Jusqu’au 19 décembre se tient à la New Galerie le solo show « The Offal Truth » de Darja Bajagić, jeune artiste originaire du Monténégro.
Diplômée de Yale, l’artiste évoque sur son parcours la soi-disant « bienveillance » d’une école prête à payer un suivi thérapeutique afin de soigner son attrait pour les images à caractères pornographiques.
C’est donc, non sans ironie, que Darja Bajagić illustre les neuf œuvres exposées par cette phrase « I’m going to sit in a corner and cry about how bad my life is even though my daddy is rich »
Le solo show s’ouvre sur la vidéo Amazing girls. With wonderful personalities. There saints. Talk to them about life. Love. Politics. Cette réalisation de 2015 est une suite d’interviews de femmes à l’entrée d’une boîte de nuit. Le style vestimentaire qu’elles adoptent informe sur le parti-pris esthétique. Bajagić puise dans la contre-culture gothique, mais nous raconte toute autre chose ; en effet, les questions s’ordonnent de la même manière, «what did you eat today?», «happy story?», ainsi que, «sad story?». La trivialité de ces questions/réponses se fait représentative de la démarche de l’artiste. En associant les banalités quotidiennes et la marginalité de la culture goth, l’artiste mêle avec distance et dérision l’univocité des images et les clichés surexploités.
Si l’artiste a pour habitude d’utiliser des images pornographiques et développe un attachement pour les Serial Killers, l’exposition apparaît plus sage, du moins en apparence. La pièce principale se compose de quatre toiles simplement accrochées sur les quatre murs se faisant face. Formellement, les toiles se ressemblent : beaucoup de noir, des matières ajoutées par le biais de collages et d’images imprimées. Parfois, la matière se décolle et dépossède la toile de son rôle de tableau. Elle devient le fragment d’un mur où les images récoltées sur internet sont collectionnées puis subissent des traitements de découpages et de détérioration. Tel le travail assouvi d’un Serial Killer.
L’utilisation de la toile comme support désincarné s’accentue pour Underground Fashion ou du papier collé fait gondoler l’intégralité de la surface. Recouvert par des morceaux de sac-poubelle, elle symbolise la trash-culture dans les deux sens du terme. L’omniprésence de la peinture noire vient radicaliser l’esthétique. En utilisant quelques lavis vaporeux et écrasants, Bajagić anéantit la lecture d’éléments par l’application de couches épaisses.
L’exposition se poursuit dans un sous-sol voûté, éclairé par la disgracieuse lumière des néons, mais qui finalement, s’accorde avec la froideur du sujet. Quatre toiles similaires révèlent dans un texte sanglant, la mort accidentelle de protagonistes, qui serait ensuite cuisinés et mangés par la Maniac Nanny évoquée dans le titre. Cette narration est recouverte d’éclaboussures de sang de vache et de faux sang. Cette utilisation du sang à outrance, réaffirme le sarcasme de l’artiste ; aucune volonté de choquer, mais plutôt de jouer avec les symboles sacrés avec insolence.
À vingt-quatre ans, Darja Bajagić a grandi avec internet et cette influence marque très nettement le travail de l’artiste. La présence de figures féminines sur une grande partie de sa production est le fruit d’un travail massif de collection d’images. En questionnant leurs statuts, l’artiste signale la simplicité de réappropriation de cette profusion d’images. Par le traitement qu’elles subissent, Darja Bajagić fait siennes les images de ses filles, désormais dépourvues d’identité. Cette référence quasi permanente à la marginalité de la culture goth est un moyen pour l’artiste de forcer le spectateur à regarder au-delà des tabous de notre société.
En substance, l’exposition « The Offal Truth » nous montre une partie plus prudente du travail de Darja Bajagić. En tant que femme et artiste issue de la web génération, son travail sur le réemploi de l’image pornographique suscite et élève le débat. Pourtant, ce que nous propose la New Galerie en est dénué. Cet Offal Truth tend à dépasser les frontières du conservatisme avec lequel elle a été formée, en questionnant les tabous sociétaux plus violents du paysage digital.
Formellement, le spectateur peut observer un choix d’œuvres semblables, dans les formats, l’aspect et le sujet traité, sans pour autant être des séries — excepté pour le sous-sol. L’accrochage conventionnel semble cependant lié aux contraintes spatiales. Reste à savoir si cette modération est un nouveau parti-pris artistique ou si elle est un choix institutionnel. Pour aller plus loin, Darja Bajagić sera invitée par le collectif 89plus pour investir l’exposition « Co-Workers le réseau comme artiste », du 17 novembre au 6 décembre au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
Marie Bonhomme