Les situations sculpturales de Sergio Verastegui, une réflexion autour de la question des restes

Le jeune artiste Sergio Verastegui n’a sans doute pas fini de faire parler de lui. En 2013, il a été le lauréat de deux prix récompensant des artistes prometteurs : le prix Show Room ART-O-RAMA en août, suivi du prix Jeune Création-SYMEV 2013 trois mois plus tard. Depuis cinq ans, les expositions aussi bien personnelles que collectives auxquelles il a participé sont nombreuses, que ce soit dans des galeries ou des salons, en France et à l’étranger. Réalisant principalement des peintures, des sculptures et des installations, il utilise des matériaux très variés tels que le carton, le bois, le plastique, etc. Il travaille particulièrement autour de la question des « restes », de la récupération de fragments qui deviennent partie d’une ou de plusieurs de ses œuvres lorsqu’il les réutilise.

D’origine péruvienne, Sergio Verastegui vit et travaille maintenant à Paris. Après avoir étudié à l’Ecole des arts visuels de Rio de Janeiro et à l’Ecole nationale supérieure d’art Villa Arson à Nice, il a commencé une thèse en 2011 à l’université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis. Effectuée sous la direction de Jean-Philippe Antoine, tout à la fois enseignant-chercheur à Paris VIII, philosophe, critique d’art et plasticien, celle-ci s’intitule Les mots et les formes : le rapport entre le livre et l’espace d’exposition de Marcel Broodthaers à nos jours. Quel lien Sergio Verastegui fait-il entre sa pratique artistique et cette étude théorique ? Faire cette thèse lui permet-il d’avoir plus de recul sur son travail créatif ? Nous avons sollicité l’artiste par courriel afin d’approfondir cette question mais il nous a laissé sans réponse. Il semble néanmoins s’exprimer avec une certaine facilité sur son travail, comme en témoigne le texte qu’il a écrit pour nourrir son blog personnel.

Interrogé sur ses influences, il n’a là encore rien précisé. Le texte de présentation de son exposition à Jeune Création cite trois artistes comme étant ses référents : Bruce Nauman, Mike Nelson et Manfred Pernice. Nous pouvons sans doute effectuer un parallèle entre ses installations, sa manière de disposer les éléments dans l’espace, sa récupération et son recyclage d’éléments bruts avec la pratique de Nelson et Pernice.

Le fil conducteur de son travail semble être son utilisation des « restes ». Morceaux de cartons, fragments de bois, canettes métalliques… Sergio Verastegui récupère ce qu’il trouve, afin de leur donner une seconde chance, une deuxième vie. Ces matériaux pauvres deviennent la substance de « situations sculpturales » et d’installations qu’il agence dans l’espace d’exposition. L’artiste a tout un discours à propos de l’importance des restes et de l’utilisation qu’il en fait dans ses œuvres. Il récupère les « fragments » d’objets ou de matières qui l’intéressent. Sur quels critères ? Il a laissé planer le mystère… Peut-être pourrions-nous parler d’une rencontre entre l’artiste et ces morceaux de matériaux. Comment les conserve-t-il ? Sergio Verastegui parle de stockage, il a sans doute mis en place un système pour les garder avant de les réutiliser. Il s’agit principalement de matériaux bruts, du bois, du carton, mais également des objets en métal, en plastique, du fil, etc. Il lui arrive de les peindre ou de les attacher entre eux avant de les agencer les uns avec les autres. Ce sont souvent des matériaux pauvres, qui donnent à ses œuvres un caractère précaire, fragile. Pour l’exposition Jeune Création, il a utilisé des morceaux de parquet flottant, disposés sur le sol ou empilés, des boites en carton dans lesquelles il a disposé entre autres choses un miroir, de la ficelle, une main sculptée, etc. Il a également assemblé des planches, qui semblent former des meubles incomplets. Sur l’un d’eux, il a posé deux canettes métalliques vides écrasées. Il mélange donc des matériaux bruts et des objets à l’apparence plus travaillée (fausses mains, canettes, miroir) mis sur les premiers comme sur des socles. Dénués de leur fonction première, mis en valeur tels des reliques, ils attirent l’œil, acquérant un intérêt particulier.

