Section Africaine Présence Panchounette, exposition à la galerie Sémiose

Présent sur la scène artistique contemporaine entre les années 1968 et 1990, le collectif bordelais Présence Panchounette entretient un rapport délibérément conflictuel avec le monde de l’art. S’attaquant aux idéaux bourgeois perpétués selon eux par les avant-gardes, les sept membres du groupe post-situationniste signent une production polymorphe où performances, tracts, sculptures et graffitis se côtoient. Considérée par le collectif comme une idéologie parmi d’autres, leur esthétique est caractérisée par l’esprit « chounette », qui renvoie à des objets mineurs, à ce qui serait plus ou moins raté, inachevé, inexact. Si le préfixe « pan » prône l’universalité de la
« chounette », le substantif « présence » annonce la vaste sphère dans laquelle s’étend cette dernière.

À l’inverse d’œuvres lisses et propres, Présence Panchounette revendique le débordement et la profusion. Ce parti pris témoigne de la volonté de questionner les normes de goût, leur origine et leur effet politique sur les individus. « Réussir c’est notre échec ». Ces mots prononcés par Présence Panchounette incarnent la position que le groupe entend occuper dans le monde de l’art, un monde duquel ils tentent – paradoxalement – de se soustraire. Si ces derniers entreprennent de porter un regard critique sur les artistes de leur temps, influencés par l’art conceptuel et minimal, ils ne sont pas à l’abri d’être récupérés, phagocytés puis neutralisés par un monde de l’art qui accueillerait leurs actions. Comment se défendre alors même que le Capital semble se délecter des formes d’expression dites militantes ?
C’est dans l’humour que Présence Panchounette trouve son salut, appuyant l’analyse de l’historien de l’art Fabien Danesi qui déclarait que seule la bêtise était irrécupérable.

L’exposition Section Africaine Présence Panchounette proposée par la Galerie Sémiose regroupe différentes œuvres ayant trait au thème, très large, de la relation entre la France et le continent africain. Elles sont issues des voyages menés par les différents membres du groupe sur le continent africain et de la création, en 1974, de la « section gabonaise Présence Panchounette », réalisée « dans un esprit de migration créatrice (1) ». À  la manière du « stupéfiant image » surréaliste qui confronte deux réalités plus ou moins éloignées, le collectif travaille les dynamiques d’échanges, de rencontres et d’influences coloniales. Les objets du quotidien occupent une place privilégiée dans le travail de Présence Panchounette, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la première foire internationale Dada en 1920.
Déjà présents dans l’imaginaire collectif, les objets industriels qui composent notre quotidien possèdent un fort pouvoir d’évocation. Par des jeux d’assemblages et de confrontation, ces derniers, ainsi détachés de leur fonction d’usage, font sens autrement. Composée d’une statuette en bois, témoin d’une tradition d’artisanat d’art manuel africain, et d’un radio-réveil Sony, objet industriel, Batéké radio réveil évoque la cohabitation entre des éléments issus de systèmes culturels différents qui ouvrent sur un nouvel espace de signification. Le radio-réveil émet des sons qui confère à la statuette la présence d’un esprit tangible.
Le rapport du sacré et du trivial est ainsi réévalué dans plusieurs œuvres comme Magicienne de l’eau (1985) : la statue vaudou en bois peinte, qui repose sur 25 bassines en plastique remplies d’eau où ont été jetées des pièces de monnaie, façon fontaine de Trévi, témoigne de la réactualisation  des pratiques de cultes dans un monde de loisir et de tourisme de masse.

Le syncrétisme des différents héritages culturels au sein d’un même territoire témoigne, selon l’expression de l’historien E. K. Brathwaite, d’une créolisation. Il s’agit de révéler les linéaments d’une unité profonde émergeant à la suite d’échanges plus ou moins forcés et plus ou moins durables. Avec Neo Pevsner ou Retour à l’envoyeur (1985), Présence Panchounette met en forme la créolisation avec la recréation, par un sculpteur guinéen, d’un masque traditionnel africain interprété une première fois par un artiste de l’avant-garde européenne.
C’est au travers du regard porté sur ces objets que Présence Panchounette nous amène à poursuivre notre réflexion : Section Africaine met en évidence qu’appréhender un objet extérieur n’est pas une action neutre en tant qu’elle est le fruit de nos projections.

  

Vues de l'exposition Présence Panchounette section africaine, Sémiose Galerie, Paris
crédit photo Aurélien Mole, courtesy Sémiose Galerie

visuel de tête : Présence Panchounette section gabonaise, Artiste pressé d'exposer, 1989
Statue en terre peinte, presse-citron et panier en plastique.Crédit photo Aurélien Mole, courtesy Sémiose Galerie

L’ensemble des œuvres présentées dans Section Africaine découle d’une collaboration étroite entre Présence Panchounette et des artistes originaires de différents pays d’Afrique, chacun permettant à l’autre d’enrichir une réalité complexe, en mouvement : la déesse de l’eau Mami Wata, statuette présente dans Magicienne de l’eau, a ainsi été réalisée par le sculpteur togolais vaudou Agbagli Kossi, tandis que le cercueil de l’œuvre La villa des ancêtres (1985-86) a été commandé à l’artiste ghanéen Kane Kwei, pour ne citer qu’eux. Cette collaboration semble être une condition nécessaire pour toucher du doigt les grandes dynamiques directrices du mouvement dit « post-colonial ». C’est par une expérience vécue, par un savoir dit « situé », notion conceptualisée par Donna Haraway en 1988, qu’émerge une histoire plus objective par la force de sa subjectivité. Si l’on peut trouver l’origine de la pensée post-coloniale dans les textes de révoltes indépendantistes, qui tentaient de révéler les oppressions coloniales subies par les peuples colonisés et les conséquences de ces dernières, c’est avec son ouvrage L’orientalisme paru en 1978 qu’Edward Saïd pose les bases théoriques du postcolonialisme.

Toujours d’actualité, les considérations postcoloniales qui se retrouvent dans cette exposition interrogent le contexte historique qui a favorisé leur production. Elle met en perspective ces œuvres avec une approche plus contemporaine de la question coloniale repensée à l’ère de la mondialisation.

Compte-rendu de l’exposition Section Africaine Présence Panchounette à la galerie Sémiose, Paris

Alice Lucot

Notes
(1) communiqué de presse de l’exposition

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