Entretien avec Romain Métivier

Par Raphaëlle Peria

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Métivier Romain, Sans titre (gris/vert), 2013, © Romain Métivier

 

 

 

 

 

 

Après un DEUG en arts plastiques, Romain Métivier part expérimenter la sculpture aux Beaux Arts de Cergy où il obtient son DNSEP en 2008. Son travail est régulièrement présenté en France à l’occasion d’expositions personnelles ou de résidences. Il sera visible en janvier lors de l’exposition Jeune Création.

Romain, pouvez-vous nous parler de votre conception de la sculpture ?

La sculpture, c’est un rapport physique autant dans la production que dans l’observation. Quand je produis mes pièces, il y a toujours quelque chose de physique qui se passe. Si l’on me filmait dans l’atelier à mon insu, il me semble que ça ressemblerait à un match de catch mexicain un peu grotesque. Les éléments, je les prends, je les retourne, parfois je tombe. J’aime profondément ne pas travailler à travers une interface. La sculpture c’est le seul médium qui y échappe. Elle nous amène à tourner autour, à la toucher parfois lorsque c’est autorisé. Aujourd’hui certains renient ce contact physique. Il ne nous empêche pas d’être intelligent, c’est tout aussi important que la réflexion. La physicalité d’une œuvre ou d’une exposition me semble dénigrée par moments aujourd’hui. Comme si cela n’était pas compatible avec un travail intelligent.

Depuis très jeune, j’aime l’intelligence de la main, la mémoire du corps. Ce sont des choses qui m’importent énormément.

Quel est votre rapport à l’outil ?

Je suis très maniaque, mais si l’on me demandait de choisir mon outil favori dans l’atelier, je pense que je choisirai le fouet de cuisine qui est là par terre. Il me sert à mélanger la résine. Il a vécu. Il a une patine. Il est quand même périssable comme tous les outils que j’utilise. Je n’ai pas un fétichisme à l’outil dans ma pratique, mais je trouve les objets de quincaillerie souvent très beaux, fascinants.

Dans ce que je donne à voir de mon travail, l’outil est très important. Derrière lui, il y a une pratique, des gestes. C’est par les outils que je figure l’usage dans mon travail, même s’il a tendance à « s’abstractiser ». J’aime regarder les gestes qui se répètent, regarder le faire. C’est l’outil qui génère le ponçage, le tissage…

Mon travail est souvent faussement grossier dans le geste pour rester dans un état assez primitif et ne pas atteindre le raffinement. Lorsque je tisse par exemple, j’adore voir qu’avec le temps le geste se peaufine. L’outil est un objet parlant, c’est par lui que le contexte qui l’entoure est raconté.

Lorsque vous créez des objets, ont-ils une fonction ?

Dans ma tête, il y en a une. Pas systématiquement. C’est une sorte de construction et déconstruction. Quand je m’attaque à une sculpture, je me raconte une histoire dans laquelle je m’imagine les fonctions de l’objet. Il y a généralement plusieurs idées qui fusionnent. Je me raconte une histoire par rapport à des images, des formes ou des outils que je vois. Elle mijote, puis je me mets à dessiner. L’histoire reste toujours floue, mais elle donne des pistes. Pour le regardeur, l’idée c’est d’y voir un objet dont on ne comprend pas réellement l’usage, avec des références, mais cette impossibilité in fine de dire que tel objet correspond à telle chose. Dans cette impossibilité de définir ce que l’on a sous les yeux, c’est l’imagination qui va prendre le relais. Ce mécanisme est le moment de bascule le plus important, celui où l’imagination entre en jeu. Je veux produire des objets générateurs de récits.

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Métivier Romain, Sans titre (blanc/marron), 2014, tissu, filasse, résine acrylique, dimensions variables © Romain Métivier

 

À la découverte de votre travail, on pense d’abord que les objets que vous présentez sont issus de collections de musées ethnographiques. Quel rapport entretenez-vous avec les collections de ces musées ?

Je vais voir ces collections ainsi que des documents de géologie, de science, mais je reste toujours très novice. C’est surtout un travail d’observation des formes. Cela me permet de rester dans un rapport plus superficiel et en retrait pour manipuler les formes plus librement que si je savais par qui elles sont utilisées. Ces formes sont bouleversantes par leur simplicité. C’est le fantasme d’un objet ethnographique, potentiellement le résultat de fouilles archéologiques ou le trésor ramené d’une expédition qui m’intéresse. Au XIXe siècle, il y avait encore des territoires et des cultures inconnues. Le retour était différé, galvaudé et ce que cela a généré chez les occidentaux a créé pour moi des formes très belles. Jules Verne en est l’exemple le plus évident. Les univers qu’il génère sont très beaux. Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad est sublime aussi. Il montre les fantasmes des occidentaux de l’époque. Spielberg ou encore la série Lost m’inspirent dans leurs manières de faire basculer le quotidien dans le fictif.