En suivant un processus construit, l’artiste créé des œuvres où chaque élément a son importance et participe à l’équilibre de son ensemble. Il détaille ce processus en plusieurs étapes. Il explique tout d’abord « fixer des micro-accidents isolés » non délibérés, qui surviennent sans son intervention. Il s’attache dans un deuxième temps à favoriser la création de nouveaux accidents, par la disposition des éléments constituant ses œuvres dans l’espace. A travers l’explicitation de ces deux étapes nous comprenons l’importance que Sergio Verastegui accorde au hasard au cours de l’élaboration de ses situations sculpturales, mais aussi toute la construction mentale qu’elles nécessitent. Tout ce hasard et cette réflexion s’équilibrent, générant des œuvres à la fois pensées et tributaires des aléas. En ce qui concerne leur installation et l’agencement des fragments qui les constituent, Sergio Verastegui explique effectivement l’importance d’une préparation préalable, à la fois mentale et matérielle. Le site internet de Jeune Création a publié une photographie d’un carnet de l’artiste, montrant un croquis préparatoire pour la disposition des éléments d’une œuvre dans l’espace. L’artiste réalise une économie de moyens, tout d’abord car les matériaux qu’il utilise sont pauvres, ensuite car il les installe en économisant ses gestes, en partie grâce à cette préparation.

Sergio Verastegui accorde une importance essentielle au lieu où il expose, ce dernier déterminant la disposition des différents constituants de ses installations, que l’on pourrait ainsi qualifier d’œuvres in situ. Dans ses installations, le sol a une place élémentaire et résonne comme un territoire, les fragments étant souvent disposés par terre. Cela donne l’impression que son œuvre est implantée dans le sol et que Verastegui a créé une sorte d’inter-sol ou d’inter-espace. Ses installations sont généralement constituées d’assez peu d’éléments, Sergio Verastegui ne surcharge pas l’espace, ses œuvres sont disposées de manière à laisser un passage où puisse cheminer le spectateur.

Son exposition à Jeune Création nous a donné l’occasion de mesurer tout cela. Les pièces qui y étaient présentées ont été réalisées par l’artiste entre 2011 et 2013. Il les a disposées dans l’espace en l’investissant et se l’appropriant avec réflexion, dans un agencement harmonieux et poétique. Il a utilisé de nombreux morceaux de plancher flottant, les plaçant dans l’espace parcimonieusement et non pas en recouvrant le sol. Ce dernier semblait ainsi incertain, mais le spectateur était invité à déambuler parmi ces fragments. Cette disposition aérée mettait chaque élément en valeur et même si certains d’entre eux attiraient plus l’attention, aucun ne paraissait écrasé par les autres. Cette configuration donnait l’effet de rentrer dans l’univers de l’artiste, comme si nous avions accès à son atelier. Le spectateur est incité à cheminer librement parmi les différents éléments de ses œuvres, sans être guidé. A lui de trouver son chemin, de tenter de comprendre ces situations sculpturales, d’écouter ce qu’elles ont à dire. Il est invité à y participer, et à entrer en interaction avec leurs différentes pièces. Il peut ainsi laisser libre cours à sa perception des installations. Par leur côté labyrinthique, celles-ci rappellent les créations de l’artiste britannique Mike Nelson, tout en étant bien plus éthérées.

A travers l’élaboration de ses oeuvres, Sergio Verastegui cherche à instaurer un dialogue avec le spectateur, à les faire interagir entre eux. Il tente pour cela d’établir un fil directeur, qui le guide mais tout en le laissant libre d’interagir avec ce qu’il voit, sans qu’un discours lui soit imposé. L’artiste exprime à ce propos l’importance de la préparation de son travail, très réfléchi malgré l’impression de dénuement ou de simplicité qu’il peut présenter, et malgré l’importance accordée aux accidents.

