Entretien avec Matthieu Raffard

Matthieu Raffard (né en 1981, vit et travaille à Paris) se consacre aux questions de l’histoire et du deuil du monde dans lequel nous sommes nés, en entrecroisant des séquences d’images photographiques, de dessins, et de sculptures. Il présente une nouvelle série Pandémonium, une installation pour la 66e édition de Jeune Création.

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Une vue de Pandémonium Photo : Matthieu Raffard

Soyoung Hyun : Pour préparer l’interview, j’ai essayé de classer vos travaux chronologiquement. J’ai alors remarqué que plusieurs projets ont été réalisés presque au même moment. Comment pouvez-vous travailler sur plusieurs d’entre eux en même temps ?

Matthieu Raffard : Une chose importante est que, les séries que je fabrique, je les refabrique tous les ans quasiment. Ce qui m’intéresse, c’est l’association d’images. Par exemple, si on pense au travail d’Aby Warburg, on comprend mieux le sens de ma banque ou collection d’images. Pour moi, il n’y a pas de limite à une série. Par contre, chronologiquement, j’ai une histoire de ma pratique. À la base, je faisais des documentaires, enfin, des choses très documentées, sur le corps, le corps dans l’espace, la manière par laquelle on existe dans le monde. Et puis à moment donné, ce qui s’est mis à m’intéresser, c’est que la photographie pouvait être une forme de peinture.

SHY : C’est vrai que j’ai l’impression que vos oeuvres sont à la frontière entre le dessin et les images. Pouvez-vous expliquer plus précisément comment vous avez commencé à travailler sur cette ambiguïté entre photo, peinture et image?

MR : À l’époque où je voyageais au Japon, en même temps que je faisais des photos, tous les jours je dessinais beaucoup dans mon carnet, à l’encre (quelquefois des choses que j’avais vues). Le matin, dans ma chambre, la pratique du dessin, de la peinture, ressemblait en fait à la pratique que j’avais de la photographie. Il y avait une sorte de mélange entre le moment où je peignais et le moment où je photographiais et j’étais embêté par la rupture existant entre ces deux pratiques. En rentrant du Japon, j’ai commencé une séquence de dessin à l’atelier, j’ai aussi commencé à photographier des petites traces de peintures, toujours dans mon atelier et j’ai trouvé que c’était connecté à ce que j’avais fait et vu au Japon. C’est comme ça que la peinture, le dessin, etc. sont devenus la même chose. En fait au début j’étais vraiment dans le monde de la photographie. Et j’étais très gêné par la limitation que le monde de la photographie produit autour de ce qu’il appelle « une photographie ». Par exemple si on va à « Paris Photo », en un sens, on voit presque toujours la même image. De formes différentes, certes, mais représentant toujours quelque chose, imprimé soit en noir et blanc, soit en couleurs (alors qu’il y a une multitude d’alternatives au couple saturation/désaturation). On voit finalement des choses qui n’ont qu’une seule couche, plate. La photographie se définit en fait comme quelque chose que l’on regarde. Alors qu’une peinture (j’ai l’impression), ça fait longtemps qu’on a arrêté de « la regarder ». Si vous voyez par exemple Mark Rothko, Nicolas de Staël, ce ne sont pas des peintures que vous regardez. Vous ne pouvez pas vraiment regarder ces peintures, c’est quelque chose que vous affrontez. Cela, c’est quelque chose que les photographes ne comprennent pas du tout.

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EUCLIDE, cinq, MMXIV Photo : Matthieu Raffard

SYH : Dans votre travail, on trouve des œuvres autour d’objets qui ont disparu.

MR : Une première chose très simple que je fais disparaître dans mes photos, c’est la perspective. La photographie est un outil qui utilise la perspective comme forme de représentation. Il y a un livre de l’histoire de l’art qui était très important pour moi qui s’appelle La perspective comme forme symbolique de Erwin Panofsky. Panofsky explique que les Occidentaux savent faire de la perspective depuis avant la renaissance. À l’école on m’a appris que c’est à la Renaissance qu’on a découvert la perspective, comme une innovation technique. En fait ça existait avant. C’est juste que ce n’était pas utilisé. Par exemple dans la culture asiatique, la perspective est utilisée, mais pas sous la forme que nous utilisons. À partir de cette pensée, j’ai essayé de faire de la photographie qui soit « aperspective ».  C’est-à-dire sans perspective.

