Souvenirs

Le porte-manteau déformant, Frédéric Dagault
Dans toutes les classes des écoles, les moments d’apprentissage scolaire occupent la
plupart du temps de la journée. Mais à la fin des activités, quand on a fini de peindre, de
découper, de coller, de classer, de compter ou d’écrire, il existe un temps libre où on peut
faire l’activité de son choix : prendre un livre, se déguiser, cuisiner (pour de faux) ou jouer
aux différents puzzles, jeux de construction, etc. Mais on peut aussi avoir remarqué à 4 ou
5 ans que les porte-manteaux chromés installés récemment reflètent les visages en les
déformant. C’est encore mieux quand on montre sa découverte à son copain ou à sa
copine… On peut alors se regarder, faire des tas de grimaces pour se faire rire l’un l’autre.
L’interaction et le plaisir sont tels que ça peut durer cinq bonnes minutes. Et on peut
même recommencer quand on en a le temps. Pour avoir vu ça quand on est élève en
section de « Moyens », pour avoir compris toutes les potentialités que recèle un portemanteaux, il faut être un observateur vif et inventif, et n’avoir pas peur de sortir du cadre normatif de la classe, car cette activité n’est pas répertoriée dans les programmes de l’école maternelle.

Mon souvenir, Karine Diakité
J’ai le souvenir d’un professeur de mathématiques chaleureux et très pédagogue, je ne me rappelle plus son nom mais je me rappelle très bien son visage. Malheureusement pour lui, il devait prendre la relève d’une classe qui avait baissé les bras. Entre la réforme du CPE et un professeur pas suffisamment à l’écoute de ses élèves l’année précédente, nous avions quelques lacunes à combler.
Un jour de grand soleil, ce professeur nous a invité à faire un exercice dehors. J’étais
particulièrement étonnée : moi qui pensait que les mathématiques ne se pratiquaient qu’en
milieu clos, et que compter était la seule chose qu’il me resterait d’utile hors des cours. Il
nous a à chacun donné une feuille sur lequel figurait un exercice de calcul de hauteur en
utilisant le théorème de Thalès vu en cours. On illustre souvent en élémentaire les
problèmes mathématiques par des histoires de pommes et d’abricots, mais rarement en
nous donnant réellement des pommes. Il fallait donc se placer face à un arbre devant l’entrée du lycée et prendre la hauteur de l’arbre ainsi que la hauteur du bâtiment et appliquer le théorème pour obtenir toutes les données demandées.

L’école après l’école, Hélène Métivier
Je me souviens de la salle de classe vide et silencieuse,
de Philippe,
des courses autour des tables,
des dessins à la craie qui emplissaient le tableau,
de l’éponge trempée dans le seau qui sentait la craie mouillée,
j’aimais effacer le tableau,
sans laisser de trace,
dans un va et vient,
de haut en bas.