Dans votre œuvre Sans titre (noir/gris) – 2013, formée de deux contenants posés au sol à côté d’une structure qui paraît être en bois, le spectateur semble confronté à la reconstruction d’un lieu de vie ancien comme on les voit souvent dans les livres d’histoire ou d’archéologie. Vous appuyez-vous sur des images d’archives pour créer vos sculptures ?

Indirectement oui je m’appuie dessus. Je récupère des photographies que je vois. Je photographie aussi dans la rue. Les encombrants par exemple ont des formes chaotiques qui m’intéressent énormément. Leur logique est tout autre, comme des ruines. Je ne pars jamais d’une image ou d’une forme précise pour la recopier. L’idée c’est de présenter non pas une copie, mais un fantasme de l’objet. Il y a souvent dans un objet la fusion de plusieurs images.

Vos œuvres Sans titre (gris/ardoise) – 2012 et Sans titre (marron/gris) – 2013 semblent quant à elles sortir directement de la nature. Avez-vous l’habitude d’arpenter le paysage pour trouver ces formes ?

Au départ mes formes étaient plus inspirées de la nature que de la culture. J’ai découvert très tard la nature « sauvage ». Je suis un banlieusard. Mon premier grand voyage c’était en Islande en 2012. Quelque part, j’ai peur de briser le fantasme en allant dans les pays qui sont les sources d’inspiration de mon travail. Le fantasme c’est mon moteur. Je ne veux pas qu’il devienne une réalité. Les deux formes dont vous parlez, en bon citadin occidental, sont mon fantasme de la nature. Ne pas savoir différencier les plantes, par exemple, me préserve de la familiarisation avec elles.

En observant vos sculptures de plus près, on remarque que vous remplacez un matériau par un autre. Par exemple, dans Sans titre (cuivre) – 2012, ce qui semble être du cuivre est un assemblage de résine acrylique, de polystyrène extrudé et de peinture. Est-ce une volonté de tromper le spectateur ?

C’est plutôt l’extension concrète, matérielle de la formulation des fantasmes. Je fabrique une fiction donc il me faut utiliser des matériaux qui y soient liés. L’acrylique, c’est très utilisé dans les décors de cinéma. Le polystyrène aussi pour sculpter des formes. J’opère un décalage avec les matériaux. J’essaye de brouiller les cartes une fois de plus pour perturber l’identification matérielle de l’objet que l’on a sous les yeux. J’essaie de décontextualiser pour laisser plus de marge au récit.

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Métivier Romain, Sans titre (beige) – 2014, tissu, résine acrylique, colorant, peinture acrylique © Romain Métivier

Vos œuvres sont pour la plupart « Sans titre », mais définies par une couleur et une date, pouvez vous nous expliquer ce choix  d’appellation ?

Le titre exact c’est toujours : sans titre, la couleur dominante, la couleur secondaire et l’année de production. Si j’écris « bâton », c’est déjà un début de piste. Les éléments les plus neutres très vite je me suis rendu compte que c’étaient les couleurs. Il y a l’idée de créer un inventaire. Mon travail, je le vois comme un paysage ou un décor, entre réalité et fiction, qui se dessine au fur et à mesure. Chaque sculpture alimente ce paysage qui se modifie. Le titre est aussi un clin d’œil aux cartels des musées.

Depuis plus de dix ans, vos œuvres ont été montrées dans des lieux très différents : white cube, hangar… Quel serait pour vous le lieu idéal de présentation de votre travail ?

J’aurai tendance à dire, le white cube. Mon rêve ce serait d’avoir un centre d’art façon L’arc dans lequel je ne montrerai que dix pièces. Le white cube permet au récit d’appartenir le plus possible au spectateur grâce à un contexte neutre, il est davantage une page vierge. L’histoire se crée d’une pièce à l’autre. Quand elle se fait avec le lieu, c’est très intéressant, mais ça ne prend pas du tout la même teneur. Le cadre du lieu donne dans ce cas une teinte à l’exposition qu’il faut prendre en compte.

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Vue de l’exposition aux ateliers RAVI © Romain Métivier

Pour découvrir le travail de Romain Métivier, visitez son site internet ici.

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