Entretien avec Hugo Verlinde, artiste numérique

Œuvre Boréal, 2010, Installation générative et interactive, ordinateur, écran plasma – Coproduction Art 3000 / Le Cube

Projet Boréal au centre hospitalier d’Annecy, 2010 – En partenariat avec l’association Art dans la Cité.

Image de prévisualisation YouTube

Marta Pushevska : Présentez-vous et parlez-moi de votre œuvre Boréal.

Hugo Verlinde : Je suis un artiste numérique. Depuis 2008 je suis chercheur associé au Cube,  structure dédiée à la création numérique. J’ai développé un certain nombre de pièces numériques, principalement des œuvres génératives mais également des œuvres comportementales. Une œuvre comportementale est à la fois générative et interactive. Boréal demeure ma première pièce d’un tel type. Juste avant son développement j’ai eu la chance de rencontrer l’association  Art dans la cité, qui s’investit dans le cadre hospitalier pour présenter de l’art contemporain dans les hôpitaux.

L’oeuvre Boréal a été développée en partie au Cube, et en partie avec l’association  Art dans la Cité. Elle est composée d’un ordinateur et d’un écran plasma avec un capteur de mouvements. Ce qui est présenté sur l’écran c’est un soleil caché. Ce que le public voit c’est le hors champ de la vie d’un soleil. Il y a une activité solaire qui se dégage de l’écran et plusieurs étapes dans un ciel étoilé. Quand il y a beaucoup d’agitation dans la pièce, l’œuvre interagit avec les mouvements du spectateur et c’est à ce moment-là qu’il peut voir un orage magnétique sans couleur se déverser sur l’écran. Cependant, dans les moments moins agités, l’œuvre délivre autre chose, ce que j’appelle l’état boréal. Ce sont davantage des caresses célestes, des vagues chromatiques qui tombent du ciel et qui rentrent dans l’espace. C’est à ce moment précis que le spectateur se trouve dans une relation intime et personnelle avec la pièce. Le soleil est présent en arrière plan et le spectateur tisse une relation entre lui et ce soleil caché mais vivant.

Pouvez-vous parler de votre implication dans le projet Boréal au centre hospitalier d’Annecy ?

Ce que nous recherchions avec l’association Art dans la Cité ce n’était pas de faire de l’art thérapie mais plutôt d’inviter les œuvres contemporaines et les artistes dans le cadre hospitalier. L’idée d’exposer des œuvres numériques dans un hôpital a beaucoup intéressé les représentants de l’association puisque ce sont des pièces qui ont la capacité de tisser une relation entre l’oeuvre et son environnement. Dans ce cas précis ce sont les patients qui forment l’environnement. Donc, la question que je me suis posée c’était de savoir comment créer des œuvres qui allaient tisser une relation subtile entre les patients, ou encore, entre les patients et l’art numérique ? C’était le cadre initial du projet. Nous avons eu assez vite des propositions pour des lieux que nous pourrions investir. Une proposition en particulier a attiré mon attention, notamment, exposer dans des chambres de réanimation. Ce concept m’a beaucoup intéressé au niveau symbolique car les chambres de réanimation sont des lieux où l’on cherche à ramener une personne d’un état inconscient, quelque fois même, d’un état inconscient très lointain. Nous pouvons même parler d’un état proche de la mort vers, davantage, de conscience et de vie. A ce moment précis je travaillais sur des oeuvres génératives et des images en temps réel, dont le contenu explore des questions telles que : A partir de quel moment pouvons-nous dire que ces œuvres ont une vie autonome ? Ou encore : A partir de quel moment pouvons-nous réfléchir sur la relation qu’une œuvre peut entretenir avec son environnement ? En d’autres mots, je voulais que ces œuvres numériques puissent exister par elles-mêmes et soient conscientes de leur environnement. J’ai trouvé qu’il y avait une conjonction d’attentes et de recherches similaires entre, à la fois, les problématiques que je me pose en tant qu’artiste, les médecins qui cherchent à ramener le patient de la mort à la vie et les envies d’Art dans la Cité de créer cette relation féconde entre patient et œuvre d’art.

Quelles sont les risques liés à ce projet expérimental ?

