« Hustling », Mohamed Bourouissa, Galerie Kamel Mennour

 

East Coast Cowboys.

Lorsque l’on considère le travail de Mohamed Bourouissa on y trouve pêle-mêle : des bandes anonymes affichant des attitudes thugs¹, des signes de la main symboles de leurs fiefs respectifs, des lieux où se retrouve une jeunesse en survêtements de sport, une monnaie à l’effigie de Booba², des casquettes et des bananes Lacoste. La culture urbaine et son imagerie nourrissent le travail de cet artiste parisien d’origine algérienne.

Depuis une dizaine d’années, son oeuvre est jalonnée d’images bien loin de la représentation violente que nous sommes habitués à voir de cités de banlieues en feu, de prisons et de vendeurs de cigarettes à la sauvette. Le terrain, voilà ce qui est montré, néanmoins, parfois empreint d’une dimension à la limite entre documentaire et fictif. Cette jeunesse parquée dans des HLM devient alors romanesque. Dans le travail de M. Bourouissa, le “jeune de banlieue” et tout ce qui le défini est considéré comme matériau premier d’une iconographie ultra-contemporaine.
Axé sur les cultures populaires, son travail redonne une valeur esthétique, une force identitaire, à ceux qui la constituent.

carrerougeCarré rouge, 2007-2008, Série « Périphérique », Photographie couleur, © Mohamed Bourouissa

Le travail de Mohamed Bourouissa est donc imprégné d’une réflexion sur des activités en marge de la gentrification : sur ce qui émerge de la rue. L’exposition « Hustling », présentée jusqu’au 6 décembre à la galerie Kamel Mennour, propose une rencontre avec un hobby surprenant tout droit venu d’un quartier populaire de Philadelphie.
En effet, l’artiste a côtoyé au cours d’une résidence artistique de neuf mois, les Riders³ de Fletcher Street, une bande de jeunes qui sillonnent la ville sur des chevaux. Les pièces sont présentées dans un parcours fluide, mêlant vidéos, croquis et sculptures documentant les Riders et leur quotidien durant la résidence artistique.
Mohamed Bourouissa rapporte un témoignage presque didactique sur un hobby singulier.

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Hustling, 2015, vue de l’exposition, © Mohamed Bourouissa, Photo. Julie Joubert

 

Le culte du cheval en ville.

Quid de l’activité de ce crew⁴ issu d’un quartier populaire de Philadelphie alors qu’ils arpentent les rues à cheval ? Sur ces chevaux, ils dominent fièrement la ville, triomphants auprès des voiture qui semblent alors ridicules. Il semblerait que la recherche du décalé, du cool porte ses fruits. Ici, cela a pour effet de créer une nouvelle esthétique confrontant deux mondes, ré-interrogant des codes établis. Dans cette imagerie qui peut sembler au demeurant cocasse, le sérieux de leur engagement envers cette activité oblige tout un chacun à admettre un style à part entière. Après tout, la démarche de confronter un élément naturel dans un environnement urbain est un engagement intéressant. Ils proposent un retour à une forme de noblesse désuète. Finalement, une démarche écologique et emplie d’un charme certain.

Le dessein de ces cavaliers urbains est de devenir les rois de leur territoire. Le groupe de rap français 113 parlait d’une génération dépendante des aides sociales qui rêvent de devenir les princes de leur ville.

« La banlieue a ses qualités et ses défauts
Peuplée d’artistes et de sportifs de haut niveau
(…)
On est jeunes et ambitieux 
Parfois vicieux,
Faut qu’tu te dises que
Tu peux être le prince de la ville si tu veux
Où tu veux, quand tu veux »⁵

Cette prérogative se retrouve aussi bien dans le choix de porter des vêtements de marque, des bijoux clinquants – signature du look street; que pour ces cavaliers du bitume, où ces accessoires ne trouveront pas de meilleur endroit pour trôner que sur un cheval.

La seconde dimension palpable dans cette activité est le lien évident entre le cheval et la carrosserie. Il est notoire qu’aux Etats-Unis, la voiture est nécessaire aux déplacements face à l’immensité de ses espaces. On observe aussi qu’une culture de la voiture la plus pimpée⁶ est largement développée, elle a même trouvé sa place dans les émissions de télévision de la chaine MTV (Pimp my ride). Il semblerait qu’ici nous assistons à son paroxysme. Ce lien est d’ailleurs assumé par l’artiste qui confronte le cheval et la voiture en employant la carrosserie comme médium premier de certaines de ses oeuvres.

Film_still_Horse_Day_Mohamed_Bourouissa,_2014_©_Courtesy_the_artist_and_kamel_mennour,_Paris_Production-_mobile_8_CMYKHorse day, capture de film, 2014, © Mohamed Bourouissa

C’est avec enthousiasme que nous découvrons à travers le regard bienveillant de Mohamed Bourouissa, la pratique de ces hustlers⁷ de Philadelphie affichée dans une galerie parisienne, loin de son berceau.

Queenie Tassell

 


1. De l’anglais : voyou
2. Rappeur français
3. De l’anglais : cavalier
4. De l’anglais : bande
5. 113, Les princes de la ville, de l’album Les princes de la ville, 1999, Label : Alariana, Double H, S.M.A.L.L.
6. De l’anglais : pimp = maquereau, le « pimping » est une activité qui vise à modifier sa voiture afin qu’elle soit la plus voyante et ayant des fonctionnalités impressionnantes
7. De l’anglais : arnaqueurs

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