Kévin Cadinot, dans l’inachèvement la forme

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vue de l’installation présentée au Salon Jeune Création 2014, le Centquatre, Paris

Accepter l’inachèvement et se permettre l’erreur, tels pourraient être les mots d’ordre qui conduisent la pratique de Kevin Cadinot. Jeune artiste plasticien français, tout juste sorti des beaux-arts du Havre, on a pu notamment voir son travail lors de la dernière édition du Salon Jeune Création. Lors de celle-ci, il présentait habilement une peinture déstructurée dans l’espace : un coup de sray dégoulinant sur le mur, une structure métallique décalée, des plaques empilées. La peinture se jouait alors dans ce à quoi elle échappait. Elle était éclatée, convulsée presque, renversée pour mieux être interrogée. L’artiste réinterprétait ainsi les principes de la peinture, le rapport à la surface et au support, le jeu de contrastes entre obscurité et lumière, la transition des formes, le jeu de transparence et d’effets de calque par exemple. Dans ce cas, une règle en plastique était enfoncée dans le mur et d’elle semblait s’échapper sur la cimaise un petit nuage de peinture noire. Décollée du mur, d’un mètre environ quatre plaques métalliques perforées servait de paroi et devenait presque un pan de la peinture même, dont la composition serait pensée dans l’espace tridimensionnel du lieu d’exposition. Sur la gauche un empilement vertical de plaques de placo renforçait l’idée de la stratification en seuils picturaux.

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Kevin Cadinot, Placo RYGBGrey pliés, 2014

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KEVIN CADINOT, PLACO CMJ Perforés, 2014

Par cette installation Kévin Cadinot, avec un accrochage précis, mettait en regard la pratique pictural avec son usage dans le monde actuel. Un monde vu sous l’angle des techniques industrielles, un monde où l’on préfère subitement la bombe à peinture au tube d’huile, le métal à la toile de lin. Il s’agit d’un monde où l’on peut peindre en suivant une simple notice. L’artiste y applique ce concept en mesurant la distance indiquée par la marque de la bombe de peinture, en appuyant sur le bouton jusqu’à ce que la pression soit nulle et que la peinture dégouline. La peinture devient un acte de raison ayant abandonné sa spontanéité, un acte normé sans qu’il ne soit vraiment maitrisé par la main de l’homme. La peinture se retrouve constamment dans la démarche de l’artiste. Elle se concrétise en oubliant la toile, et en préférant se déployer sur des matériaux de chantier par exemple. Ainsi, déroulant des membranes de peinture colorées (Cliché, 2011), suspendues au plafond, ou installant une plaque de plexi (Peau d’escalier, 2013) sur laquelle repose des calques géométriques dans l’évocation du fameux escalier duchampien, pour l’artiste, tout devient prétexte à faire acte de peinture. Cette dernière se concrétise donc dans des matériaux abscons, des produits industriels le plus souvent utilisés dans le bâtiment.

L’artiste a l’habitude de travailler à partir de matériaux de récupération, trouvés sur des chantiers de construction ou de rénovation par exemple. De cette économie de moyen, il pense des installations et des structures qui le plus souvent résonnent d’une sobriété poétique. Il détourne ces matières brutes, les enserre dans des cadres, les perfore de tiges métalliques ou les dispose sur des socles presque pour les anoblir, les adoucir, leur conférant le statut d’œuvres. Les plaques de BA13 se font alors moucharabié avec Placo GMJ perforés, 2014, ou socle pour un tube de papier découpé de façon minimale avec Papier machine, 2014. De temps en temps, les structures tendent à se rapprocher de formes modulaires pouvant évoquer des meubles comme avec Placo RYGBGrey pliés, 2014. Cependant cette évocation reste latente, car nulle fonction ne vient animer ces sculptures qui restent bien ancrées dans le champ des arts plastiques.

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Kévin Cadinot, Forme, contre forme 2013

Il y a naturellement un écho avec le minimalisme américain et une certaine pureté de la forme, mais aussi un jeu sur les matières brutes, dont il expérimente les possibles. Par exemple ses installations Camouflage et Forme, contre forme 2013 se construisent dans une référence assumée à Robert Morris. Ce lâcher-prise de la matière, ce décalage est ce qui finalement perdure dans son œuvre, car la sculpture se camoufle, la peinture est éclatée et en volume, elle peut même se faire une peau enroulée et déroulée, s’exposant presque comme une image en train de se révéler. Tout se produit donc dans une certaine forme de non-conformisme et d’écart face aux usages. Kevin Cadinot recherche ainsi l’erreur, ce qui dénote pour mieux le replacer dans un contexte artistique où domine encore une noblesse des matériaux. Si les matériaux nobles sont abandonnés au profit de matériaux communs, dont tout le monde peut faire usage, c’est souvent dans l’objectif de produire des œuvres monumentales ou provocantes. Le jeune artiste cherche, lui, à faire autrement, à disposer simplement les objets et les matières pour créer des dialogues et produire des formes qui semblent parfois s’autogénérer.

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Kevin Cadinot, « Cliché », vue de l’exposition aux atelier Ici, 2011

Si les œuvres de l’artiste montrent de belles finitions, il nous laisse dans une certaine forme d’expectative. Les rouleaux de peau de peinture acrylique de la série Cliché pourraient ainsi être déroulés et déroulés encore. Les coups de spray pourraient dégouliner de plus en plus. Les plaques de placo pourraient s’empiler à n’en plus finir. Kevin Cadinot pourtant stoppe, contraint presque ses objets à l’attente, celle d’un inachèvement ininterrompu. Il offre au spectateur une œuvre produite par un écart, un pas de côté qui laisse un vide non comblé, un vide désignant finalement la place laissée à la dérive de notre imaginaire.

T.F.

Plus d’information sur le site de l’artiste : Kévin Cadinot 

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