Dans l’ensemble de son œuvre et plus précisément dans ce tableau, Aneta Kajzer développe une pratique de la peinture qui puise sa subtilité dans le maniement abstrait de la matière. Mignons ou terribles, c’est selon, des personnages à peine esquissés façonnent une amorce fictionnelle à la tonalité poétique, décantée et enfantine.

Le pinceau d’Aneta Kajzer est rapide, il brosse une composition aux couleurs savamment orchestrées, ménage des effets de lumières et fait apparaître un récit qui semble se découvrir alors même que nous tentons de le percer à jour. Dans le bal tournoyant de cette apparente comédie, Aneta Kajzer installe un vocable burlesque, où la tendresse des scénettes fantaisistes nous transpose dans une fiction bienveillante ; un nuage malicieux s’amuse à déverser son flot bleuté pardessus la figure d’un ectoplasme amical et l’enveloppe, créant dans le même temps une direction, un cadre à la composition.

La palette et la gestualité picturale de Kajzer accompagnent tout en légèreté les petites fables qui viennent se raconter sur la toile. La facture floue des formes, leurs contours non définis, dilués, incarnent le récit d’une composition tourbillonnante en train de se produire sous nos yeux.
On pourrait presqu’y voir un tableau abstrait, en ce qu’il n’affirme rien de stable en matière d’image et beaucoup en matière de peinture. Mais ces monstres enfantins surgis de la facture, ou ces bestioles expressives venues parfaire des formes incertaines, racontent cependant l’histoire d’une peinture qui advient. La finesse des couleurs ainsi que la justesse des placements des moments picturaux confère aux tableaux une capacité narrative que l’artiste semble interroger avec audace et tendresse.

Analyse du tableau d’Aneta Kajzer, Wasserspiele, exposition Heavy Water, Galerie Semiose

Paulin Scavone

Visuel : Aneta Kajzer, Wasserspiele, huile sur toile, 40 x 32, 2021