Jennifer May Reiland, Exposition Jeune Création, Galerie Thaddaeus Ropac (17 – 24 Janvier 2016)

Confessions intimes

Le comité d’artistes Jeune Création, dédié à la découverte d’artistes émergents depuis 1953, présente pour sa 66e exposition une jeune peintre new-yorkaise, Jennifer May Reiland. À cette occasion, elle présentera deux peintures, deux grandes fresques qui nous plongent dans l’univers désordonné d’un monde globalisé (Self-Portrait as Mary Magdalene Having a Vision of the Apocalypse II et Encierros).

Jennifer May Reiland, Self-Portrait as Mary Magdalene Having a Vision of the Apocalypse II, Pen and Watercolor on Paper, 38 x 50 in, credits to Jennifer May Reiland

Jennifer May Reiland, Self-Portrait as Mary Magdalene Having a Vision of the Apocalypse II, Pen and Watercolor on Paper, 38 x 50 in, Credits to Jennifer May Reiland

Alors qu’elle a plutôt recours à la vidéo pendant ses études d’art à New York, elle revient à la peinture et au dessin lorsqu’elle termine son cursus. Bien que ce choix soit au départ déterminé par des contraintes financières et spatiales, elle se plaît à revenir à un processus créatif qu’elle utilisait en étant enfant : représenter une image en accumulant une multitude de détails. Une démarche naïve qui lui permet d’aborder des thèmes graves tels que la mort, la violence ou la sexualité.

La représentation des pires ignominies (meurtre, torture, viol, prostitution, etc.) à travers une esthétique candide et colorée est déconcertante. Il faut dire que Jennifer se situe dans une lignée d’artistes tout autant fantasmagoriques. Elle compte parmi ses influences le peintre américain Henry Darger, illustre auteur d’une épopée picturale de 15 143 pages nommée The Story of the Vivian Girls, in What is Known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave RebellionComme lui, elle crée une œuvre narrative basée sur son expérience et sur sa psyché. Son quotidien est sa source d’inspiration première. Ainsi, elle met en scène la vie d’une jeune citadine occidentale et les questions auxquelles elle se retrouve confrontée, notamment concernant ses relations sociales, amoureuses et sexuelles.

Jennifer May Reiland interroge également le rôle des nouveaux outils de communication au sein des relations amoureuses, qui sont omniprésentes dans ses peintures comme dans notre société. L’artiste représente leur impact sur notre manière de communiquer, nous faisant sentir « plus proche et en même temps plus loin l’un de l’autre ». Ces appareils nous permettent de pénétrer dans l’intimité d’une personne à des milliers de kilomètres, comme elle le figure dans Odalisque with Cactus and Fishbowl. En peignant un échange par Skype entre un homme et une femme, elle souligne les possibilités que permettent ces nouvelles technologies autant que la frustration sexuelle qu’elles supposent. En s’inspirant de sa vie, elle produit des images politiques qui font écho aux propres expériences du regardeur.

Odalisque with Cactus and Fishbowl, Jennifer May Reiland, Colored pencil on paper, 9 x 12 in, credits to the artist

Odalisque with Cactus and Fishbowl, Jennifer May Reiland, Colored pencil on paper, 9 x 12 in, Credits to Jennifer May Reiland

Ses œuvres relèvent également de l’intime dans sa démarche créative même. À travers ses peintures Jennifer se met à nu. Elle expose ses influences diverses, mêlant références à la corrida, à l’histoire, à l’actualité, à la religion ou à la littérature. Cet agencement apparaît de manière plus explicite lorsqu’elle représente de grands tableaux composés d’une foule de détails et de personnages. Il ressort de ces grandes combinaisons d’images, un dynamisme offrant l’opportunité de laisser le regard vagabonder, de créer son propre récit.

Jennifer May Reiland, Encierros, Pen and Watercolor on Paper, 38 x 50 in, Credits to Jennifer May Reiland

Jennifer May Reiland, Encierros, Pen and Watercolor on Paper, 38 x 50 in, Credits to Jennifer May Reiland

Jennifer May Reiland, Encierros, Détail, Credits Jennifer May Reiland

Jennifer May Reiland, Encierros, Détail, Credits Jennifer May Reiland

Au-delà de la diversité des influences qui traversent l’oeuvre de Jennifer May Reiland, un fil rouge se dessine dans son travail : celui du corps soumis à la violence de la société. Un corps malmené et oppressé par des conflits armés, par la religion, par une représentation déformée et idéalisée du corps. Dans ce cas, il ne s’agit donc pas d’entendre le corps comme un objet de désir, mais comme le reflet d’une appartenance sociale et culturelle : cacher ou montrer son corps, prendre soin de soi, transformer son apparence sont avant tout des des décisions déterminées par sa culture. Selon l’artiste « la violence qu’exerce la société contre la femme concerne surtout sa sexualité alors qu’elle s’impose aux hommes à travers la guerre ». Toutefois, ce modèle qui a prévalu pendant longtemps est mis à mal à l’heure où des femmes partent faire le Djihad auprès de l’EL ou lorsque les hommes se sentent autant oppressés par le culte de la beauté que les femmes. L’oppression du corps comme reflet d’une identité ne serait-elle pas plutôt due à la globalisation du monde et à l’hybridation des cultures qu’elle induit ? L’homme contemporain est confronté à un brouhaha d’influences culturelles contradictoires dans lesquelles il doit piocher pour se forger une identité propre. Finalement, en représentant une jeune femme nue face à une arène fourmillant de détails, Jennifer représente cette abondance – parfois destructrice – de choix auxquels les individus sont soumis constamment.

Tout en livrant une oeuvre personnelle pétrie de son histoire et de références propres, l’artiste réussit avec succès à toucher notre intimité en pariant sur l’universalité de son expérience.

Julia Gomila

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