Le mobilier urbain ré-investi par les artistes.

Abstract

Nous nous accorderons sur ce point, l’espace urbain est un champ offrant une quantité importante sur le point de vue du développement et de l’innovation pour la création artistique.
Dans cet article, je vous propose de découvrir ou de redécouvrir le mobilier urbain comme un enjeu et un engagement des artistes dans l’amélioration de la société contemporaine.

Dans son livre intitulé « Penser la ville par l’art contemporain », François Delarue (2004) se demande :

« Comment l’appel à l’art contemporain et le dialogue entre urbaniste et artiste peuvent-ils donner du sens à l’espace urbain ou lui offrir une pluralité de sens, aider à retrouver des repères, conforter l’identité des lieux de vie, l’appartenance à un territoire, à une société ? ».

Dès les années soixante, un mouvement général se fait sentir, ce mouvement est caractérisé par une volonté croissante des artistes de sortir l’art de leurs ateliers et des musées pour investir la ville et renouer des liens avec la société moderne.
Un rapprochement qui aurait permis aux artistes de s’intéresser davantage au positionnement et à l’apport du spectateur en l’intégrant progressivement dans des processus de création.
Le spectateur n’est plus seulement regardeur mais acteur du champ artistique dans son environnement proche.
Certains plasticiens ont envisagé que cette relation entre le regardeur et l’œuvre pouvait également s’étendre à une expérience esthétique exclusivement relationnelle, favorisant un lien social entre les individus.
La ville est un espace de mise en scène où les innovations techniques et culturelles coexistent, où la création est aussi espace d’application. L’espace urbain offre en cela une réelle performance pour son développement. De ce laboratoire peuvent émerger de nouvelles formes, de nouveaux langages entre forme sensible et architecturale. Alors, comment s’organise ce nouveau dialogue entre art et urbanisme?
L’enjeu de l’artiste est d’instaurer un dialogue entre son œuvre et le spectateur. En revanche, dans l’espace urbain ce dialogue, cette communication sont réorientés vers un aspect plus étendu et acquiert une multiplicité dans sa fonction.
C’est pourquoi, l’artiste est désormais à l’écoute de la ville, il est un acteur majeur dans la création de nouveaux espaces et de lieux qui invitent la société à repenser notre façon de vivre ensemble.

« Qu’est-ce que l’art public? L’art public ne traite pas de soi-même, mais des autres. Il ne traite pas des goûts personnels, mais des besoins des autres. Il ne traite pas de l’angoisse de l’artiste, mais du bonheur et du bien-être des autres. Il ne traite pas du mythe de l’artiste, mais de son sens civique. Il ne prétend pas à ce que les gens se sentent amoindris et insignifiants, mais de les glorifier. Il ne s’agit pas du vide existant entre la culture et le public, mais il recherche que l’art soit public et que l’artiste soit à nouveau un citoyen. »

C’est ainsi que répond l’artiste et architecte Siah Armajani, quand on lui demande ce qu’est l’art public. Siah Armajani est né en Iran, il s’installe aux Etats-Unis dans les années 1960. Il se définit comme un « artiste public » et digne représentant de « l’art public ».

Mesa de picnic para Huesca, 2000,Siah Armajani

Siah Armajani, Mesa de picnic para Huesca, 2000.

Dans ses travaux, Siah Armajani s’emploie à utiliser des formes et des matériaux issus de la culture industrielle et populaire. Ainsi, dans son œuvre intitulée «  Mesa de picnic par Huesca », l’artiste utilise plusieurs tables de différentes formes pour créer une seule structure, ce qui permet à l’ensemble de garder une seule et même fonction. Ce sont des formes familières, placées dans des espaces communs. Ce qui permet, en outre de ne pas perturber le regard du spectateur et de nouer une relation immédiate entre l’œuvre et son public.

Siah Armajani fait partie de ces artistes qui se questionnent sur le rôle de l’artiste dans la société et sur son impact actuel et futur. C’est dans ce sens, que ses œuvres se placent volontairement entre plusieurs disciplines telles que les beaux-arts, le design, l’urbanisme ou encore l’architecture.
L’importance de s’inscrire dans ces différents domaines est dépendant de son objectif artistique, car l’objectif de Siah est de répondre aux besoins réels pratiques de la communauté pour laquelle ils sont adressés, dans la volonté évidente d’améliorer sa vie quotidienne. Son art devient alors « art utile », au service de la communauté.

Néanmoins, son projet et ses oeuvres, même s’ils répondent à de réels besoins de la communauté, s’inscrivent dans un idéologie social mis en lumière par la société et intégré dans une certaine démarche artistique. Quelque soit son art, destiné et voué à la communauté et appelé « art public », cela n’en reste pas moins de l’art et à se titre ses oeuvres sont exposé dans des musées.
Si l’intention de l’artiste est bien présente et louable, le résultat est bien plus mitigé et contestable.

