» Take me I’m yours  » but I need more

Exposition phénomène au concept unique, “ Take me I’m yours “ relève un pari fou…un peu trop fou peut-être.  Au gré de sa déambulation, le visiteur peut toucher, goûter, créer et emmener les oeuvres d’art exposées.
Présentée dans la luxueuse Monnaie de Paris après avoir fasciné le monde de l’art londonien à la prestigieuse Serpentine Gallery, l’exposition était d’ores et déjà un succès assuré. On ne retrouve pas n’importe quels artistes puisque les commissaires sont Christian Boltanski (qui s’auto-expose), Hans Ulrich Obrist et Chiara Parisi.

Premier élément à analyser, avant même de voir l’exposition : la communication faite par la Monnaie de Paris. Aujourd’hui, face à la prolifération d’images et de publicités, il est primordial de savoir innover lorsque l’on promeut un événement. On réalise alors que les expositions sont de plus en plus traitées comme des événements, leur stratégie de communication s’apparentant à celle d’une foire commerciale ou d’un parc d’attractions.
Ici le message est simple et efficace : TOUT DOIT DISPARAÎTRE.
Dans l’ère du tout-à-emporter, il semble presque naturel que l’art s’y mette aussi. Mais se pose alors la question d’être sûr que nous sommes bien dans une exposition d’art et que l’on nous offre des œuvres et non seulement des produits dérivés. Car si le commissaire Hans Ulrich Obrist ressuscite son exposition déjà réalisée en 1995 à la Serpentine Gallery, il a dû commander ces  » oeuvres à emporter  » aux artistes exposés. Ici on entend résonner la voix provocatrice de Marcel Duchamp qui suggère que tout objet placé dans le White Cube s’élève aussitôt au statut d’oeuvre d’art, peu importe sa nature.

Vue de l'exposition " Take me , I'm yours ", 2015

Yoko ONO, Wish Tree, 2007, exposition  » Take me , I’m yours « , 16 sept-8 nov, Monnaie de Paris, © Mona Prudhomme

Dès l’entrée dans le lieu mythique parisien, les souhaits déposés par les visiteurs dans les trois Wish Tree de Yoko Ono se balancent au passage des visiteurs. L’oeuvre est poétique, esthétique et bien-pensante. L’altruisme de cet appel aux vœux de chacun nous plonge déjà dans l’ambiance de Noël qui ravit les tous petits.

Vue de l'exposition " Take me i'm yours ", 2015

Christian BOLTANSKI, Dispersion,  1991, © Mona Prudhomme

Non ce n’est pas la vente au kilo d’Emmaüs, mais bien l’oeuvre de Christian Boltanski qui offre à chaque visiteur de repartir avec le vêtement de son choix. Étrange résultat si l’on repense à sa Monumenta «  Personnes »  en 2010 qui remplissait la verrière du Grand-Palais par ces mêmes piles d’habits usés, questionnant notre rapport au temps, à la mort et à la mémoire. Serait-ce la fatalité d’une longue et brillante carrière ? Boltanski comme Obrist reprennent leurs vieux outils, fiers de laisser leurs empreintes dans le monde de l’art, quitte à dénaturer la monstration première de leur travail. Mais qu’importe cela, il faut répondre à l’attente avide du grand public qui cherche du jeu et du fun à tout prix. L’exposition-événement de notre société de spectacle fonctionne et participe à ce culte de l’événementiel que théorisent de façon complémentaire les essais d’Yves Michaud ou de Guy Debord.

En effet, il est agréable de rentrer chez soi avec une affiche, un badge, un vêtement, une carte postale et bien d’autres petites  » oeuvres  » dérobées légalement. Cependant, ces babioles ont tout de même un coût puisque l’entrée est à 12 euros. Entrons dans notre rôle de visiteur-consommateur et avouons que le concept est un peu léger. Il est frustrant de faire le tour des salles en trente minutes, avec sous le bras quelques selfies loufoques et un sac minutieusement rempli, et d’être déjà dans la boutique.

« On veut donner un peu d’air dans le monde de l’art, qui est trop professionnel et sérieux » Christian Boltanski, artiste et co-commissaire de l’exposition.

Surtout pas trop de sérieux, le pari est donc réussi. Mais bien qu’il soit louable d’introduire de l’amusement dans ce cadre institutionnel de l’art souvent hermétique à une majorité, des pistes de réflexion auraient été les bienvenues. Il ne semblait pas difficile d’accompagner un peu le public en justifiant un rapport entre les œuvres, en construisant un discours autre que la courte facilité à laisser le visiteur roi, errant de salle en salle pour remplir son sac.

Andrea FRASER, Preliminary Prospectuses, 1993 / Jef GEYS, !question de femmes!, 1980-2015,  © Mona Prudhomme

 

Serait-il démodé de se cultiver dans les expositions ? L’heure est-elle déjà venue de tirer un trait sur la réflexion tant on aurait besoin de divertissement ? Sans entrer dans un débat infini sur la facticité de la démocratisation de l‘art, il faudrait rester attentifs à cette nouvelle vague écrasante de l’exposition-événement. L’éducation culturelle par l’expérience est une approche qui depuis longtemps fait ses preuves. Cependant, faut-il savoir distinguer l’expérience de la pure distraction lorsqu’il s’agit d’initier un nouveau rapport au visiteur-acteur de l’exposition d’art.

La vraie bonne idée de l’exposition ? Un performeur qui propose un troc spontané avec les objets que les visiteurs ont sur eux.  Ainsi on assiste à l’échange d’un livre de littérature française contre des paillettes venant du Brésil, troquées auparavant contre un origami. Instant philosophique sur le chemin des objets, décrivant indirectement l’histoire ou du moins un bout de vie de leurs propriétaires.

Pour conclure l’exposition, on aurait pu imaginer une installation de Céleste Boursier-Mougenot, proche de son Aquaalta, avec comme souvenir à ramener chez soi une fiole d’eau divine ?

Mona Prudhomme

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