Alea cinema est


Jean-Charles Fitoussi, Les jours où je n’existe pas

Jean-Charles Fitoussi, lorsqu’il filme l’imprévu et le repense, comme dans son film Aura été, renouvelle le concept de l’uchronie. Mais qu’est-ce-que l’uchronie ? Selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, l’uchronie est une :
«
Histoire refaite en pensée telle qu’elle aurait pu être et qu’elle n’a pas été » (ThinèsLemp. 1975).
Époque fictive; évocation imaginaire dans le temps. Espace et durée vécus: le «moi-ici-maintenant»: utopie et uchronie, deux biais par lesquels nous cherchons à échapper à notre condition en nous donnant les apparences abstraites de l’éternité (Mounier, Traité caract., 1946, p. 299).[1]

Il semble que c’est cette idée d’éternité qui est le leitmotiv du travail de ce cinéaste (un de ses films ne s’intitule t-il pas Bienvenue dans l’éternité?), idée de temps infiniment cyclique que l’on retrouve dans les dialogues de ses films de Temps Japonais:
Dis, ça fait longtemps que le temps existe…
Tu penses ainsi chaque printemps.
Vous voudriez percevoir le miracle de l’existence!Est-ce une volonté de la part de Jean-Charles Fitoussi de ne plus subir le temps présent et ses imprévus dans son infinie «tyrannie de l’instant» pour reprendre l’expression de Paul Virilio? Est-ce une volonté de reconstituer une vision subjective des choses qui «ont été» et par là même exorciser la violence du temps réel? Cette hypothèse semble prégnante, d’autant plus que Aura été, outre les documents produits par Jean-Charles Fitoussi, comporte des images d’archives montrant les grands traumatismes de ce siècle (images de charnier, de nuage de bombe atomique etc.)

Au lieu d’exhiber l’inévitable violence du temps réel, peut-être nous faut-il retrouver un temps de l’irréel, un temps qui n’admettrait pas ce diktat de la factualité, de la réalité brute et brutale, non maîtrisée, impudique, immédiate. Peut-être nous faut-il renouer avec un temps qui se déroule au fil de la pensée, un temps humain.

Comme le souligne Marivone Saison qui s’insurge elle aussi, contre la violence du temps réel:
«Ce qui soude les individus est la maîtrise d’une temporalité créée.»[2]
Se recréer une histoire, comme l’on faisait enfant. Mais en reprenant l’injonction de Marivone Saison, c’est-à-dire en créant collectivement une temporalité. C’est ce que réussit à faire Jean-Charles Fitoussi, laissant toujours les autres s’exprimer librement, en ne dirigeant pas ses acteurs ou en filmant simplement les tranches de vie d’inconnus par exemple.

Mais finalement le sujet des films de cet artiste n’est pas vraiment ces historiettes parfois sans queue ni tête, mais le Temps lui-même, avec un grand T c’est-à-dire le Temps en tant qu’entité. La réalité, condamnée à être l’esclave du temps, s’en affranchit alors pour trouver une autre dialectisation.

Ornella Lamberti

[1] Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http://www.cnrtl.fr/definition/uchronique

[2] Marivone SAISON, Les défis du temps réel, Colloque Art Média X co-organisé par Mario Costa et Fred Forest à la BnF, Paris, le 12 décembre 2008 et à l’INHA, Paris, le 13 décembre 2008.