lire et d’entrer dans chaque univers.

Des visiteurs devant le stand d'Emmanuelle Blanc au salon de Montrouge, photographie d'Emmanuelle Blanc

Des visiteurs devant le stand d’Emmanuelle Blanc au salon de Montrouge, photographie d’Emmanuelle Blanc

H. M. : Dans une société où les images ont une place prépondérante via nos moyens de communications actuels tels qu’Instagram, comment arrive-t-on à s’en sortir en étant photographe ?

E. B. : J’ai pris le parti d’être lente et je travaille en argentique, c’est une façon de se démarquer. Mais ce n’est pas évident, il faut beaucoup travailler, être exigeant, ne pas faire les choses en fonction des goûts des autres, mais vraiment continuer sur la même ligne de conduite. Ça fait quinze ans que j’ai eu mon diplôme d’architecture et que je fais des photos. Au début, je montrais mon travail à des  gens qui ne le comprenait pas, pourtant je n’ai pas l’impression de faire des choses très rock’n’roll, mais ce n’était pas dans une mode. Donc c’est long d’arriver à se faire une place et puis même pour soi, pour comprendre la cohérence qu’il y a dans tout ce qu’on est en train de faire. Avant, j’avais l’impression de partir dans tous les sens, finalement non, mais tout ce processus est long à se mettre en place.

Crédits photographiques : Emmanuelle Blanc, http://www.emmanuelleblanc.com/

Hélène Mondet

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