Dans une toute autre perspective, le développement de l’art dans l’espace public s’oriente plus aisément vers le détournement du mobilier urbain. Accessible à tous, le détournement permet de jouer avec l’espace et le mobilier pour lui donner une fonction plus ludique. Le développement des quartiers et des villes passent pas un remaniement de l’aménagement urbain et à la création de mobilier urbain fantaisiste. Cette forme d’art ne s’inscrit pas dans un mouvement de l’art contemporain au sens large mais ce présente plutôt comme un art ludique au service de notre imagination. Il améliore néanmoins notre plaisir a habiter, à prendre possession de notre environnement immédiat.

Le Yarn Bombing ou en français tricot-graffiti est un art urbain qui commence en 2005 et qui ne cesse d’envahir les villes. Ce phénomène est mondiale, à l’instar des graffitis, le yard bombing se pratique par tous et partout. Le principe est d’habiller avec du tricot, du crochet, de la maille ou des fils, des lieux publics en les rendant moins impersonnels, le mobilier urbain jouent alors les oeuvres d’art éphémère. Cela est d’autant plus intéressant qu’il est pratiqué en majeure partie par des femmes.

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Jessie Hemmons, jeune « yarn bombeuse » explique ainsi au New York Times:

 « Le street art et le graffiti sont habituellement dominés par les hommes. Le Yarn Bombing est plus féminin, c’est comme faire du graffiti avec des pulls de grand-mère ».

 

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Cette exemple nous permet de prendre conscience de l’importance en tant que citoyen des moyens mis à notre disposition pour améliorer notre qualité de vie. C’est encore trop récent pour définir le Yard Bombing comme un art a part entière tel que le graffiti mais peut être qu’il fera un jour parti d’une pratique artistique reconnu. Les messages délivrés par cette pratiques sont divers et variés mais il subsiste un dénominateur commun, l’envie de changer notre environnement. Le détournement du mobilier urbain peut se faire de bien des façon, les artistes sont capables d’enrichir nos installations et de s’impliquer dans la re-découvertes de ces espaces publics.

 

Cependant il est important pour un artiste contemporain de connaitre l’histoire et la structure du lieu qu’il investi. Travailler simultanément avec l’espace et le temps afin d’y apporter un échange dans le présent.
L’oeuvre de Dagmar Schmidt, intitulé « Grabungsstädte » en est un exemple idéal. Mais non seulement, l’artiste nous met en lien avec le passé et notre présent mais elle nous permet de redéfinir la notion même du mot « habiter ».

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Dagmar Schmidt, « Grabungsstädte », 2006, Halle.

En 2006, Dagmar Schmidt rend hommage à l’architecture allemande datant de la fin de la seconde guerre mondiale. Ces bâtiments appelés « Plattenbau » (plateau) sont des constructions dont la structure est un assemblage de dalles en béton préfabriquées. Ce bâtiment investi par l’artiste se situe dans la ville de Halle, en Allemagne de l’Est et ex RDA. Largement utilisé dans les années 1960 pour des programmes de logements sociaux, ils ont été choisis pour leur rapidité de construction et pour être peu coûteux, palliant ainsi à la crise du logement.
De nos jours, de nombreux bâtiments de ce type ne sont plus habités ou du moins habitables en raison de leur vétusté et parce qu’ils correspondent moins au mode de vie de la société allemande.

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Dans cette œuvre, l’artiste a enlevé, ou pour être exact, détruit les 5 premiers étages pour ne laisser que le rez-de-chaussée. Les caves et les accès au sous-sol ont été comblé par du béton, certains murs restants ont été démolis pour créer des entrées aux nouvelles pièces. Il y a eu un grand changement structurel à la construction, les pièces n’ont pas de toit et tout est ouvert. La construction se compose de 6 appartements de 3 pièces. Des canapés, des tabourets, des lits, des lavabos remplissent l’espace.

L’artiste redéfinit les limites de ce que nous entendons par « habiter ». Elle nous propose un espace contenant tout le confort nécessaire à la vie dans un appartement cossu. Nous pouvons occuper cet espace, ce lieu quelques minutes ou quelques heures. Nous pouvons nous servir de ce canapé ou de cette chaise. Donc en ce sens, nous pouvons dire que nous l’avons habité mais par son histoire nous pouvons aussi affirmer que ce lieu nous habite. Il y a objectivement un dialogue fort entre l’histoire de ce lieu et notre époque actuelle, entre passé et présent.
Un dialogue également entre l’œuvre et le public, qui se reconnaît aisément dans la forme de l’œuvre. Le rôle de l’artiste est de travailler avec son temps et de ne pas omettre l’histoire du lieu. La proposition de Dagmar Schmidt, nous permet de comprendre l’importance pour les artistes de proposer des lieux de vie, là où il n’y en avait plus. L’espace est destiné à être utilisé autant que possible, autant que nécessaire à la société.

Investir un lieu, un espace public n’est pas chose aisée, les contraintes sont nombreuses et peuvent être difficilement contournables. Mais l’investir malgré tout est une façon de reconnaitre ses défauts, ses qualités, son histoire. C’est une façon d’avancer et de critiquer notre façon de vivre afin de l’améliorer.

