Interventions artistiques qui réintroduisent la nature dans l’espace urbain

De nos jours, à cause du rythme de la vie urbaine la nature occupe presque toujours une place secondaire, en donnant priorité aux besoins de la ville, comme, par exemple, l’amélioration de la qualité de l’air grâce à la verdure, ainsi que l’embellissement de « la jungle » de béton par la construction des parcs et jardins pour le loisir de l’homme.

Mais ceux qui ne restent pas indifférents par rapport à la nature, ceux qui trouvent la source de leur inspiration dans les revitalisations des espaces agressés par l’homme ou ceux qui apportent un autre sens de dimension spatiale à la ville grâce à la présence de la nature sont des artistes.

Robert Smithson ( Broken Circle / Spiral Hill ), Charles Jencks ( Spirals of Time), Maya Lin ( Wave Field ), Olafur Eliasson ( New York City Waterfalls ), Fujiko Nakaya ( Fog Square ), dont les œuvres seront étudiées au cours de cet article, s’interrogent sur la question du rapport entre l’homme et l’espace.

Ces artistes, en mettant en valeur des convictions différentes, évoquent en fait deux faces de la même médaille. D’une côté, des œuvres soulignent que l’homme fait partie de l’univers, et de l’autre, une création montre plutôt notre insignifiance face aux phénomènes naturels.

 

En étudiant l’histoire de la relation entre l’homme et l’environnement, on voit que depuis l’évolution de la connaissance scientifique, c’est-à-dire, l’époque de la Renaissance, la nature n’est plus considérée comme le prolongement de l’ordonnancement divin. Donc, la nature est désormais soumise à la volonté de l’homme.

Quand on commence à parler de la réinterprétation de la nature dans l’espace urbain à l’époque contemporain nous ne pouvons pas ignorer le Land Art. Ce mouvement artistique apparu aux États-Unis dans les années soixante quand certains artistes, tels comme Robert Smithson, Robert Morris, Walter de Maria, Michael Heizer etc., perçoivent les idées de la génération du baby boom qui rejette le mode de vie de leurs parents : celui de la société de consommation et fait attention au respect de la Terre-mère.

Nous commençons cette présentation de certains œuvres qui réinterprètent la nature dans l’espace urbain par le travail d’un des pionnier du Land Art, Robert Smithson.

Broken Circle / Spiral Hill, deux œuvres inséparables, ont été réalisées à l’occasion de l’exposition internationale temporaire Sonsbeek 71 aux Pays-Bas en 1971, un événement sur le thème de l’espace et des relations spatiales.

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Robert Smithson, Broken Circle / Spiral Hill, Emmen, Pays-Bas, 1971

Libre dans le choix d’une place pour sa création, Smithson a choisi une carrière de sable abandonnée à Emmen. Ce lieu correspondait bien avec ses convictions de ces années-là que « les meilleurs sites pour l’art tellurien (Earth Art) sont ceux qui ont été bouleversée par l’industrie, par une urbanisation sauvage ou par des catastrophes naturelles » 1.

Cette province de Drenthe qui est connue non seulement comme la plus grande productrice de tourbe, mais aussi par les Hunebedden, les mégalithes de la préhistoire. L’un des rochers qui faisaient partie à l’époque de ces tombes primitives a été utilisé par Smithson dans Le Circle Brisé parce qu’il était trop lourd pour le déplacer.

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Ce bloc apporte une autre vision de la forme de Broken Circle à la manière des aiguilles d’une montre qui « tournent » à l’inverse tandis que le spectateur monte au sommet du monticule. Non seulement cela crée donc cette impression d’intemporalité, mais aussi établit le lien entre le site et l’histoire de ce pays.

Conçues au début comme des œuvres temporaires, ces créations ont en fait revitalisé cette zone industrielle et sont devenues l’une des destinations touristiques de cette région.

Une autre création réalisée quarante ans plus tard en Italie par un architecte américain Charles Jencks Spirals of Time possède certains points communs avec le travail de Robert Smithson.

Réalisé dans le Parco Portello à Milan (2002-2012), cette œuvre de Land Art représente aussi un projet de reconstruction d’une zone industrielle. A l’époque c’était les ateliers de l’usine d’Alfa Romeo qui ont été installés sur le périphérique extérieur de Milan. Cette usine a été détruite dans les années 80.

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Charles Jenckes, Spirals of Time, Milan, Italie, 2012

Connu par ses travaux paysagers avec la signification philosophique, Jencks dans ce projet s’interroge sur notre relation avec l’univers. La conception de Spirals of Time est la Ritmo del Tempo, c’est-à-dire, les différents rythmes du temps qui palpitent sur la terre et dans l’univers.

Le parc présente trois périodes de l’histoire culturelle de Milan : préhistorique, historique et contemporaine. Sur la surface du parc nous voyons trois collines dont chacune représente une de ces périodes. Les visiteurs déambulent sur les sentiers, en reproduisant le chemin symbolique de l’homme sur la Terre.

