Marcher, flâner, créer
Déjà au Lycée d’Aristote, les étudiants marchaient pour apprendre, car selon le maitre, la déambulation autour des collections de botanique et autres était le meilleur moyen de s’instruire et de réfléchir. Thierry Davila, commissaire d’exposition au MAMCO de Genève nous montre des œuvres d’artistes actuels qui traitent la question de l’homme qui marche, le flâneur. Pour définir son propos, intitulé «Bodies-city» il s’appuie sur quelques citations de Benjamin. De nombreux exemples d’œuvres mettent en scène l’artiste qui marche dans la ville avec un objet, un procédé, chargé de symboliser le temps, la trace, la mémoire: la boule de plastiline que Gabriel Orozco fait rouler aux pieds, le jouet roulant ou les bottes aimantées aux pieds de Francis Alÿs qui attirent différents métaux de la rue. Thierry Davila précise que les artistes offrent rarement une vision globale de la ville. C’est l’horizontalité qui est privilégiée. Cela peut s’expliquer, dans la mesure ou c’est objet final qui importe, et le temps nécessaire à le créer.
Les propos de Thierry Davila résonnent avec les œuvres d’Esther Polak, qui travaille sur la trace des personnes dans leurs trajets quotidiens (d’abord avec le AmsterdamREALTIME project, puis dans MILKproject). Ces portraits suscitent chez les marcheurs une émotion. Ils se retrouvent devant leur propre trace. Esther Polak est autant intéressée par le dessin créé à l’aide du GPS que par la réaction et les échanges humains provoqués par ce dessin. C’est peut-être pour ça qu’elle s’oriente maintenant vers les pays d’Afrique, dans le projet NomadicMilk.
Ainsi, il en ressort que, dans le climat actuel (les réseaux, les flux urbains, mondiaux, de plus en plus importants et sans frontières), on cherche sa place. La trace est comme le signe que nous vivons. Comme s’il n’était pas suffisant de se sentir marcher, pour se sentir vivre. Se voir, garder une sorte de résumé d’une expérience. Thierry Davila parle d’insertion du corps et du geste dans la ville. Cette idée d’insertion est importante car à juste titre, il rappelle que les artistes du début du siècle disant qu’il fallait tout effacer pour créer. Aujourd’hui, les artistes contemporains créent avec, dans leur monde, en parlent et vivent dedans.
En cherchant sur Google, j’ai trouvé l’interview de Xavier Bismuth qui parle de ses dessins au GPS. Il ne sort que très rarement sans son appareil
http://www.liberation.fr/culture/0601240-je-dessine-avec-mon-gps
Voici donc un travail assez proche de celui d’Esther Polak, sauf qu’il n’a pas de but précis (comme la route du lait par exemple).
Nos outils changent, les crayons se transforment. Quelque soit le résultat final, il s’agit bien de flânerie, et le beau n’a pas sa place dans ces travaux. L’idée des artistes, d’après Thierry Davila, c’est d’ouvrir le champ de la perception.
Sarah Vieille