SYH : Vous avez indiqué dans votre texte « la photographie est comme « une manière de pensée »». Comment peut-on penser à la photographie comme « une manière de pensée » ?

MR : En fait c’est une idée très large. Ce n’est pas limité à la photographie, on pourrait la reprendre pour plein d’autres médiums. Je pense que l’être humain par son langage, par sa position dans l’espace, développe des structures cognitives. Par structure cognitive, je veux dire quelque chose comme un software ou un système d’exploitation, comme un OS. En fait notre activité dans la vie structure notre manière de penser, notre réel. Les photographes, parce qu’ils ont un appareil dans les mains, pensent le réel d’une manière qui est très différente des autres. Du coup, se rendre compte que, parce que j’ai ces outils dans les mains, ma façon de penser le monde est différente de quand je ne les ai pas, c’est acter le fait qu’être photographe c’est penser le monde, qu’une image est comme une pensée. Par exemple, Roland Barthes pense en phrase : c’est la phrase dans son rythme, dans sa sonorité, dans sa manière de se dérouler ;  c’est là qu’est la pensée.

Pour un photographe, la pensée est dans un certain de type de rapport au monde et un certain type de déplacement. Voilà un exemple très simple et très pragmatique. Dans l’esthétique orientale de l’histoire de l’art, les manuels de calligraphie expliquent que ce qui compte ce n’est pas ce que vous représentez, mais c’est ce qui est en vous qui allez créer la qualité de votre geste. Moi ce que j’avais remarqué c’est que par exemple si je dois faire un portrait de vous, je sais, presque au centimètre près, où est-ce que je dois me mettre pour le réaliser. Cette position-là, c’est comme un ton, une tonalité. Ça, c’est de la pensée en fait, une structure cognitive.

SYH : Alors c’est comme une structure de la pensée.

MR : Tout à fait. Comme je faisais aussi de la peinture ou de la sculpture, quelquefois je sentais que je pouvais utiliser plusieurs façons de penser. Et que justement je pouvais mettre comme un plugin sur la photographie, comme si je lui disais : photographie tu es un moyen de penser intéressant, mais je peux aussi te transformer avec un plugin, comme si je pouvais hacker la structure cognitive à l’oeuvre, en photographie pour la remplacer par une autre structure cognitive. Au-delà de la photographie, de l’art même, la question qui m’obsède est l’amélioration des structures de pensées. D’ailleurs, le fait de parler plusieurs langues, c’est une des premières manières d’augmenter la façon de penser.

Les gens ne le savent pas, mais il y a une grammaire, un vocabulaire de la photographie. Par exemple les gens disent : ça, c’est une bonne photographie ou c’est une mauvaise photographie, car il y a une règle, mais une règle que les photographes n’ont pas conscience de maîtriser. Pour moi ce qui est intéressant, c’est la découverte d’une grammaire, d’une syntaxe dans une pratique. C’est comme quand Roland Barthes a découvert qu’il parle français parce qu’il a derrière lui toute une histoire de la langue.

SYH : Vous avez écrit qu’il est intéressant de maintenir des médiums dans une certaine forme de « disinclination » pour faire surgir de nouveaux médias. Je suis curieuse au sujet du sens de « disinclination ».

MR : Je pense que le problème de la photographie aujourd’hui ne lui est pas spécifique. En fait chaque médium connaît des périodes où il est sûr de lui et des périodes où il est un peu moins sûr de lui. Je pense que c’est plus intéressant de maintenir un médium dans une forme de doute de lui même plutôt que laisser être fort. Par exemple, il y a dix ans quand j’ai commencé la photographie, c’était un médium très fort et très émergent et qui ne doutait pas du tout de lui même. Ce faisant, en ne doutant pas de lui même, il produisait finalement des oeuvres relativement moins intéressantes que le théâtre qui lui était dans une espèce de doute total de son efficacité par rapport au cinéma. Par exemple, l’art contemporain est dans un moment de sûreté de lui même. Je pense qu’à terme cela va produire des images ou des objets moins intéressants que dans les années 80 ou 70 où il était un art beaucoup plus sujet au doute. En revanche, je trouve qu’en ce moment les arts vivants, le théâtre par exemple ou la danse, en France en tout cas, sont à un moment où ils proposent des choses très fortes, des propositions visuelles très intéressantes, très innovantes, car c’est un terrain où il y a des doutes très forts. 

