Impromptu, la beauté du hasard

Je vais écrire cet article impromptu. S’il y a une chose que la conférence de Jean-Charles Fitoussi m’a confirmé, c’est qu’il faut être ouvert au hasard et à la coïncidence. Petit soupçon que j’avais déjà, je pensais que ce penchant venait plutôt d’une inconsciente fainéantise contre laquelle je me suis longtemps battue. je dis désormais que c’est un point de vue, une nature, une façon de voir les choses. (Me voilà donc rassurée). Comment caractériser le cinéma de Jean-Charles Fitoussi? Je serais tentée d’accorder à ce style le terme de «faux-documentaire expérimental». La série de films réalisés au Japon en sont la preuve.
«Faux-documentaire», car ses films sont à cheval entre le documentaire et la fiction. Les images sont pour la plupart d’entre elles réelles et spontanées, et les sous-titres qu’il rajoute en guise de traduction, fictifs. Expérimental, car tout le principe de Jean-Charles Fitoussi n’est qu’expérimentation; l’utilisation d’un téléphone portable à basse résolution donne naissance à des images pixellisées et donc à une matière intéressante et exploitable. Le fait de laisser une grande part à la non-maîtrise et aux circonstances aléatoires lors de ses tournages relève également de l’expérience. Presque rien n’est programmé: c’est sans doute ce qui lui permet de choisir les meilleurs éléments, car ils adviennent tous seuls, et ne sont pas forcés (1). Fitoussi lui-même dit: «Il s’agit de laisser l’image influer et laisser venir l’idée par cet hasard», de filmer sans idée derrière la tête.

Le montage de ses cartes postales vidéo relève également de l’expérimentation: les séquences sont postées sur le blog d’une résidence d’artistes, la Villa Kujoyama, non pas dans un ordre chronologique, mais de façon à ce que ce soit l’utilisateur qui fasse son propre montage en choisissant l’ordre dans lequel il visionne les clips.

Ce «collage de collages» finit par créer une narration par la juxtaposition d’éléments imprévisibles. En  laissant au spectateur la capacité d’élaborer son propre montage, Fitoussi l’incite ainsi à créer ses propres impressions, et ses propres émotions. Hitchcock disait d’ailleurs: «le cinéma c’est essentiellement de l’émotion. Ce sont les bouts de film reliés les uns aux autres qui créent une idée, qui, à son tour, crée une émotion dans l’esprit du public, non pas au travers des paroles, mais par le visuel. C’est un médium visuel, et le montage en est l’essentiel. Tout l’art du cinéma n’est que pur montage.» (2)

Que ce soit dans le matériel, dans la technique, ou le résultat final, Jean-Charles Fitoussi mise avant tout sur l’aléatoire et le hasard, éléments que certains pourraient facilement qualifier comme un manque d’organisation; cependant, il est quand même remarquable de noter cette structure et création de sens émergeant et prenant forme au fur et à mesure de la création d’un film. C’est sans aucun doute cette perspective élargie et abstraite qui lui permet d’aboutir à des résultats concrets, riches en significations et dotés de sens.

Danaé Papaioannou

Notes

(1) En guise d’illustration de cette idée, dans un autre contexte: je ne pense pas que Bernardo Bertolucci avait prévu que les cheveux d’Eva Green s’enflamment durant le tournage d’une scène des Innocents, 2003- c’est pourtant, à mon avis, un des plus beaux instants du film)
(2) Interview avec Arthur Knight, 1973, in Alfred Hitchock Interviews, éd. Sidney Gottlieb, University Press of Mississippi, 2003 (traduction libre)