Mon dernier exemple fait appel à l’art de la performance. C’est un des moyens plus personnel pour l’artiste de faire passer un message. Etant un art éphémère, il peut être nécessaire de garder une trace selon le contenu et l’importance du message à délivrer, « A qui s’adresse-t-il? ».
Dans ce cas présent, la performance a été créé dans le cadre du projet « Femmes et W.C ». Un projet interdisciplinaire développé à la Cité Internationale Universitaire de Paris.

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Propos de Denise Cobello après sa performance:

« C’est étonnant la quantité de contorsions et de gestes les plus étranges auxquels les femmes ont recours dans les toilettes publiques pour faire quelque chose d’aussi élémentaire que basique. Notre objectif principal est de faire nos besoins, mais à cela s’ajoute la complication de ne rien pouvoir toucher, d’éviter de trop marcher sur le sol, généralement très sale, de retenir notre souffle autant que possible et de veiller à ce que rien ne tombe de nos sacs ou de nos poches, tout en essayant d’enlever et de remettre nos sous-vêtements et nos vêtements.
Ces mouvements, presque rituels, chorégraphiques, relevant de la pure création artistique m’ont naturellement conduite en tant que commédienne, en particulier à cause de mon intérêt pour le théâtre physique, à rejoindre le projet “Femmes et WC” avec une proposition basée sur les Arts du Geste et du Mouvement ».

 

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Dans le cadre de cette performance nous pouvons pousser le propos plus loin, en s’interrogeant davantage sur la place de la femme dans l’espace urbain en tant que membre et utilisatrice du mobilier urbain. L’espace urbain en l’occurrence le mobilier urbain serait-il fait par et pour les hommes ? La question du genre dans l’aménagement urbain est une question récemment posée. Chris Blache, consultante en Socio-ethnographie à crée en 2003 un site internet intitulé « Genre et Ville ».

http://www.genre-et-ville.org

Elle y publie des travaux et des études sur la question du genre dans notre société et plus particulièrement sur la place de la femme au cœur de nos villes.
Cette performance dénonce clairement l’homogénéité que la société s’évertue à mettre en place sans se soucier de l’évolution de celle-ci. Cette collaboration artistique permet à l’artiste mais aussi au public de réagir sur des questions fondamentales oubliées par l’usage récurrent de ces lieux, des habitudes mises à mal par le domaine de l’art.

 

Conclusion:

L’art d’aujourd’hui continue d’investir l’espace urbain. Il ne cesse d’inventer de nouvelles fonctions et de dénoncer une certaine forme de rationalisation et de conformisme. Le rôle de l’artiste est de s’y soustraire par le fond et par la forme en se questionnant sur le monde qui l’entoure. Son objectif est de donner à voir l’invisible, de confronter la réalité et nos attentes. La diversité des propositions artistiques de l’espace urbain, notamment sur le mobilier urbain en ce qui nous concerne, permet aux artistes de créer un lien immédiat avec le public ou l’usager par l’absence de règles autour de son œuvre. Nous pouvons nous y engager pleinement. C’est ainsi que se forme un dialogue entre la société d’hier et celle d’aujourd’hui où les outils nécessaire ont toujours était l’engagement des artistes.
Le mobilier urbain ne cessera jamais d’intéresser les artistes parce que leur fonction, leurs permettent d’entrée en communication avec chacun d’entre nous. Par ce biais, l’art contemporain nous semble plus proche.

Bibliographie:

-Dagmar Schmidt, « Grabngsstädte – a Tribute to the Plattenbauten », article, Maria Bruna Fabrizi, 2014. http://socks-studio.com/2014/09/14/inhabiting-memories-dagmar-schmidts-garbungsstadte-a-tribute-to-the-plattenbauten-2003-2005/

-Centro de Arte y Naturaleza, Fundación Beulas, Huesca. Siah Armajani, Mesa de picnic para huesca. 2000.http://www.cdan.es/fr/siah-armajani/

-Racines de Poche, Théâtre de geste et de parole, « Rituels de Toilette », 2012.
http://www.racinesdepoche.com/fr/spectacle/14/rituels-de-toilette
-Territoire en mouvement, article 17-18, 2013, « Le rôle des artistes dans la revitalisation des espaces urbains en déclin : pour une approche sensorielle de la ville. » https://tem.revues.org/2043

-Delarue Francois, Offrir une pluralité de sens à l’espace urbain, in A. Masbourgi (dir.), « Penser la ville par l’art contemporaine », Paris, 2004. Éditions de la Villette, p.6.

-« Genre et Ville », Chris Blache, 2003. Plateforme de réflexion et d’action sur identités et territorialités.http://www.genre-et-ville.org

-Observatoire du design urbain, Magazine, article « Du rôle et de l’importance du mobilier urbain dans l’espace public », Frédéric Blerot.

-Ministére de l’Equipement des Transports, du Logement, du Tourisme de la Mer. Rapport de M.Gilbert Smadja sur « L’art et la ville, et sa prise en compte dans l’aménagement urbain ». La défense, le 17 mars  2003.http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/054000281.pdf

-Thése « Les comportements du spectateur comme enjeux de l’art contemporain ». Marion Viollet, Université Toulouse 2 Le mirail. 2011.