« UGO RONDINONE : I LOVE JOHN GIORNO », Palais de Tokyo.

Les portes de l’intime

Hymne à l’existence, ironie ou idéal moderne, la nouvelle saison d’expositions du Palais de Tokyo réunies sous le titre de « La vie magnifique » développe différentes approches du réel. Invité à organiser la première rétrospective du poète américain John Giorno (né en 1936, vit à NYC), Ugo Rondinone navigue entre le statut d’artiste et de commissaire pour dépeindre un portrait exhaustif du poète. John Giorno est un personnage marquant du monde artistique new-yorkais des années 60. Amant de Andy Warhol, ami de William Burroughs, il a participé au mouvement expérimental et novateur de la Beat Generation. Poète et performeur, il a renouvelé la poésie contemporaine en l’ancrant dans le présent et en diversifiant ses formes de diffusion.

L’exposition s’organise en un parcours de 8 salles, chacune d’elles étant significative d’une partie de son travail. Lorsqu’il s’agit d’organiser la rétrospective d’un artiste, il arrive souvent que l’exposition se révèle être une présentation historique et objective d’un corpus d’oeuvres. Un discours didactique semblable à la lecture d’un manuel ou d’une biographie. Au contraire « Ugo Rondinone : I love John Giorno » s’attache à faire découvrir le travail de l’artiste en nous offrant un regard intime sur son parcours.

Cette approche semble être la plus naturelle pour aborder la démarche d’un artiste où l’art et le quotidien se confondent. Ses expériences personnelles, qu’elles concernent la drogue, la spiritualité ou le sexe, n’ont cessé de nourrir sa poésie. Une perspective qui reflète le renouveau artistique des 70’s, où l’art naissait de l’expérimentation et les frontières entre les différentes disciplines devenaient floues. Sa relation intime avec Andy Warhol est d’ailleurs mise à l’honneur dans l’une des salles. La vidéo Sleep (Andy Warhol, 1963), filmant le visage de John Giorno en train de dormir, est projetée sur un écran au milieu de la pièce. Plusieurs postes de télévision sont disposés autour de la projection, diffusant des vidéos réalisées par Warhol et dont la vie quotidienne du poète est la matière première. Ainsi, la scénographie invite le spectateur à déambuler dans les souvenirs de John Giorno.

Ugo Rondinone, Installation vidéo, Palais de Tokyo, 2015 © Julia Gomila

Ugo Rondinone, Installation vidéo, Palais de Tokyo, 2015 © Julia Gomila

Ugo Rondinone propose également un retour dans le passé par le biais d’une installation monumentale regroupant les archives accumulées par Giorno au cours de sa vie. Sous la forme d’une mosaïque pop, des feuilles colorées sont disposées en all-over sur toute la surface murale de la pièce, parfois recouvertes de « poem paintings » reprenant des sentences de l’artiste. En outre, plusieurs tables situées au centre de l’installation permettent de consulter des classeurs regroupant des documents divers par année. En ouvrant son jardin secret, composé de photographies de famille, d’articles, d’oeuvres qui l’ont touché, John Giorno est mis à nu sans pour autant tomber dans l’exhibition. La voix du poète transparaît à travers cette installation et nous accompagne dans un voyage émouvant au cœur de son univers et d’une époque révolue.

Ugo Rondinone, The archive of John  Giorno, vue d'installation, Palais de Tokyo, 2015 © Julia Gomila

Ugo Rondinone, The archive of John Giorno, vue d’installation, Palais de Tokyo, 2015 © Julia Gomila

La rétrospective apparaît en outre comme la présentation du cheminement spirituel de l’artiste, dont la poésie serait un outil cathartique. Un bilan du parcours artistique de John Giorno lui permettant de remettre en question sa pratique. Cette auto-analyse se concrétise d’ailleurs dans la vidéo Sleeptalking (Pierre Huyghe,1999), une reprise de la vidéo Sleep (Andy Warhol, 1963) où le visage plus âgé du poète se substitue progressivement à la figure juvénile initiale. En fond sonore, l’artiste analyse sa démarche à la lumière de la société américaine des années 70. Il a en effet puisé dans la culture populaire des États-Unis autant que dans les dérives de la société capitaliste une source d’inspiration considérable. Ce retour sur soi n’exclut pas le spectateur qui est pris à parti, notamment par le biais de la vidéo THANX 4 NOTHING (Ugo Rondinone, 2014), où le poète affirme sa gratitude envers tous ceux qui ont participé la construction de son œuvre. En visitant l’exposition, le spectateur participe donc à la vitalité de la poésie contemporaine.

Ugo Rondinone, THANX 4 NOTHING, Installation vidéo (noir et blanc), 14 min. 2015 Courtesy de l’artiste. © Ugo Rondinone

Ugo Rondinone, THANX 4 NOTHING, Installation vidéo (noir et blanc), 14 min. 2015 Courtesy de l’artiste. © Ugo Rondinone

Ainsi, le commissariat de Ugo Rondinone se confond avec l’oeuvre de John Giorno pour transmettre d’une manière plus vivante l’héritage du poète. La pertinence de cette rétrospective réside donc dans le dialogue instauré entre l’aspect historique du corpus d’oeuvres présentées et leur réactualisation à travers une scénographie totale et interactive.

Julia GOMILA

Informations pratiques

21.10.2015 > 10.01.2016

Palais de Tokyo (13 Avenue du Président Wilson, 75116 Paris)

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