Cours d’arts plastiques dans un école grec, Zinovia Lefkou-Panagiotou
Premier année du Lycée, un professeur arrive qui a l’air d’être différent des autres. Il suscite tout de suite notre curiosité et de l’inquiétude. Il a l’air bizarre. On espère qu’il ne voudra pas changer nos habitudes pour le cours d’arts plastiques. Premier cours, on attend d’entendre la phrase magique « Sortez votre bloc de dessin. Le sujet est… hmm.. est, est… les oiseaux ! Voila ! » qui marque le début du désordre total dans la classe et nous rend heureux. Mais non, cette fois ça ne se passe pas comme ça. Il nous demande de venir au tableau, un par un, et de dessiner une ligne. Il ne dis rien d’autre. Il reste là, sans réagir, sans même trop regarder. On pense: « Non, il va nous mettre une note en fonction de la « qualité » de notre ligne. C’est logique, on est au Lycée maintenant, on devrait être capables de bien dessiner une ligne. Oh non… qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On est nul, on ne ne peut même pas suivre correctement les lignes de notre cahier et les redessiner correctement Comment on va faire une ligne, comme ça, sans utiliser la règle et en plus sur le tableau, c’est trop grand le tableau et avec la craie, la craie est horrible, si tu la presses un peu plus sur le tableau elle va se craquer, si tu ne la presses pas, par contre, comment tu peux faire la ligne bien ? » Un par un, on prend notre temps, on essaie, on fait les lignes, l’une après l’autre, sans beaucoup de distance entre elles. C’est mon tour, je suis une des dernières. Je vois une petite sourire sur le visage du professeur, je soupçonne qu’il nous a piégé. Mais qu’est-ce qu’il veut de nous ? Je dis ok, peut être je dois me différencier un peu, mais un peu, afin que je puisse me justifier si ce n’est pas correct. Je suis astigmate en tout cas. Alors, je vais faire ma ligne un peu en diagonale. L’autre, le suivant, il me suis et il fait aussi sa ligne un peu en diagonale, mais dans l’autre direction. C’est fini. L’un des côtés du tableau est plein de lignes droites, horizontales, ça ressemble à un page de nos cahiers. Et à l’autre cote, il y a des lignes diagonales qui se croisent si on les prolonge un peu. On regarde le tableau, le professeur regarde le tableau, puis nous, restant toujours inexpressif. Il reste ensuite à regarder hors de la fenêtre et il s’exprime enfin : « Qui a dit une ligne droite ? ». Nous, étonnées, on ne comprend pas pourquoi il se moque de nous. C’était bien lui qui nous a demandé de dessiner une ligne. Ainsi, le premier cours va commencer par la grande découverte du fait qu’une ligne n’est pas forcément droite. On avait presque 15 ans.

Souvenir 1 et Souvenir 2, Rafael Medeiros

Quand j’avais 12 ans, mon professeur de mathématiques nous avait enseigné l’échelonnement du système métrique à travers une chanson : « kilomètre, hectomètre, décamètre, mètre, décimètre, centimètre, millimètre. Si ça monte, comment fait-on ? On multiplie par 10. Si ça descend comment fait-on ? On divise par 10. »

Quand j’étais enfant, ma mère ne voulait jamais que je sois à côté d’elle pendant qu’elle cuisinait. Elle ne voulait pas non plus de mon aide. Son interdiction est devenue une espèce de motivation pour que j’apprenne tout seul à cuisiner, en cachant mes tentatives et erreurs, et en faisant des choses au-delà de ses recettes quotidiennes.

Souvenir, Farouk Sid 

J’étais en 5ème, en cours de français, l’enseignante nous avait distribué un texte. Avec ce texte, on avait d’abord comme consigne de le lire mais ce texte n’était qu’une partie du récit de base. Ce que nous demandait l’enseignante, c’était de le continuer seulement à l’aide de notre imagination. Nous étions vraiment libres sur nos interprétations. À cette période j’étais souvent dans les nuages, j’imaginais des choses fantastiques qui se déroulaient en classe ou bien ailleurs. Donc à ce moment là, j’ai été vraiment content, j’ai tourné l’histoire en récit d’horreur. J’en étais tellement fier que pour une fois j’ai levé le doigt pour le lire devant tout le monde. Ce que j’en tire ? Une technique d’écriture mais surtout une capacité de tirer d’avantage de mon imaginaire.

Hamid Shams

Je me souviens de la première année de l’école où nous avions un cours pendant lequel notre professeur nous racontait différentes histoires du Coran et Shâh Nâmeh (poème équipe persan). Comme nous ne pouvions pas écrire, nous devions les mémoriser et les raconter ensuite à nos parents pour qu’ils l’écrivent pour nous ! Ce fut ma première expérience d’apprentissage.

Stratégies d’évitement, La triche, Loyce Kragba

À l’arrivée en classe de 6e, nous devions choisir une langue étrangère à étudier pour les quatre ans à venir. J’ai choisi alors l’allemand. Mon professeure nous demandait d’apprendre bêtement par cœur des tableaux de verbes réguliers et irréguliers ainsi que leur conjugaison selon différents temps, et leur traduction en langue française. Parfois, nous nous y refusions. Alors nous inventions des stratégies d’évitement discrètes.

