_Pour une légitimation théorique de la photographie en art

L'inscription de ce type d'image dans le champ de l'art pose de nombreuses questions quant à sa légitimation longtemps réfusée par les philosophes et les critiques. Malgré le rejet de son statut artistique, elle réussit à déconstruire les positions stables de l'art à la fin des années 60 car elle s'y infiltre d'une "façon paradoxale comme image-trace, relique, témoignage". Qu'y a-t-il de paradoxal dans cette filiation? Mettre l'art en situation incertaine en détruisant ses postures ou bien "la photo aux risques de l'art" selon les termes de l'auteur.

    _Comment définir la photographie plasticienne?

Opposée aux courants photographiques, dont le reportage, elle ne s'inscrit pas dans une histoire pure et linéaire du médium. Son rapport aux arts plastiques semble essentiellement dominant si l'on prend en compte les pratiques diverses des artistes utilisant la photographie. Ceci explique la revendication de certains photographes comme artistes. Cette inversion des rôles, définis dans l'histoire de l'art et respectés par la tradition des Beaux-Arts, paraît évident dans le cadre de l'exposition Ils se disent peintres, ils se disent photographes organisée par Michel Nuridsany en 1980. Le problème posé ici consiste en un certain bouleversement de statut d'artiste: peintre, sculpteur, artisan, tout sauf photographe. Sur le plan chronologique, c'est le début de la conquête des institutions artistiques par les photographes. Les premières interventions en font un constat réel.




En 1991,
Suzanne Lafont expose ses travaux photographiques à la galerie du Jeu de Paume, lieu réservé exclusivement aux peintres et sculpteurs. Les "photo-tableaux" en grand format référencés au cadre pictural de Jean-Marc Bustamante, sont également présentés dans les musées et les galeries.
Ce genre de manifestations artistiques, exceptionnelles à l'époque, montrent comment la photographie plasticienne regagne le terain de sa légitimation en art.


    _Entrée historique en art

Historiquement, son entrée commence dès les années 60 avec le mouvement Combine Painting de Rauschenberg et les sérigraphies d'Andy Warhol. L'image photographique apparaît en tant que sérielle, plate, uniforme, ordinaire, banale comme "image-signe" ou "image-langage", afin de ne pas donner d'autres exemples quant aux capacités propres au médium photographique, considéré inférieur à la peinture selon la hiérarchie médiatique. Pour le Land Art, l'Event, le Happening, la Performance, y compris l' Actionnisme viennois, elle joue le rôle d'outil d'enregistrement informatif, de documentation, de preuve de ce qui s'est produit sur le terrain artistique. "Condamnée à n'être qu'une servante des arts" au sens de Baudelaire, elle s'affirme bien différemment dans les interventions performatives de l'artiste Gina Pane où son rôle documentaire se transforme en une sorte de modulation conceptuelle. C'est-à-dire qu'en laissant des empreintes sur son corps, l'artiste suit le processus d'écriture par contact sur la surface corporelle, processus lui-même d'origine photographique.

illustrations: haut_Suzanne Lafont, "Le bruit", 1990, tirage noir & blanc sur papier bromure d'argent, 124x780cm; bas_Gina Pane, Azione Sentimentale, 1973



    _La photographie et les conceptuels

Chez Hamish Fulton, Richard Long ou Robert Smithson, le médium photographique dépasse sa fonction de pur reproducteur mécanique, qu'il soit documentaire ou archiviste, et s'intègre au concept initial du projet, à sa mise en forme, au mode d'exposition. Le cliché photographique franchit donc ses déterminations internes de document factuel, de preuve, de trace, pour accèder à l'échelle d'oeuvre d'art. Le renversement de sa fonction dissous clairement la hiérarchie préexistante soit disant artistico-dogmatique en mettant en interrogation les concepts d'oeuvre, d'auteur et de recepteur. Comme l'estime Dominique Baqué, en déconstruisant les positions de l'art, la photo prend le risque et la situation de l'art par conséquent devient relativement incertaine.


    _Reproductibilité, sérialité, multiplicité

L'art moderniste dont Greenberg tient à conserver la pureté et "la nature unique", ne résiste pas à la contamination par les pratiques appropriationnistes, telles le métissage, l'hybridation et le recyclage. Le médium photographique en fait partie avec ses capacités de multiplier, répéter, sérialiser des oeuvres dites "uniques". Par exemple, Sherrie Levine reproduit des clichés de grands photographes américains en rajoutant sa propre signature. Ainsi la notion d'auteur, d'oeuvre et d'originalité disparaît, d'où la perte d'autonomie de l'oeuvre au sens greenbergien.

illustrations: haut_Michael Heizer, "Displaced Mass Silver Springs", Nevada, 1969_Dennis Oppenheim, Parallel Stress, mai 1970, photo noir & blanc, 229x101,5 cm; bas_Rudolf Bonvie, "Sperme que j'aime", 1994, photo, journal, acrylique sur verre, 42x121 cm