Take Me (I’m yours), Tout doit disparaître !

 

Communication racoleuse et innovante d’une exposition qui ne passe pas inaperçue ! Tous les ressorts promotionnels sont utilisés : affiches à effeuiller, teaser * humoristique sur les médias sociaux, sacs estampillés Take me (I’m yours)…Il est urgent d’aller à la monnaie de Paris avant le 8 novembre au risque de ne pouvoir y participer !

Vingt ans après son succès à la Serpentine Gallery, l’exposition est recrée par Christian Boltanski et Hans Ulrich Obrist, rejoints par Chiara Parisi, directrice des programmes culturels de la Monnaie de Paris. Avec plus de trente projets, l’exposition française gagne en ampleur et en latitude. Le projet initial est revisité par les artistes ayant participé à la première édition auxquels s’ajoutent de nouveaux artistes. Le choix du lieu fait écho à la thématique de cette exposition collective  les œuvres, comme les monnaies, sont vouées à la circulation et à la dispersion. 

L’exposition permet de revenir sur le mythe de l’unicité de l’œuvre d’art et de questionner ses modes de production en proposant des œuvres ayant pour thème les échanges commerciaux « don/dispersion », « échange/troc » et « participation ».

Dès le passage du porche, des œuvres sont offertes aux visiteurs ! Les cartels sont introuvables, les textes de salle absents, le plan de l’exposition inopérant, quant à la brochure, elle remplit sa fonction mais est pour le moins austère et déroutante car non chronologique ! Le parfum de l’eau de rose de Rirkrit Tiravanija nous attire. On arrive devant les cannes à pêche et les réservoirs noirs de Daniel Spoerri ! Une injonction : tout doit disparaître ! Quel plaisir de choisir, de prélever, et de mettre dans son sac ! On participe, on est actif.

Take Me (I’m yours) mise aussi sur la transmission d’attitude entre visiteurs. L’exposition est construite sur la relation que chacun entretient avec les œuvres d’art. Elle bouscule, interroge notre rapport au sacré, à l’interdit, à la bonne conduite… Le nombre d’objets prélevés est laissé à la libre appréciation de chacun. Prendre une poignée de bonbons ne semble pas poser de problème, en revanche, on est limité à un seul vêtement dans Dispersion de Christian Boltansky.

Christian Boltanski, Dispersion, 1991-2015, vue d’exposition salle Dupré

 

Et même si l’injonction est que tout doit disparaître ; il ne faudrait pas s’aventurer à décrocher une bannière de Gilbert&George sous prétexte qu’il n’y aurait plus de badge ! Devant l’installation Dispersion de Christian Boltanski, on peut rester un long moment à observer les gens en train de choisir, d’essayer, d’argumenter sur le choix d’un vêtement plutôt qu’un autre. Cette installation renvoie à l’œuvre Personnes présentée dans le cadre de Monumenta en 2010. La main du visiteur fait office de pince et peut prendre au hasard un vêtement, ayant ainsi une action sur sa destinée. L’œuvre monumentale s’imposait dans sa référence historique dans l’atmosphère pesante qui la contenait. Dispersion, en écho, touche par sa proposition de faire l’action sans mise à distance ; le ressenti peut en être bouleversant. Cette expérience participative peut s’avérer forte quand c’est un pantalon de femme enceinte qui est pioché dans ce tas évocateur de personnes absentes ou disparues.

Roman Ondak, Swap, 2011-2015, vue d'exposition salle Babut de Rosan

Roman Ondak, Swap, 2011-2015, vue d’exposition                salle Babut de Rosan

Avec Swap, Roman Ondak propose au visiteur de participer à la création de l’œuvre. Un performeur régule le troc. Il est chargé de juger de la valeur monétaire, de la qualité argumentative et du possible intérêt de l’objet pour la personne suivante avant d’accepter l’échange. Aucun témoignage des différentes étapes n’est proposé. Seule l’idée de circulation de l’objet importe. Un sentiment de frustration apparaît… on aurait souhaité assister à l’ensemble des échanges. Certaines œuvres passent inaperçues. Elles souffrent d’un manque de médiation. Le visiteur se lasse de chercher les informations dans la brochure.

Le prélèvement pose la question de la forme de l’œuvre, les tas resteront-ils des tas, le rectangle de bonbons de Felix Gonsalez-Torres restera-t-il un rectangle ? Quelle déception de constater que les médiateurs alimentent l’exposition en bonbons, vêtements, eau de rose, Tours Eiffel… recomposant ainsi inlassablement chaque jour la forme initiale de l’œuvre. Chaque jour, 700 à 900 visiteurs doivent être contentés ! C’est seulement la dernière semaine que l’épuisement se fera sentir jusqu’à la disparition totale ! Quid des œuvres à acheter ? Seront-elles vouées à disparaître ?

La volonté de créer un événement, d’attirer un public jeune à une exposition présentée comme légère, amusante, généreuse, révèle par un manque de médiation, une superficialité renforcée par le fait qu’en sortant on devienne nous-mêmes supports de promotion de l’exposition avec nos sacs estampillés Take Me (I’m yours).                                                                                              

Hélène METIVIER
* www.youtube.com/watch?v=rhs5dIsuusw

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