 Le chef de service de réanimation, le docteur Michel Sirodot, était très intéressé à l’idée d’accueillir une œuvre qui puisse répondre et être en relation avec le patient. Il y avait une envie partagée pour que ce projet puisse exister. Nous avons donc initié une première réunion avec le personnel hospitalier pour bien présenter la philosophie du projet. La nature des questions auxquelles j’ai été confronté lors de cette réunion était peu habituelle pour moi, en tant qu’artiste. Ce n’étaient pas des questions de caractère esthétique, mais d’éthique : Est-ce que cette œuvre pouvait faire peur ? Je n’ai jamais été confronté à cette question. Est-ce que cette œuvre pouvait faire du mal ? Par conséquent, il a fallut réfléchir, méditer et penser aux problématiques liées à la présentation de l’œuvre et son appréhension par une personne qui sort du coma. Il fallait que l’œuvre revienne très progressivement au patient sans qu’elle soit une agression pour lui, sans qu’elle lui fasse peur, qu’elle le trouble ou dérange. Ainsi, pour le premier état de Boréal, nous avons développé ce que j’appelle un « ciel étoilé », un ciel qui bouge à peine. Si l’œuvre n’est pas sollicitée, elle est dans un état très calme. Nous voyons des points de lumière sur fond noir, des points de lumière dans l’espace. Lors de cette étape le patient découvre la pièce et n’entre pas dans une relation active avec elle. Il peut avoir l’impression de voir une photographie ou peut-être une vidéo, car, s’il est un peu plus attentif, il peut, effectivement, apercevoir un mouvement très léger.

Pour résumer, le point de départ de notre réflexion était basée sur l’aspect éthique de l’œuvre : Est-ce que cette œuvre va faire du bien ? Et, Comment faire pour que cette œuvre ne fasse pas du mal ?

Où est la limite entre votre projet et l’art thérapie,  puisque vous dites que l’oeuvre doit faire du bien ?

 La limite entre l’art thérapie et l’art contemporain qui fait du bien est faible. Cependant, les intentions de départ ne sont pas les mêmes. C’est qui est recherché dans l’art thérapie c’est, d’abord, la question de la guérison et du bien-être du patient. Ensuite il faut trouver les moyens par lesquels il peut atteindre cette guérison, que ça soit par la musique, la sonorité, par la couleur ou par le rythme. Dans une démarche d’art contemporain, les artistes se placent d’abord dans la relation à la création d’une œuvre. Ceci dit, l’intention n’est pas du tout la même. En tant qu’artiste numérique qui produit des œuvres génératives et interactives, je me pose la question de savoir quelle est leur relation à l’environnement. Je dirais que les choses sont inversées. Dans l’art thérapie ce qui compte c’est le patient, alors que dans une œuvre numérique tout est centré sur elle, sur son identité, sa relation à l’environnement et son mode d’être. Le fait d’intervenir dans le cadre hospitalier nous positionne au croisement de ces deux problématiques, car nous ne pouvons pas évidemment évincer le patient. C’était très intéressant de discuter avec le personnel de l’hôpital autour de ces questions.  Cet échange a, également, permis de parvenir à un projet collectif. Désormais je me trouvais dans un domaine autre que l’art contemporain, celui de la médecine. Il y eut des allers-retours entre moi en tant qu’artiste et la présentation que j’ai faite de cette pièce, en cours d’élaboration, et puis le personnel médical qui m’a tout de suite mis sur les rails de la vigilance à avoir pour le patient dans sa phase de réveil.

Dans l’art numérique il y a aussi la question de la médiation. Comment et qui s’occupe d’expliquer cette œuvre aux patients, à la famille, etc. ?