Un autre earthwork qui fait aussi entrer le spectateur dans l’espace de l’univers est le Wave Field, exécuté par une artiste et architecte américaine Maya Lin en 1995.

Cette œuvre est considérée par l’artiste comme une sculpture. Elle se trouve sur le territoire d’un campus de l’Université de Michigan à Ann Arbor près de Aerospace Engineering Departement.

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Maya Lin, Wave Field, Ann Arbor, Etats-Unis, 1995

Maya Lin voulait lier son intérêt pour le paysage avec l’ingénierie spatiale. Voilà pourquoi elle a pris la source de son inspiration dans les études en mécaniques des fluides, en aérodynamique et en turbulence.

La sculpture est une simple représentation d’une vague dont le motif répétitif est devenu la base de cette œuvre. Cette forme qui réplique le mouvement de l’eau ou de l’air correspond bien avec le contexte du lieu, du département de ingénierie spatiale de l’université.

Encore un artiste qui est aussi passionné par les mouvement de l’eau : Olafur Eliasson. Son projet New York City Waterfalls représente une installation temporaire réalisée de juillet à octobre 2008 à la suite d’une commande de Public Art Fund de NY. Notamment, il s’agit de quatre cascades qui ont été installées sur East River.

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Olafur Eliasson, New York City Waterfalls, NY, Etats-Unis, 2008

Dans son exposé Jouer avec l’espace et la lumière il explique que cette installation n’est pas le désir de montrer le pouvoir de la nature mais plutôt la possibilité de mesurer le temps. Olafur Eliasson dit que cela donne à la ville le sens de dimension. Par exemple : l’eau qui tombe nous donne la possibilité de mesurer le temps et en ressentant le temps nous pouvons en conséquence palper l’espace.

Donc, l’artiste par son œuvre crée non seulement un dialogue avec le spectateur, mais aussi fait penser au temps, à l’éternité, à apprendre à se sentir dans l’espace.

L’idée de faire un espace que l’on peut toucher est aussi très proche de l’artiste japonaise Fujiko Nakaya. Elle utilise le brouillard artificiel comme un matériel pour ses œuvres depuis des années 70. Elle recouvre des espaces publics d’une brume à l’aide de brumisateurs d’eau qui pulvérisent de microscopiques gouttelettes.

A l’occasion de la Nuit Blanche 2013 Fujiko Nakaya a effectué une installation Fog Square en plongeant la Place de la République dans la brume pendant une nuit. Elle rapproche ce phénomène atmosphérique dans l’espace de la ville pour que les visiteurs puissent profiter de cette action, toucher cette œuvre.

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Fujiko Nakaya, Fog Square, Paris, 2013.

Mais cette artiste n’a pas de l’objectif de créer des conditions confortables pour les spectateurs pour contempler ce phénomène naturel très rare dans la ville. Au contraire, elle veut voir leurs réactions. Dans l’un de ses entretien où elle expliquait sa passion par le brume, l’artiste a dit : « J’aime quand les gens découvert que c’est mouillé. Quand ils n’y voient plus et que ça leur fait un peu peur. Ils utilisent alors d’autres sens que la vue pour s’orienter ».

Bien sûr ce ne sont que quelques œuvres qui représentent la nature dans l’espace de la ville. Mais grâce à elles nous pouvons remarquer une orientation des artistes vers le thème de relations entre l’homme et l’univers. En cassant la conscience des visiteurs en apportant la nature dans l’espace urbain comme le fait Fujiko Nakaya, en revitalisant la terre agressée comme Robert Smithson et Charles Jencks ou en interagissant avec les spectateurs à l’aide de l’eau qui tombe comme Olafur Eliasson, les artistes créent une sorte de microcosme où la nature représente un relais entre l’homme et l’univers.

 

1 Smithson R., « Frederick Law Olsmted et la paysage dialectique » in Artforum, février 1973, repris in Jean-Paul BRUN, Nature, art contemporain et société : le Land Art comme analyseur du social, p. 331.

 

Bibliographie

  1. Jean-Paul BRUN, Nature, art contemporain et société : le Land Art comme analyseur du social ; Troisième volume : Réseaux sociotechniques, monde de l’art et Land art, L’Harmattan, 2007.
  2. Colette GARRAUD, L’artiste contemporain et la nature : parcs et paysages européens, Hazan, 2007.
  3. Fujiko NAKAYA, Fog = Brouillard, Anarchive, 2012.
  4. Studio Olafur Eliasson: An Encyclopedia, Taschen, 2008.

Sitographie :

  1. Charles Jencks (site officiel)

<http://www.charlesjencks.com/#!projects>, 20 novembre 2016.

  1. Maya Lin Studio (site officiel)

<http://www.mayalin.com/>, 20 novembre 2016.

  1. New York City Waterfalls, Olafur Eliasson (site officiel)

<http://olafureliasson.net/archive/artwork/WEK100345/the-new-york-city-waterfalls#slideshow>, 20 novembre 2016.