« Raw vision », 25 ans d’art brut

Exposition du 18 septembre 2013 au 22 août 2014, la Halle Saint Pierre

Commissaires d’exposition : Martine Lusardy et John Maizels

RV

Du 18 septembre 2013 au 22 août 2014, la Halle Saint Pierre  met à l’honneur un art qui sort des cadres communs de la création artistique pour rejoindre la production d’auteurs longuement considérés comme les « outsiders » de la société. Il s’agit de la plus grande exposition d’Art Brut organisée en France, avec plus de 80 artistes internationaux, modernes et contemporains. L’exposition célèbre les 25 années de la création de la première revue anglaise d’art brut, Raw Vision. Les commissaires de l’exposition, Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint Pierre et John Maizels, fondateur de la revue Raw Vision, ont opté pour une exposition en deux parties avec une sélection d’œuvres d’auteurs non vivants, qui marquent le début du courant, et une autre, présentant l’évolution de l’art brut aujourd’hui.

En franchissant la porte d’entrée de la Halle Saint Pierre, le public se trouve immédiatement confronté à la double identité de l’exposition. L’organisation de l’espace comporte deux parties distinctivement divisées entre elles. Le premier étage ouvre sur une pièce fermée, sombre,  avec plusieurs cimaises qui nous font perdre nos repères. La couleur noire des murs et la lumière tamisée font allusion à un rituel mystique. L’espace acoustique donne une impression de surdité. Par ce choix particulier de scénographie, les deux commissaires présentent les œuvres des précurseurs de l’art brut. Ainsi, des peintures, des dessins et des sculptures faites pour la plupart de matériaux bruts et d’objets de récupération, viennent dresser l’image d’un nouveau style d’art, peu connu à l’époque et souvent pas accepté par ses contemporains. Nous y retrouvons des dessins minutieux de l’autrichien Johann Garber, les poupées magiques du juif Michel Nedjar, ou encore, les peintures apocalyptiques de l’anglais Vonn Ströpp. En bas de chaque oeuvre est posé un cartel qui témoigne de la vie de l’auteur. Il permet, également, de nous rendre compte que l’œuvre devant nous est le fruit de l’imaginaire non pas d’un artiste mais, dans la plupart des cas, d’un malade mental avec des diagnostiques paranoïaques et schizophrènes. Désormais, ce n’est plus une œuvre d’art dans le sens propre du terme qui est donné à voir. C’est autre chose : des fantasmes et des hallucinations, des expériences visionnaires et mystiques qui prennent forme. Nous ne pouvons pas dire que leur production a une intention artistique. Au départ ce sont les délires intérieures de l’auteur qu’il a su traduire par des moyens artistiques : une technique, un support et un sujet.

A cette ambiance obscure s’oppose la luminosité du deuxième étage, où sont exposés les travaux des artistes d’art brut contemporains. La division entre les deux espaces et les deux temporalités est évidente. Quittant le monde machiavélique des créations susceptibles de troubler la conscience, le public se dirige vers le haut, pour se confronter à une autre expérience artistique. Ici, la salle est ouverte, aérée et espacée. Les murs sont peints en blanc et les œuvres baignent dans la lumière naturelle du jour. Les œuvres témoignent d’une aisance dans l’utilisation des nouvelles techniques artistiques et déplacent le sujet vers une culture populaire, voir kitch. Les récits sur les cartels changent. Nous n’avons plus affaire aux personnes qui sont sujet à de graves problèmes de santé mentale. Ce sont plutôt des auteurs qui se professionnalisent dans la sphère artistique, soit par une formation, soit en autodidacte. Parmi les pièces présentées, nous pouvons voir les dessins aux pastels à l’huile de l’américain J.J. Cromer, les peintures chargées de symboles bibliques de l’américain Norbert Kox, considéré comme l’un des chefs de file de l’Art Visionnaire, les sculptures fabriquées à partir de déchets urbains récupérés du pakistanais Nek Chand. Les commissaires Martine Lusardy et John Maizels restent fidèles au sujet de l’exposition qui est de faire découvrir l’art brut dans sa totalité. En revanche, ce que nous voyons dans cette deuxième partie de l’exposition, est l’art brut qui désormais touche de nouvelles interprétations.

 » Raw Vision  » est une exposition faite à partir de la juxtaposition de deux époques et de deux faces d’un même courant : l’art brut à l’état primaire et l’art brut institutionnalisé. Plusieurs interprétations sont alors possibles. Dans un premier temps les auteurs exposent leur délire sur un support artistique. Dans un deuxième temps, des artistes contemporains interprètent ce délire et se l’approprient. Il y a trois acteurs principaux dans cette exposition : ceux qui délirent, ceux qui les suivent et ceux qui rendent leur rencontre réelle – les commissaires. Le public se trouve pris dans un tourbillon où il est amené à se questionner sur cette rencontre et à trouver sa propre vérité. Nous nous permettrons de citer le psychanalyste français Jacques Lacan dans sa phrase célèbre : l’inconscient « délires » est structuré comme un langage « sémantique ou artistique »[1]. Au final, peut-être c’est la vérité du fou qui est le marqueur de l’art brut.

par Marta Pushevska


[1] Interview à Madeleine Chapsal, pour L’Express, en 1957

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