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L.P.S.D, 2013. Tirage unique signé et numerate 1/1. Tirage jet d’encre 75 x 80 cm sur Hahnemühle 300gr contrecollé, Photo : Matthieu Raffard

SYH : Désormais on va parler de l’une des vos séries de photographies L.P.D.S. Que veut dire cet acronyme ?

MR : C’est Le Pont Des Suicidés. C’est le nom d’un des ponts des buttes Chaumont. Son nom vient du fait que les gens s’en jetaient pour se suicider. Ce qui m’a intéressé, c’est que sous le pont des suicidés, au 15 août, il y avait une lumière qui ressemble à une lumière de studio. La raison de cette lumière si particulière est que, le 15 août, le soleil se couche à côté du pont et il y a un faisceau de lumière très forte et fine qui passe au travers du pont. Si vous faites entrer quelqu’un sous le pont, vous obtenez une photo comme dans cette série. Ce qui, en plus, est intéressant, c’est que les buttes Chaumont sont un parc un peu ‘bobo’, assez ‘white people’, ‘Parisien’. Mais le 15 août, toute cette population-là est en vacances. C’est le moment où tous les Parisiens sont hors de Paris. Sauf la population des travailleurs qui restent dans Paris, et donc dans cette série, ce ne sont que des gens qui restent à Paris quand les autres sont en vacances. Ce sont les sacrifiés d’une économie, si vous voulez. Pour eux, le parc des buttes Chaumont c’est une perspective de vacances. C’est ça que j’ai essayé de photographier.

SYH : Ce qui est remarquable, c’est que l’on ne peut pas trouver leurs yeux dans cette série. En raison de la disparition du regard, j’avais l’impression que cette série était comme une nature morte : pas de portrait, car le visage du modèle a disparu.

  MR : Dans l’histoire de la photographie documentaire et sociale, il faut qu’on voie le regard ; c’est précisément le regard qui déclenche l’empathie chez les spectateurs. D’ailleurs, c’est un des points très intéressants dans la photo. J’ai eu envie de faire une photographie documentaire de gens qui vivent une réalité difficile, mais qu’on ne puisse pas dire via leur regard ‘c’est bon, je m’identifie à ton malheur’. Je n’aime pas cette identification qu’on a pour la personne qui souffre. Il y a quelque chose de vrai dans ce que vous avez dit. Au moment où j’ai fait cette série, je lisais un livre de Robert Bresson. Le livre s’appelle note sur le cinématographe. En gros Robert Bresson dit ‘si tu veux parler de quelqu’un, filme sa chaise’. Du coup il y a aussi l’idée de faire un portrait qui utilise les codes de la nature morte pour parler malgré tout d’une matière humaine.

SYH : J’ai l’impression que la série L.P.D.S est assez différente des autres séries.

MR : Oui, c’est la seule série de documentaires que j’ai conservée parce qu’elle est un objet un peu à part. Récemment, j’ai commencé un projet, qui n’est pas tout à fait fini, autour des cercles pour poncer le sol. C’est une forme de photographies de quelque chose qui a été poncé sur le sol. Cela fait écho en quelque sorte avec le suaire de Sainte Veronique (et l’image du christ imprimée sur ce suaire) qui est, d’une certaine façon, la première photographie de l’histoire du monde. Dans mon projet, c’est une photographie du sol qui raconte une histoire de travail, mais aussi l’histoire de la personne auquel le sol appartient. Pour moi il y a une continuité entre L.P.D.S et ce projet-là.

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Le voile de Sainte Véronique, Série composée de 9 photographies, 2015 Tirage jet d’encre, 150 x 120 cm sur Hahnemühle 300gr contrecollé, Photo : Matthieu Raffard

SYH : J’ai lu récemment un ouvrage de Baudrillard. Il parle du « voile de Véronique » qu’il compare à une sorte de décalcomanie sacrée, un enregistrement automatique du visage divin sans l’intervention de mains humaines.

