Hubert Crabières – Critique

Par Lou Daza.

Alex, photographie argentique, 2013

Alex, photographie argentique, 2013

Hubert Crabières est un jeune artiste français, étudiant aux Beaux-Arts de Cergy Pontoise. Son travail lui a permis d’être sélectionné pour l’exposition « jeune création » au 104 à Paris. Après un passage au conservatoire de Dijon, une Licence de cinéma à la Sorbonne et des cours d’histoire de l’art au Louvre, il rentre aux Beaux-Arts de Cergy par passion. Crabières porte à partir de là son dévolu sur deux domaines, deux techniques complémentaires : le dessin et la photographie. 

Il existe ainsi deux types de photographies : celles prisent sur le vif et celles qui ont voulu donner l’effet d’être prisent sur le vif. La durée de l’instant est un point important dans l’œuvre de Crabières. L’opposition entre cette impression de l’instant et le travail méticuleux de l’artiste en amont a de quoi étonner. A la vue d’une de ses photographies, c’est ce sentiment qui prédomine : nous venons de surprendre quelqu’un dans son intimité. Une gêne s’installe. C’est avec un regard complice ou alors dans la délectation du moment que les modèles s’abandonnent à la vue du photographe – et à la nôtre par la même occasion. Nous voyons avec ses yeux, nous sommes présents dans cette chambre froide ou cette salle de bain humide. Contrairement au parallèle que l’on pourrait faire avec les cinq de Boston, ces photographes qui dépeignaient leur vie dans leur art, Crabières est de ceux pour qui l’art est un travail dont on ne doit pas deviner les procédés. Une pratique qui ne s’inscrit que dans la durée.

C’est aussi la durée de la rencontre. Si les réseaux sociaux permettent aujourd’hui une rencontre « instantanée », ce n’est que dans la répétition des rendez-vous que se dessine le rapport à l’autre et l’intimité. L’œil de l’artiste décèle ce que la personne exprime, de par ses gestes et ses expressions. Petit à petit, il s’approprie cet « autre ». Hubert Crabières voit en cette rencontre un processus. Celui de l’autre qui devient soi. Tout comme l’image qui en ressort, ce faux « pris sur le vif » révèle une fausse intimité : pas celle de son modèle mais la sienne. Les décors de chambres et de salles de bains sont les terrains de jeu de cette intimité biaisée, de cette fausse relation à l’autre. Qu’est-ce qui fait que l’autre est une partie de moi-même ? Peut être son corps. Ici Crabières joue à un rapport de force, manipule, les réduits à une image… et met en valeur leur vulnérabilité. Cette opposition, comme un écho à la pesanteur et la grâce de Simone Veil – titre de sa série – rend à la laideur des corps une beauté particulière, sublimée par un certain détachement au modèle, une relation anonyme et anecdotique.

Lire dans les formes d’un corps, plutôt que dans les expressions des visages sous-entend un érotisme, une sexualité que seuls des corps nus peuvent mettre en valeur. Le corps de l’artiste est représenté par l’intermédiaire d’autres corps photographiés ; il est aussi plus concrètement figuré dans ses dessins. Ici le coup de crayon et le foisonnement des couleurs dessinent le prolongement de son propre corps ; encore un autre type de corps, une autre intimité. Son style désordonné et simple fait en effet de ses dessins la continuation de ses gestes. Brouillés et noirs lorsqu’il traite d’un mal-être, des traits colorés lorsqu’il se trouve dans la contemplation. Il nous amène ici dans ses rêves, à la fois flous et profondément personnels.

Lorsque le corps n’est pas nu, il interagit avec son environnement. Les formes du paysage se mêlent aux individus. Les voyages l’ont quelque fois amené à revoir sa technique et sa relation à la durée des prises de vue. Dans sa série en Islande, le cadre n’était plus personnel, c’était celui des paysages, des scènes de vies instantanées. Même alors dans cette situation Crabières réussit à sublimer le paysage en les prenant en photo à la manière de personnes, de corps étendus face à son objectif.

Il en ressort de l’œuvre de Crabières une intimité banalisée. À la fois proche dans sa familiarité et lointaine dans son détachement. Veil disait « aimer un étranger comme soi-même implique comme contrepartie : s’aimer soi-même comme un étranger ». L’œuvre de Crabières ne porterait-elle pas au final sur l’acceptation de soi et des autres ?

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