Gynécée, Paola Ciarska

Paola Ciarska, Sans titre ( Gynécée 8 ), gouache sur carton, 12,5 x 12,5 cm, 2022
Courtesy galerie 22,48 mètres carrés, Paris

Gynécée est un terme qui vient de la Grèce Antique, il désigne l’endroit où les femmes mariées vivaient avec les servantes et les esclaves, quand elles n’occupaient pas le lit conjugal, pour être soustraites au regard des hommes et du monde. Dans ses miniatures issues de la série My Parallel Universe, Paola Ciarska propose une relecture humoristique du terme sous un angle féministe, où la non-mixité n’est plus forcée mais embrassée avec enthousiasme par les protagonistes.

La disparition du genre masculin est un exercice auquel s’adonnent certains auteurs de science-fiction ainsi que les féministes adeptes de l’écriture inclusive. Dans le premier cas (l’Académie Française dirait les deux), cet événement plonge immédiatement le monde dans un chaos dystopique (1). Paola Ciarska imagine cette suspension de l’oppression patriarcale à travers une fable où les protagonistes sont absolument désinhibées. Nues ou en sous-vêtements, toutes s’adonnent à de multiples activités, parfois charnelles, sans que leurs corps ne soient jamais sexualisés.
L’hégémonie masculine bafouée apparaît toutefois à de multiples reprises dans cet univers : sex-toys, bouées-phallus, pénis tranché à la base, servi sur une assiette : Paola Ciarska ne recule devant rien quand il s’agit de réduire l’homme à un simple objet de récréation et de plaisir. La désacralisation des symboles patriarcaux ne s’arrête pas là : treize femmes imitent la cène, réunies autour d’une pizza et buvant des bières. Ailleurs, on trouve un distributeur de pommes gratuite, dans une pièce où une femme se baigne avec un serpent, devant La Tentation de Lucas Cranach.
Cette version moderne du Jardin d’Eden, est-elle un paradis ou une prison ? Les habitations de Paola Ciarska n’ont pas de portes, elles sont ouvertes comme des maisons de poupées. Tels des avatars de l’artiste, les résidentes de cet univers parallèle se livrent à des occupations où toute préoccupation existentielle a été remplacée par un divertissement sans limites matérielles, morales ou temporelles.

Paola Ciarska, Sans titre – détail – (Gynécée 4), gouache sur carton, 10 x 10 cm, 2022
Courtesy galerie 22,48 mètres carrés, Paris


Archétypes des distractions contemporaines, les multiples références à la pop-culture proviennent des éléments de décors préférés des commanditaires de l’artiste, dont elle s’inspire pour ses compositions. Les papiers peints de la galerie, reproduits à l’intérieur des tableaux, brisent l’ordinaire neutralité de l’espace d’exposition, qui semble ainsi faire partie intégrante de l’œuvre. Saisi dans cette scénographie, le spectateur prend part, malgré lui, à ce jeu qui confronte différents espaces : il est un voyeur qui épie à la loupe ce jardin des délices contemporain, son regard est comme une brèche dans la matrice. Les habitantes des tableaux de Ciarska évoluent dans un univers clos, le gynécée, qui les rassure et les protège. Elles semblent avoir adopté cet adage d’Épicure : « pour vivre heureu[ses], vivons caché[e]s ». Elles s’autorisent à être vulnérables parce qu’elles ignorent, ou bien oublient, qu’elles sont soumises au regard de l’autre, étroitement surveillées au sein de ce panoptique.
Les sources de divertissements, accessibles à quiconque souhaite échapper à la difficulté, ou à la monotonie du quotidien, sont notoirement connues pour collecter, analyser, épier, chacun de ses utilisateurs, même les plus occasionnels. Face à ces distractions inéluctables qui endorment les revendications et émoussent les vigilances, comment ne pas succomber à la tentation d’un monde sans préoccupations ?

Texte de Camille de Kocker au sujet de l’exposition Gynécées de Paola Ciarska, à la galerie 22,48 mètres carrés, Paris.

Paola Ciarska, Sans titre – (Gynécée 3), gouache sur carton, 10 x 10 cm, 2022
Courtesy galerie 22,48 mètres carrés, Paris

note 1 : comme par exemple dans la série américaine Y, the last man, réalisée par Eliza Clark.

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