MR : Pour moi, le « Voile de Véronique » est très important. « Véronique » vient de vera et icône en latin, c’est-à-dire la vraie image (sous-entendu du christ). En fait, je suis d’une culture très catholique et quand j’étais adolescent, j’ai participé à l’adoration du saint sacrement. Dans les églises catholiques, il y a un petit cadre qui contient un morceau d’hostie, le corps du christ, et l’adoration consiste à prier devant lui. Pour moi c’est un souvenir finalement très conceptuel parce que vous devez croire que c’est véritablement le corps de Christ alors que votre raison vous dites que ce n’est pas le vrai corps. Et en fait, ce que vous regardez, c’est quelque chose de très minimaliste sur lequel votre esprit projette une pensée. Aujourd’hui, même si je ne suis plus catholique pratiquant, j’ai gardé ces choses importantes de l’adolescence, ce dispositif du sacré. Même si je réalise aujourd’hui que, derrière cela, il y a une partie qui procède de la manipulation, il n’y a cependant pas que ça. Il y a aussi un dispositif qui permet une sorte de projection. C’est probablement ça une véritable œuvre d’art.

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Ekphrasis un érotisme du fragment, 2013, Tirage unique signé et numéroté 1/1. Tirage jet d’encre 120 x 150 cm sur Hahnemühle 300gr contrecollé, Photo : Matthieu Raffard

SYH : Dans votre travail Ekphrasis un érotisme du fragment, vous utilisez ce mot « Ekphrasis ». Pourriez-vous m’expliquer plus précisément le titre de ce travail?

RF : « Ekphrasis », c’est comme quand vous prenez une note dans un roman, et que vous le mettez dans un autre roman. Roland Barthes a écrit, dans Le plaisir du texte un très beau passage sur « Ekphrasis ». Il parle de quand vous lisez un roman, et que, dans ce roman, le morceau d’un autre roman. Vous avez alors un désir de lecture pour ce deuxième roman. J’avais remarqué cela aussi dans les tableaux de la Renaissance. Par exemple, quand vous voyez un bout de tableau d’un côté qui est coupé, dans l’atelier d’un peintre, vous avez un désir pour cette peinture qui disparaît à la coupure du tableau. Du coup, je voulais faire une série où le spectateur a un désir pour l’image, mais qui est tout de suite frustré par une coupure de l’image, une partie cachée. C’est pour ça que j’ai fait à la fois des coupures de cadre, mais aussi des coupures de cache, parce qu’assez vite je me suis rendu compte que c’était intéressant de cacher une image. Tout d’un coup, ça n’a plus du tout le même sens et ça peut devenir extrêmement sensuel parce qu’on n’a pas la possibilité de le voir. Pour citer encore Roland Barthes, il dit que le comble dans le vêtement de l’érotisme, c’est quand vous voyez le bout de vêtement d’un vêtement que vous ne devriez pas voir, comme un morceau d’un T-shirt. Quand vous sentez ce bout de vêtement que vous voyez, mais que vous ne devriez pas voir, c’est ça l’érotisme, ce fragment caché.

SYH: Par rapport à d’autres projets, il y a beaucoup de noir ou une ambiance sombre comme dans Egrégore. J’ai trouvé que vous y avez été influencé par votre voyage en Islande.

MR : En Islande, les gens ont des hallucinations ou des capacités de médium, de spirite. On pense que c’est parce que le sol est très magnétique, puissant, de telle sorte que les gens se connectent avec des esprits. C’est pour cela qu’on trouve de nombreuses fées, des trolls, des nains dans la culture scandinave. Dans le New Age, cette religion un peu ésotérique née dans les années 70, ils ont identifié sur la planète un certain nombre de vortex. L’un de ces lieux de puissance est en Islande, c’est le volcan Snaefellsjökull qui a inspiré à Jules Verne, son roman Voyage au centre de la Terre. Nous sommes allés sur ce volcan et j’y ai ressenti des vibrations très très fortes qui empêchent de créer ; je ne pouvais pas dessiner, je sentais comme une électricité. C’était très puissant pour moi. Vous comprenez là-bas qu’on puisse y inventer, imaginer des créatures surnaturelles. Le mot « Egrégore » désigne le nom qu’on donnait aux esprits au XIXe siècle. Victor Hugo, pendant son exil à Guernesey, après la mort de sa fille, a pratiqué le spiritisme et a appelé les égrégores. C’est de tous ces phénomènes et croyances dont parle cette série-là ; le spirituel, new âge, X-Files, Victor Hugo (notamment ses dessins, très sombres, romantiques). Quand je suis rentré en France, j’ai fait beaucoup de photos, peintures, dessins, et c’est de ça qu’est née la série, il y a 1 an.