Antisèche dans la trousse, chuchotement de la bonne réponse ou glissement de la copie double à son camarade d’en face, à droite, à sa gauche pour délivrer cette précieuse réponse.

Apprendre par cœur

savoir sur le bout des doigts

= mémoriser

Mon souvenir, Mélinda Boda

Je me souviens de ma première journée à l’université de Beaux-Arts à Budapest. Lorsque je suis arrivée le matin, j’avais hâte de commencer à travailler dans la classe de mon nouveau maitre. Mais le bâtiment était presque vide et j’ai été confrontée à l’atelier fermé. Après quelques heures, mes camarades arrivèrent et plus tard mon maitre entrait aussi dans la classe. Lorsque je lui demandais des indications pour commencer mon travail, il m’a répondu brièvement : « Je m’en fiche, vous faites ce que vous voulez ». Étant un peu déçue, je commençais pourtant à peindre. Je me souviens que j’étais en train de faire un paysage fictif. Un de mes camarades vint me voir et me posa des questions : « C’est quoi ? Pourquoi tu fais ça ? Parce qu’apparemment il n’a aucun sens ». Je me sentais vraiment gênée car je ne pouvais pas lui répondre. Je me sentais attaquée et insultée par sa provocation. A partir de ce jour-là, il me cherchait toujours pour me provoquer avec ses  questions. Mais sa provocation m’a appris peu à peu à m’exprimer et à partager mes pensées. J’ai appris que le partage, la discussion et même la provocation peut amener à une pratique plus profonde.

Poussins temporels, Gwenola Wagon

Je me souviens du déchaînement de joie lorsque qu’au printemps, Madame Poirier, notre institutrice de CE1 nous accueille avec une énorme caisse en bois remplie de poussins. Il fut demandé à chacun d’entre nous d’en prendre soin et d’être responsable de l’élevage. Ce fut surtout l’émergence d’une cohésion au sein du groupe pour répondre à sa demande. Des poussins picorant au sein de la classe, en cohabitation avec l’espace des chaises, des tables et des tableaux, semblaient incongrus et fascinant. Ce fut un renversement de situation. Auparavant, je me souviens, de plaintes lors d’un douloureux trajet de la maison à l’école. Et là, soudain, chaque jour, nous étions pressés de retrouver, la classe. Nous étions attachés à eux, ou encore intrigués par leurs mutations comme ce fut le cas plus tard avec l’élevage des vers à soie, préssentant que de jour en jour ces bestioles allaient nous échapper. Madame Poirier se servit de ces expériences dans sa transmission des conjugaisons. Ainsi le jour où elle conjugua le verbe être devant nous au tableau, les trois temporalité : passé, présent et futur. Les « j’étais, je suis, je serais » résonnèrent avec les mutations des juvéniles que nous avions quittés lorsque leur devenir poules ou coqs, ne leur permettait pas de rester confinés dans l’étroite salle de classe.

Virgule, Clémence Delbart

Blanc, vide, pause, placée dans l’espace urbain, la virgule fait respirer le texte. Apposée à la fin des mots, elle est comme un appel à poursuivre l’écriture. Pré-imprimées, collées sur des espaces vides, alignées les unes aux autres, elles initient des lignes, des paragraphes où il ne resterait plus qu’à écrire.

Souvenir, Loïck Batardot

Mon souvenir, c’est l’écriture pleine de diversité de ma maîtresse de CM2, Sylvie. Elle utilisait diverses polices. Jusqu’en CM2, je devais me contenter d’une graphie pour bien maîtriser l’écriture. Après lui avoir fait la remarque, sa réponse m’a fait comprendre que ce n’était pas des erreurs mais bel et bien des choix d’écriture. J’ai alors commencé à collecter des graphies, des lettrages différents. Plus tard encore, j’ai inventé de nouveaux lettrages et fusionné certaines graphies.