« Il faut encore avoir du chaos en soi pour enfanter une étoile dansante »

Crédits photographiques et vidéos : Charles Bontout charlesbontout.com

Charles Bontout est un jeune artiste de vingt-six ans élaborant dans ses œuvres des propos pourtant déjà très matures. Son univers n’est pas sans nous rappeler celui de Mounir Fatmi qui était lui aussi passé par jeune création dix ans plus tôt et qui a aujourd’hui décidé de le chapoter. Originaire de Lorraine, il vit et travaille aujourd’hui à Paris.

Entre rap, philosophie, littérature, cinéma, sport et politique, il créé un nuage de références agissant comme une playlist culturelle qui jouerait dans les têtes des spectateurs. Voyant son travail comme un véritable outil, il incite alors le visiteur à l’utiliser, comme bon lui semble, non pas comme une vérité absolue, mais plutôt comme un indice sur le sujet abordé. C’est alors une invitation massive qu’il envoie à travers son travail artistique. Il invite à regarder de plus près, à chercher pour mieux comprendre, à remettre en question, voire simplement à poser des questions.

Ses influences nombreuses sont donc des clés pour mieux comprendre son travail, le rap en est la première et la plus importante. L’énergie qui s’en dégage, langagière et musicale, et le contexte social qu’elle sous-tend marquent l’artiste depuis son plus jeune âge notamment quand il raconte volontiers le ras le bol de ses parents lorsqu’il écoutait la cassette de NTM au volume maximum dans sa chambre dans les années 90.

Rap-A-Thon, Charles Bontout.

Rap-A-Thon, 2014, Charles Bontout.

De cette éducation musicale est né un fanzine Rap-a-thon, mêlant rapgame et philosophie. Un lien à première vue étrange mais habilement mené dans un travail d’écriture en prose quasi-poétique :

« Tour à tour triomphant et introspectif, comique sous influence et criminel menaçant, il agite son art au rythme des brutalités qui l’habitent, enfantant ses disques comme autant d’étoiles dansantes. Gucci Mane a encore du chaos en lui. »

Les textes philosophiques lui permettent d’aiguiser son regard sur le monde actuel, de prendre du recul parfois, et lui permettent aussi de mieux comprendre ce qu’il se passe, ce qui se cache derrière un discours, une chanson ou derrière une œuvre littéraire.

Il s’attaque alors à quelques icônes comme Charles Bukowski ou Louis-Ferdinand Céline en leur érigeant une installation à leur nom, les représentant eux et leur œuvre littéraire selon son propre regard, comme un échange fictif qu’il aurait avec eux. Sous forme de drapeau, il créé des étendards de pensée, une manière de les rendre concrètes, de les brandir ou de les laisser pendre misérablement.

En exerçant ses capacités d’analyse et de critique, Charles Bontout en vient à faire du méta-art grâce à ces nombreuses références venant de tous les champs artistiques, d’époques différentes et ayant des pensées diverses. Il ne cherche pourtant pas à faire un art qui se regarde le nombril et qui ne s’adresserait qu’à une certaine élite, bien au contraire : le but étant d’inclure les personnes voyant ses œuvres, que chacune apporte son grain de sel et finissent par enrichir son travail. La curiosité comme mot d’ordre.

Actions, Charles Bontout.

Actions, 2014, série de 6 impressions numériques sur papier photo, 59,4 x 42 cm Charles Bontout.

L’artiste a pour lui un rôle important au sein de la société : celui de venir semer le trouble, par petites gouttes qui viennent déséquilibrer et égratigner l’ordre établi. Ainsi, n’est-il pas naturel de se pencher sur la politique ? Non sans humour, il se plait à comparer les personnalités politiques tantôt à des joueurs de football tombant au sol, tantôt au public installé dans les gradins dans Actions comme si chacun de leur geste ou réaction était simulé, prévu d’avance et exagéré. Il déforme aussi leurs propos dans Ça sonne juste (politics autotuned) où il ne se focalise que sur les faux-pas des politiques et la manière dont ils se défendent ; les mots sont répétés en boucle comme une vieille blague relevant du comique de répétition, mais ce qui est martelé est finalement bien plus important. Charles joue ainsi avec les codes médiatiques, les manipulant par le biais de vidéos Youtube et émet des critiques vives quant à ces personnalités corrompues. « Je ne voudrais surtout pas faire d’art partisan » précise-t-il pourtant lors d’un entretien. Ainsi, il fait clairement la différence entre l’art engagé et politisé, entre la conscience ou le militantisme et ne se positionne en aucun cas comme un artiste engagé mais plutôt comme un agitateur de consciences.

Image de prévisualisation YouTube

[Ca sonne juste (politics autotuned), 2014, vidéo, 2 minutes, Charles Bontout.]

Malgré cela, que penser du montage de Mister California ? Les images d’Arnold Schwarzenegger qui défilent sont celles de ses concours de culturisme alors que le son est celui d’un de ses discours pour la campagne électorale de gouverneur. Que peut-on penser d’autre que cet homme est un opportuniste ? Ou encore qu’il n’est que superficiel, ou que seules les personnes aisées peuvent accéder à ce poste ? Rien de positif pour Arnold n’en ressort alors.

Image de prévisualisation YouTube

[Mister California, 2014, vidéo, 5 minutes 20, Charles Bontout.]

Vidéos, installations, drapeaux, textes, print, photographies, gif, montages, etc. sont autant de médiums que Charles Bontout utilise dans sa pratique artistique. Il jongle avec tous, offre au regard différentes tailles d’œuvres, se permet ainsi plusieurs rythmes de production. Et, avec toutes les références déjà citées, venues de tous les horizons, l’artiste s’est réellement créé un univers particulier, composé de nuages de pensées diverses qui n’ont jamais vraiment la même forme. Le spectateur n’a plus qu’à regarder ces nuages et imaginer les personnages qu’ils représentent.

 

Hélène Mondet

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.