Griffures fragiles d’une « lady » – Mirak Jamal

 

Ce n’est pas sur le mode de l’anecdote que Mirak Jamal nous entraîne dans son univers. En présentant un dessin fait à l’âge de cinq ans, il décline une liaison entre histoire personnelle et art contemporain. Ici, il s’agit du récit plastique d’une itinérance forcée. Où l’identité surgit dans la confusion, dans l’errance des zones périphériques.

stylo bille sur papier, © courtesy de la galerie Sultana et de l'artiste

Mirak Jamal, Lady at the dinner, stylo bille sur papier, 2016 © courtesy de la galerie Sultana et l’artiste

L’exposition propose l’esquisse d’un récit autobiographique. Nous sommes accueillies par Lady at the dinner un de ces dessins au caractère naïf, que l’artiste a réalisé enfant. Il y figure une jeune femme pointant du doigt une table. Elle porte une robe longue, composée de motifs, évoquant des gribouillages maîtrisés. Par un geste rythmé et soutenu, le jeune artiste produit des frises aux motifs divers, entre striures appuyées et arabesques ondulantes. Chaque élément se réfère à un autre et prend sens. Au-dessus de cette jeune femme se trouve une horloge qui indique l’heure du repas. Mais où sont les convives ? La femme à la robe est seule signifiant du doigt quelque chose pour des absents. Qui est cette jeune femme ? La mère de l’artiste ? L’artiste lui-même ? Françoise Dolto rapporte dans ses recherches que l’enfant « ne dessine pas. Il se dessine. » Aussi, l’exposition « Mother ! Minsk ! Where are you ! » s’appuierait-elle sur la confusion d’identité ?

Mirak Jamal, vue d'ensemble, © courtesy de la galerie Sultana et de l'artiste

Mirak Jamal, vue d’ensemble, © courtesy de la galerie Sultana et l’artiste

En 1979, la révolution iranienne éclate. De nombreux ressortissants se voient dans l’obligation de fuir le pays. Mirak Jamal en fait partie. S’en suit une longue errance à travers l’Europe de l’Est, puis de l’Ouest. Il ira encore plus loin: États-Unis, Canada où la désillusion d’une démocratie protectrice et juste l’attend. Il fréquente des lieux d’attentes, des autoroutes, des immeubles dont les « appartements empilés les uns au-dessus des autres » poussent inexorablement l’artiste et l’enfant à aventurer son regard sur les choses non visibles et forgent une matrice créatrice. Il dessine frénétiquement les choses de son quotidien : défilé de la milice iranienne, une mère qui cuisine, chars d’assaut… Autant de scènes quotidiennes que le jeune Jamal retranscrit fidèlement au stylo bille. Conservés par sa mère, ces dessins deviennent le matériau de l’histoire intime. Devenu grand, de l’Iran à la Russie en passant par l’Allemagne et les États-Unis : Mirak Jamal a exploré une multitude de territoires sans jamais véritablement se fixer. Artiste apatride, habitué des zones d’embarcation (comme ils en existent beaucoup), il joue avec ces multiples identités pour construire un travail plastique où la gravure agit comme une trace de son passé.

Lady at the Dinner Table, transfert d'impression, teinture à bois , vis , machines sculptures sur cloisons sèches , cadre artiste, chaque écran, 60x120cm, 2016

Mirak Jamal, Lady at the Dinner Table, transfert d’impression, teinture à bois , vis, sculptures sur cloisons sèches , cadre artiste, chaque écran, 60x120cm, 2016 © courtesy de la galerie Sultana et l’artiste

La suite de l’exposition montre sur les cimaises des plaques de plâtres travaillés par l’artiste. L’œuvre principale, fait face au dessin, constituée par une combinaison d’écran de plâtres. Onze plaques qui rassemblent simultanément photographies et gravures. Des captures d’écrans glanées sur Google, prises puis postées sur Instagram et enfin collées, comme affiches sur le plâtre, nourrissent d’images l’exposition. Chaque motif est le résultat d’une sélection opérée par l’artiste : paysages, couchés de soleil, détails d’une gravure de Dürer sont collés, arrachés, comme laissés à l’abandon.Les panoramas dont la colle a patiné la surface, révèlent les chimères d’un espace temporel.

On imagine ces plaques devenir le réceptacle d’un souvenir photographique, griffonné, usé entre le temps de sa capture et celui de son assemblage. Les gravures s’accumulent comme des grésillements et découvrent une nouvelle image à l’image. Striures et arabesques réagissent comme des traces.

 

Mirak Jamal

Mirak Jamal, No title, transfert d’impression sur mur, 21 x 29 cm, 2016 © courtesy galerie Sultana et l’artiste

Faisant la jonction entre le dessin et l’écran, le dernier mur accueille des photographies imprimées usées tantôt nues tantôt sur plaque de plâtre. On regarde les motifs qui les habitent (ou pas), et savourant les vides qui les séparent, s’offrant à nous comme des temps de respirations. L’artiste s’inspire des écriteaux gravés, tagués sur les bords des autoroutes, dans les ruelles des grandes villes. Collecte des espaces anonymes. Le mur réagit comme un écran, où l’artiste diffuse ses « visuels », difficilement décryptable. Ils restent comme le fragment d’une histoire. Comme les pièces d’un puzzle réunies pour l’occasion.

L’exposition envisage la reconstitution des lieux en marge, les zones de trafic et autres périphéries traversés par l’artiste. Dont les éléments visuels forment les matériaux désagrégés de l’installation. Entre motif de la vie quotidienne et panorama utopique, Mirak Jamal s’approprie l’imagerie contemporaine et décline sa non-appartenance/appartenance au monde réel.

Marianne Robin

 

Exposition Mother ! Minsk ! Where are you ! Du 16 février au 19 avril 2016

Ouvert mardi au Samedi, de 11h à 19h

10 rue ramponneau, 75020, Paris

Retrouvez des informations supplémentaires :

http://www.galeriesultana.com/

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