SYH : Dans la série Les mondes anciens, je trouve que votre style a un peu changé. Par exemple, il me semble que vous avez utilisé plus qu’auparavant des médiums multiples.

MR : Les Mondes anciens est une série sur le fait que notre génération doit faire le deuil du monde dans lequel nous sommes nés, un monde sans internet. Je n’avais pas d’ordinateur chez moi et j’ai grandi dans la culture du livre, de l’écrit, de la parole, de l’œuvre, de l’art. Autant de choses qui vont disparaître et nous devons faire le deuil de ce monde dans lequel nous avons grandi. En fait, si on ne fait pas ce deuil, on empêche notre culture de passer dans le prochain monde. Cela nous met dans une situation compliquée, un peu comme celle des romantiques qui ont vu le début de la révolution industrielle. Par exemple, quand Victor Hugo, Gaspard Friedrich ou Rimbaud ont vu les premières usines, ils ont compris que leur monde prenait fin et qu’ils devaient faire le deuil du monde ancien. C’est pour ça que chez les romantiques il y a beaucoup de choses qui ont à voir avec la méditation sur les ruines. C’est quelque chose qui me touche énormément. Pourquoi ce goût de la « Ruine », cette médiation sur la « Ruine » ? Aujourd’hui quand je vais dans une bibliothèque, pour moi une ruine moderne, je ressens le besoin de méditer sur cette bibliothèque comme sur une ruine des temps passés. Pour nous, la ruine n’est pas un temple Gallo-Romain, ça peut être une bibliothèque, une église vide, une place de marché vide, une librairie qui ferme, même un CD, une cassette, un téléphone, une machine à écrire, un stylo-plume, des tas de choses comme cela. Nous sommes les gardiens de cette mémoire et pour faire ce deuil, nous devons méditer sur cette ruine. Mon propos n’est pas de dire que ça ne doit pas disparaître. Ça va disparaître ; on ne peut pas faire autrement. Il y a quelque chose de sans doute mieux qui va arriver, mais notre génération est gardienne de la mémoire de ces choses-là.

68_EGREGORE-pasiphae-MMXIV-Matthieu-Raffard_v2ÉGRÉGORES, Série composée de 9 photographies, 2013 Photo: Matthieu Raffard

SYH : Le dernier projet Les mondes anciens est-il celui que vous allez montrer à Jeune Création ?

MR : Pour Jeune Création, je vais montrer une sculpture, appelée « Pandémonium », qui appartient plus ou moins à la série Egrégore même si cette série est finie. C’est important pour moi que les séries ne soient jamais vraiment finies et puissent continuer à avancer. Mais il est vrai que cette sculpture pourrait aussi appartenir aux mondes anciens ; elle est hybride.

SYH : Pourriez-vous expliquer plus précisément  Pandémonium ?

MR : Ce seront des sortes de colonnes gallo-romaines, il y aura des morceaux de cailloux, posés sur des encyclopédies. L’idée est qu’après le monothéisme, on va revenir à une forme de religion polythéiste. Dans la culture française antique, les Gaulois fabriquaient des dolmens, comme à Stonehenge. Je veux faire des dolmens du futur, une forme de nouveau temple paganique, pour cette religion qui n’est pas encore là.

SY : C’est la première fois que vous faites une sculpture aussi grande, n’est-ce pas ? Comment êtes-vous arrivé à faire une sculpture bien que vous ne traitiez jamais de cela avant ?

RF : Oui, c’est un nouveau défi. Ça va faire dans les 2 mètres. Mon ADN c’est plutôt la photo, mais j’ai aussi pas mal d’idées qui demandent la 3D pour se matérialiser. Je pense que, cette fois-ci, je peux expérimenter différents médiums pour trouver l’efficacité. Par exemple, la série Egrégore était une forme sur l’image alors que Pandémonium est une sculpture, même si les contextes de deux projets sont identiques. Pour moi ce qui est important, c’est la direction. Je veux continuer à chercher dans la même voie et j’espère qu’à un moment donné quelque chose d’important va en sortir. 

Par Soyoung Hyun

Website de l’artiste : www.matthieuraffard.com

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