Amélie Bertrand, Private Club

Placés au centre d’un jeu plastique de superposition, trois néons roses en forme de cœur se détachent et font front au regard. Ils semblent suspendus par des chaînes qui tombent du haut du tableau, à la manière d’éléments de décors d’une vitrine de magasin de fast fashion, mais flottent en réalité au milieu de la toile. L’un d’eux, allumé, nimbe les chaînes d’une lumière rose ainsi que quelques feuillages de part et d’autre de celle-ci.

Les tons ocres d’une lumière crépusculaire se mélangent avec d’autres teintes marrons placées à l’arrière-plan. Plus foncées, plus dures, ces tonalités brunes rappellent moins l’atmosphère sale d’une dystopie cyberpunk que Vermillon Sand, le Palm Spring légèrement fermenté de J.G. Ballard. Cette lumière semble rétro-éclairer le tableau. La surface en motif de brique, située à l’arrière-plan, agit comme un filtre. L’artiste alterne entre des effets d’opacité et de transparence qui contribuent à une sensation de déréalisation.

Bien qu’éteints, on imagine les deux autres cœurs tressaillir et grésiller en boucle comme un GIF, mal alimentés par une installation électrique défaillante. Les formes rappellent également l’esthétique des blogs des années 2000, les montages Blingee ou les bijoux en plastique d’adolescent.e.s. Qu’elle évoque le Los Angeles des années 80 ou l’Internet des années 2000, l’œuvre synthétise une nostalgie similaire à celle du vaporwave, dont le vocabulaire formel d’Amélie Bertrand est proche : palmier, colonne, carrelage, aplat digital.

L’artiste construit ses tableaux sur ordinateur et reporte ensuite ses compositions sur toile en utilisant des pochoirs et l’aérographe. La superposition s’obtient par l’emploi de calques numériques et des pulvérisation de matière à la surface : aucune texture n’est visible, la surface du tableau est plane, comme l’écran sur lequel l’artiste travaille. Elle rappelle également les vitrines que l’on trouve dans d’autres peintures de la même série.

Les éléments, figuratifs et familiers, sont ainsi décontextualisés, figés dans des espaces picturaux statiques. En une atmosphère proche de la boucle musicale de Oneohtrix Point Never, “nobody here”, tous les éléments figurés par Amélie Bertrand renvoient à l’humain mais les objets manufacturés et les architectures paraissent abandonnés, en attente, sur pause.

Analyse du tableau d’Amélie Bertrand, Private Club, Galerie Semiose exposition Super Cannes

Marie Muzerelle

Légende du visuel : Amélie Bertrand, Private Club, 2021, huile sur toile, 130 x 115 cm

 

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