Comment expliquer l’oeuvre aux patients ? Pour moi c’est important de ne pas se mettre à côté du lit du patient en lui disant « vous avez vu, c’est une œuvre interactive, si vous bougez le doigt ou la tête il va se passer des choses. » Ceci risque de tuer complètement la relation qui peut se passer dans le temps de la découverte, dans le temps de la vie de la pièce. C’est au patient de découvrir progressivement que la pièce réagit aux mouvements qui se produisent dans l’espace. Par la suite il peut être davantage attentif à son mode de fonctionnement et s’imaginer qu’effectivement il participe activement dans cette oeuvre. Ainsi, nous avons  simplement signifié que c’est une œuvre d’art par un cartel collé indiquant le nom de l’oeuvre. Pour moi cela donne déjà un repère que c’est quelque chose qui est de l’ordre d’un geste artistique. Dans le cas où une réaction négative se produirait entre le patient et l’œuvre, le personnel médical ne doit pas hésiter à l’éteindre ou à la déplacer. La médiation est plutôt importante pour recueillir les témoignages à la fin du séjour du patient sous la forme d’un petit questionnaire.

Comment se passe le suivi technique de cette pièce ? Qui se charge de l’allumer, de l’éteindre car c’est différent d’une peinture ou d’une sculpture ?

 Nous nous sommes  mis d’accord pour que la nuit l’oeuvre ne fonctionne pas, elle est éteinte. C’est l’équipe du matin qui branche l’écran plasma et l’oeuvre fonctionne en boucle grâce à un ordinateur. Ce n’est visible qu’en journée. La question s’est effectivement posée, est-ce que la nuit n’est-ce pas une présence trop envahissante ? Donc elle ne vit que de jour.

Et par rapport à la pérennité de l’oeuvre, sa durée dans le temps, comment conserve t-on ce genre d’art ?

 Pour nous, les artistes numériques, l’ordinateur est vraiment le médium, le moyen dans lequel nous pouvons créer et faire vivre les œuvres. Ainsi, ce que nous livrons, c’est le code source, c’est ce qui permet pour n’importe quel informaticien de recréer un exécutable, de recréer le programme à partir du code. D’ici dix quinze ans, quelque soit les types d’ordinateurs qui existeront, nous serons toujours capables de recréer un programme qui tournera sur les ordinateurs du temps.

Lorsque vous vendez une pièce vous ne proposez pas tout le dispositif, écran, ordinateur, etc ?

Au contraire, je vends la partie informatique et la partie matérielle. Boréal est la seule pièce sur un écran plasma mais j’ai fait d’autres pièces qui sont davantage des projections sur des sculptures. Donc il y a une part matérielle, avec des sculptures en émail et des sculptures en acier. Il y a aussi la partie immatérielle, c’est-à-dire le programme qui est vendu avec un ordinateur avec le code source, ce qui permet de pérenniser l’oeuvre.

 Quelle est la différence entre mettre une œuvre d’art dans son environnement « classique », celui de la galerie,  et en dehors ?

 Cette question concerne particulièrement les œuvres numériques car elles représentent une nouvelle forme d’expression artistique. Sur le plan de la création nous sommes en train d’inventer un langage, une œuvre générative, autonome. Cela ne vas pas de soi. Il y a le rapport de cette œuvre autonome avec son environnement que nous devons prendre en compte. Je produit des pièces sensibles et réceptives à tout ce qui les entoure : la présence ou l’absence des nuages dans le ciel, le changement de la température, la vitesses des voitures sur le boulevard d’à côté, etc. Cette relation à l’environnement est une partie intégrante de la constitution du langage des œuvres numériques et interactives. Pour qu’elle soit possible nous produisons des images qui se développent en temps réel à l’aide de capteurs. Outre l’aspect de la création de l’œuvre, il y a, également, la question sur la perspective de diffusion de cette œuvre. Nous avons déjà exposé lors d’événements d’art numérique, où encore, dans des galeries d’art contemporain. Cependant, comme les œuvres numériques sont dynamiques, vivantes et participatives elles peuvent interagir dans tous les lieux de vie. Il y a une quantité de lieux urbains à investir. Il faut avoir en tant qu’artiste une force de conviction par rapport aux multiples espaces de diffusion et leur capacité de faire vivre l’œuvre. Il faut, également, avoir une force de persuasion car chaque environnement est constitué de ses propres acteurs et situations avec lesquels  nous devons travailler. Ainsi, il convient de penser comment un territoire physique va s’associer avec une vie virtuelle, numérique.

Propos recueillis par Marta Pushevska

Transcription Janvier 2014

Note!!

L’artiste a souhaité de lire l’entretien avant qu’il soit posté sur le web. Je suis toujours en attente de sa validation.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.