_Déconstruction de la notion d'auteur, _La valeur des images en stock

En déconstruisant la fonction d'auteur, le sujet n'a plus la même vocation: celle de donner du sens et de la valeur selon le concept d'age Classique. Le "moi" à la première personne entre dans une logique de signes, de codes et de modèles. Ce "moi" dans les oeuvres de Cindy Sherman fait partie d'un monde fictionnel où l'identité apparaît sous une forme multiple dont chacune se présente comme "image-modèle", emblématique du post-modernisme photographique. Chez Christian Boltanski, la défection du sujet détourne le sens des images privées. Ses photos de famille propres à la pratique d'amateur s'inscrivent sur le registre des images stéréotypées, ordinaires. Le dispositif choisi par l'artiste de reproduire en grand nombre des portraits d'enfants anonymes, remet de nouveau en question les paradigmes de la création d'oeuvre, de son statut, de son unicité et de sa signature. C'est un exemple représentatif de réalisations d'oeuvres par le processus de reproduction que Barthes a défini comme "un déplacement de la production à la reproduction". Pour revenir à la Petite Histoire de la photographie de Walter Benjamin qui détermine les spécificités du médium dont la reproductibilité et la sérialité mettent en cause la notion d'aura et d'autonomie d'oeuvre.

Certaines types d'agences, telles que
Grore Images se limitent à proposer un stock d'images déjà existantes sans tenir compte de leur valeur artistique. Victor Burgin suivait déjà ce mode de fonctionnement en utilisant des images préexistantes comme matériau, intégrées aux oeuvres pour faire apparaître des sens nouveaux. L'artiste ouvre la voie narrative de l'oeuvre en renonçant à la dimension plastique. La dimention visuelle de l'oeuvre semble se soumettre à la narration et à l échange entre l'image et le texte. "Le plaisir du texte" de Barthes oppose la puissance d'écriture à l'image ontologiquement "pauvre".

illustrations: haut_Christian Boltanski, "Album de photos de la famille D. 1971", 150 photos noir & blanc encadrées; bas_Victor Burgin, "Performative/Narrative", 1971, photos et textes imprimés en 16 parties+1, 34x24 cm et 34x67 cm , chaque partie.



    _La nature "plate" de l'image photographique

La Chambre claire renvoie davantage à la nature "mate, plate et bête" de la photographie définie précisement comme "message sans code" avec trois niveaux de sens: informatif, symbolique et signifiant (punctum). Elle reste proche de la tautologie au sens où il y a toujours une certaine forme de représentation en dehors du référentialisme absolu et de la fusion d'image avec son référent, que Philippe Dubois commente dans L'Acte photographique. Dan Graham revendique aussi la pauvreté ontologique de l'image photographique faisant partie intégrante d'un article où les éléments textuels et visuels partagent le même degré d'importance. Loin des conventions formelles de la "belle image", l'artiste suit la logique de production photographique selon des règles imposées par le support du magazine illustré. Un autre support médiatique, tel l'affiche publicitaire constituée des images et des messages à vocation sociale, préoccupe également l'attention de Barbara Kruger.

    _Après la photographie

Une telle démarche artistique renvoie au geste artistique minimal d'amasser, de répértorier et de recycler toute sorte d'imageries saturant le quotidien. L'exposition Le Monde après la photographie traite la problématique de notre confrontation aux images en permanente circulation qui se reproduisent à l'infini. La photographie fait donc en sorte que notre perception du monde n'est plus confrontée à la chose elle-même, mais à "l'image de son image.

illustrations: haut_Barbara Kruger, "Delamy Street et Allen Street", New York, 1989; bas_Alain Paiment, "Chantier", 1992, papier photo argentique barité collé sur des panneaux composites bois-styrène, 350x700 cm_Pierre Huyghe, "Chantier Barbès-Rochechouart" (Paris), 1994, poster impression offset, éd. 1/3, 80x120 cm _Jenny Gage, "Untitled n°3 et n°21", 1996, photo couleur, éd. 1/5, 60x99 cm



    _Métisser, hybrider, approprier

La reproduction propre à la nature photographique amène à redéfinir les déterminations internes de l'image, elle devient une sorte de matériau appelé à être manipulé par les artistes. D'ici vient la naissance des procédés d'hybridation, de recyclage et de la réappropriation en art contemporain. L'hybridation entraîne l'apparition des "photographies-peintures", des "photographies-sculptures", des "photographies-cinéma", toutes exemplaires d'une dialectique établie entre diverses productions médiatiques. Les médias rentrent dans la logique d'échange à tous les niveaux artistiques à travers le processus du métissage.

Alain Fleischer établit des rapports entre différents médias en opérant sur l'interface de la photo et du cinéma. Ses oeuvres métissées tentent de moduler des nouvelles configurations artistiques. Cette forme de mélange repose sur le rejet de l'image originale, neuve, unique tout en mettant en avant le recyclage des pratiques interrogeant à la fois le sens de l'image, sa réception, et les conditions de la perception. Quant à l'artiste, sa fonction ne rentre plus dans un schéma de destruction par les pratiques appropriationnistes en question. Selon Dominique Baqué, "le métissage contemporain ne déconstruit pas mais tend à restaurer le rôle de l'artiste", contrairement au photomontage des années 20 qui met fin au mythe de l'artiste créateur.
Le montage en photo fait penser à la pratique d'hybridation en se référant à ses objectifs: traitement de la photo comme matériau, opposition au purisme en art, déconstruction et reconstruction des oeuvres. Le photomontage apparaît comme une pratique avant-gardiste d'échange entre la photo, la peinture et l'écriture. "Monter des images", pour reprendre les paroles de Raoul Hausmann traduites dans le langage contemporain, voudrait dire metisser des médias aujourd'hui. En face des pratiques appropriationnistes
la photographie "plasticienne" rend possible l'hybridation des images médiatiques non seulement sur le plan technique mais sur le plan philosophique. C'est-à-dire que l'art du métissage pose la question de l'altérité car il se retrouve en face de son Autre - "culture médiatique et industrie culturelle". L'idée d'accéder à cet Autre par l'appui de procédés appropriationnistes, détourne violemment les principes de l'art. Les oeuvres perdent l'unicité au profit d'un rapport non-auratique quant à leur production,réception et perception. Il n'y a donc plus ce mythe d'artiste, d'originalité et de pureté.
La photographie plasticienne réussit à ébranler les fondements de l'art. Enfin, peut-on la décrire comme un art paradoxal par sa manière de s'infiltrer en art?
illustration: Eric Rondepierre, "Scène W1630A", extrait de la série Précis de décomposition 1993-95/; Katharina Sieverding, "Kontinentalkem I, XXIV-1,83, 1983", photo colorée, 400x700 cm