Slime of Time, Mel O’Callaghan

« Mais je percevais une première rumeur, tel un cœur battant sous la terre. Calme, je collais mon oreille à la terre et j’entendais l’été frayer sa voie à l’intérieur et mon cœur sous la terre […] » – Clarice Lispector. Chroniques, des femmes – Antoinette Fouque, 2019.

La jeune artiste australienne, Mel O’Callaghan, présente une nouvelle exposition solo, orientée vers l’exploration des profondeurs abyssales de la nature. À partir de l’étude de divers phénomènes tectoniques de l’océan Pacifique, elle ritualise sa création depuis une matière peinte en convoquant son for intérieur par un acte de transe. Ainsi, O’Callaghan, éveille un écho plus personnel de l’expérience des profondeurs en l’exprimant depuis une intériorité corporellement éprouvée.

Le sondage mené par Mel O’Callaghan, à partir du sensible et de l’acte de faire, se cristallise en un ensemble de peintures monochromes au format carré. Apposées sous des plaques de verre, elles sont placées en miroir, face à deux diapasons. L’ensemble forme une exposition radicale, d’esprit minimaliste à prime abord. Cette mise en relation des tableaux et des diapasons souligne en réalité une connexion sensorielle, leur facture étant directement liée aux vibrations sonores imperceptibles des diapasons.
En tenant à distance la matérialité de ces tableaux, l’artiste les associe à l’expérience plus vaste, non uniquement rétinienne, dont ils sont issus.
Le rapport de causalité entre les œuvres est ainsi suggéré, chaque élément permettant de resituer, à la manière d’une médiation, une dialectique du visible et de l’invisible ou du matériel et de l’immatériel.

Vue de l’exposition de Mel O’Callagan, Slime of time
Courtesy Galerie Allen, Paris

Remplis d’un liquide translucide, les deux diapasons marquent le rythme de la respiration de l’artiste, amplifiée, et maîtrisée, par le biais de la transe.
Ce rythme respiratoire accompagne tout le processus de création des tableaux dont il vient informer les gestes. Réalisés en verre, ces instruments semblent rappeler la fragilité de l’état de transe. Ils évoquent aussi le matériel de laboratoire propre à la recherche scientifique, tel que les condenseurs et autres outils de distillation, qui permettent l’étude des phénomènes de transformations moléculaires.
Cet entrecroisement de méthodes variées d’approches, à la fois sensibles et scientifiques, qu’on retrouve dans l’ensemble de la production de l’artiste, ouvre la possibilité d’aller d’une expérience intensive, d’apparence lointaine et inaccessible, vers  sa transcription épidermique. Mel O’Callaghan s’intéresse aux états de conscience modifiés et aux rituels, qu’elle considèrent comme les expressions mêmes de la condition humaine.

Lors de sa performance picturale, l’artiste applique une matière aux couleurs froides et brillantes en un mouvement de va-et-vient, effectué au rythme sonore des diapasons, et provoquant la mise en transe. La matière métallique formée à partir d’un mélange de pigments, de bronze, d’or ou d’argent, se trouve transformée par ce geste de brossage effectué dans un temps imparti de deux heures. On observe sur la toile l’ampleur du geste, qui donne une impression de régularité, liée au souffle. Un processus d’auto-transformation se crée à partir de la répétition inlassable d’une seule et même action d’étalement de la matière. Progressivement, l’état de transe défit l’état de conscience, il enregistre ce qui lie l’état physique à l’état psychologique.

Vue de l’exposition de Mel O’Callagan, Slime of time
Courtesy Galerie Allen, Paris

S’articulant autour des thèmes du rituel, de l’environnement, des mécanismes de résilience et des relations de corporéité, le travail de Mc’Ocallaghan semble proche des questionnements de l’art écoféministe. Elle s’inscrit dans un art de la résistance qui se tourne vers les rituels et la spiritualité pour allouer une valeur plus importante à la notion d’expérience, et de vécu.

Texte de Jeanne Berthier au sujet de l’exposition de Mel O’Callaghan, Slices of time, à la Galerie Allen, Paris.

Vue de l’exposition de Mel O’Callagan, Slime of time
Courtesy Galerie Allen, Paris

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