Le fil a une place plus concrète dans certaines de ses œuvres. Verastegui l’utilise parfois pour relier des éléments entre eux, ou bien les délimiter avec une trame régulière, comme c’est le cas dans Espanto del futuro, l’œuvre qu’il a présentée à l’exposition « Engrammes », dans la galerie parisienne 22,48m² en 2012. L’artiste évoque à ce propos son inspiration de procédés archéologiques, notamment celui du carroyage. L’influence de ces dispositifs archéologiques sur son travail démontre toute l’importance que l’artiste accorde aux restes, à ce qu’ils peuvent devenir et à l’histoire qu’ils portent en eux. Sergio Verastegui n’instaure donc pas seulement un dialogue entre ses œuvres et le spectateur mais établit avant tout une conversation entre les éléments qui constituent chacune d’elles, qui semblent échanger. Que se passerait-il si nous changions l’un des objets de place ? Cela créerait-t-il une autre conversation, un autre dialogue ? Nous pouvons rapprocher sa volonté d’établir un dialogue à une utilisation discursive du fragment, chaque élément ayant une histoire et en vivant une nouvelle en interagissant avec ce qui l’entoure. Ses œuvres ont des qualités conceptuelles et semblent être la métaphore d’une réalité disloquée. Tel un archéologue, Sergio Verastegui accorde une importance particulière à la trace que ces objets gardent de leur passé, à leur histoire inhérente. Ses œuvres sont ainsi très liées à l’idée de mémoire, comme en témoignent celles exposées à la galerie 22,48m². Elles semblaient mettre en résonance les souvenirs contenus dans chaque objet choisi par l’artiste avec la mémoire du spectateur, stimulée par leur vue.

En plus d’établir une interaction entre ses œuvres et le spectateur, Sergio Verastegui met en place un échange discursif entre ses différentes créations par la réutilisation de fragments qui les constituent. Ses installations qui n’existent en tant que telles seulement dans l’espace d’exposition, sont éphémères. Elles forment des sortes de micro-univers précaires et transitoires. L’artiste s’intéresse cependant à leur persistance dans d’autres espaces et sous d’autres formes, par exemple dans son atelier et dans leur espace de stockage. Mais quel est leur statut dans ces autres lieux ? Sergio Verastegui a raconté qu’un jour l’une de ses œuvres s’étant cassée, il en a récupéré un morceau qu’il trouvait intéressant dans son état de déchet et l’a gardé dans une boîte, avant de s’en servir à nouveau pour une œuvre. Il s’est mis ensuite à récupérer des fragments de ses situations sculpturales pour les réutiliser. Il qualifie ainsi son art d’auto-cannibale, se nourrissant de lui-même et étant une « reconstitution à partir de la destruction ». Ses œuvres survivent de cette manière, évoluent, peuvent toujours être continuées grâce à ce recyclage. L’artiste dit élaborer un vocabulaire posthume, en partie lié à une réflexion autour de la mort, ce qu’il advient du matériel « après ». Que faire avec les restes ? Sergio Verastegui s’interroge et nous pose la question à travers son art. Il explique tenter ainsi de répondre à « l’impasse du postmodernisme ». Selon lui il se place, par le fait même de se la poser, dans « le monde actuel », en s’interrogeant également sur le concept de crise. « Qu’est-ce une crise et en quoi consiste-t-elle ? La crise d’un espace, d’une idée ou d’un corps, par exemple ? La crise du sens ? J’aime les formes du passage, temporaires, ouvertes, non-définitives ». Cette question des restes, leur devenir, leur transformation et leur recyclage est effectivement une des grandes préoccupations de notre époque. C’est pour cela que selon l’artiste elle correspond à un positionnement tout à la fois « historique, politique et artistique ». Pour lui, cette interrogation est un véritable positionnement et un engagement. A travers ses œuvres, il semble nous inviter à réfléchir à notre tour à ce qu’il peut advenir de ces restes, en nous incitant d’une certaine manière à nous y engager.

Louise Faucheux

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