Espaces. Déplacements. Dérives. 01
La conférence du 3 décembre 2008 a été ouverte par la présentation de Thiery Davila sur «Le déplacement dans le processus de création artistique». Ses propos sont présentés en détail dans son livre Marcher, Créer. L’idée centrale de cette conférence est que l’artiste, en quittant son atelier —espace classique par excellence de travail créatif— trouve dans le déplacement un outil privilégié de création. Pour des artistes comme Gabriel Orozco et Francis Alÿs, la notion d’atelier comme lieu de production commence alors à se défaire. «Cela signifie que chez eux, marcher est un moyen artistique, politique d’interroger le monde tel qu’il va, de s’y insérer, de le transformer d’une manière infra mince à partir d’actes, de gestes frappants.»
(«Le déplacement un outil artistique spéculatif» Thierry Davila http://www.synesthesie.com/mobilites/popup/davila_texte.html )
Les artistes qui marchent sont comme des explorateurs. Je ne pense pas qu’il s’agit de trouver quelque chose de précis au but de ce voyage, c’est plutôt l’acte en soi de se déplacer et ce dialogue permanent avec la ville qui compte. Des artistes comme Francis Alÿs, Gabriel Orozco ou le groupe Stalker à Rome entretiennent des rapports très vivants avec l’espace urbain. Leur démarche n’est pas sans référence, surtout quand on pense à l’image baudelairienne du flâneur, bien définie par Walter Benjamin dans son livre Paris, Capitale du XXe siècle. De plus, il y a aussi la pratique de la dérive telle que les situationnistes l’ont mise en valeur. Le mouvement est aussi un outil d’expérience, de mise à l’épreuve du réel, d’expérimentation du réel. L’art ne se limite plus à la volonté du créateur mais il est vécu par tout le monde: par les passants, par les habitants de l’immeuble qui exposent leurs oranges à la fenêtre, à la demande de l’artiste, par les touristes… Le rôle de l’artiste change également. Il ne détient plus le contrôle absolu de son œuvre. Il donne seulement le premier coup de pouce. Le reste se fait par soi même. L’artiste acquiert le statut d’un nomade. Il explore le milieu urbain. La ville est comprise en tant qu’organisme vivant, qui respire, vit par ses habitants…On peut y prendre son pouls, l’écouter, la filmer, la photographier.
L’œuvre est soumise aux variations de la rue, aux passants. Par exemple, Francis Alÿs se promène le pistolet à la main pendant dix minutes avant de se faire arrêter par la police. C’est une démarche très expérimentale dans laquelle l’artiste se laisse simplement aller à la volonté du hasard. Cette idée est théorisée par Guy Debord en 1954 comme une «se laisser aller aux sollicitations du terrain». Cette question du hasard est traité aussi par Sophie Calle, lorsqu’elle se met à suivre les passants dans la rue et arrive même jusqu’à Venise dans son jeu.
L’exploration de la ville ne se fait pas de façon homogène, linéaire. Thierry Davila parle d’une cinéplastie, c’est à dire que la ville est perçue de façon fragmentaire, comme les clichés cinématographiques. La dérive s’appuie sur les ressources plastiques du langage cinématographique pour traduire visuellement le dépaysement urbain. Il y a aussi une dimension accidentelle de la dérive, lorsque la prise d’information se fait au fur et à mesure, de façon aléatoire et le paysage urbain est perçu comme un puzzle.