Poésie botanico-scientifique de Rodrigo Arteaga – Galerie Sobering

Roi du scalpel, Prince du trompe-l’œil, Rodrigo Arteaga, jeune artiste chilien de 26 ans, présente son travail à la galerie Sobering du 14 mai au 13 juin 2015.

Le travail de Rodrigo Arteaga fait référence à l’anatomie humaine, à l’univers organique et scientifique. L’artiste intervient sur le papier, les livres, les cartes. Il transforme la fonction explicative des schémas scientifiques, médicaux, des cartes routières.

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Autumn, paper leaves, 2015

Lorsque l’on entre dans la galerie, nous sommes face à un tas de feuilles disposé dans un coin. Que nous évoque-t-il ? Les feuilles sont fausses. À y regarder de plus près, il s’agit d’images de feuilles imprimées, puis découpées, froissées et disposées de manière à former un tas. Pourquoi l’artiste a-t-il choisi d’utiliser des impressions papier plutôt que de véritables feuilles ? C’est en observant les autres œuvres dans la galerie que nous pouvons tenter de cerner cet univers singulier, représentatif du réel.
Sur un socle, un livre dont les pages peintes en noir, laisse transparaître quelques illustrations. Plus loin est encadrée la reproduction grand format d’une feuille dont la précision des découpes permet d’imaginer son squelette comme si les modes de décomposition de la feuille avaient été recréés. D’autres œuvres forment des végétaux, mais il s’agit finalement des autoroutes d’une carte du Chili minutieusement découpées et mises en relief. On perçoit également un livre sur la terre qui abrite réellement de la terre et une plante qui s’y développe. Se pose alors la question du rapport entre nature et culture. La culture suggérée par le livre et la nature qui prend le dessus en poussant au milieu des pages.

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La Tierra

Un pan de mur est dédié à l’accrochage de dessins encyclopédiques. Que représentent-ils ? L’artiste, à travers ces dessins, s’intéresse au degré de représentation à la manière d’une mise en abyme. On pourrait parfois penser que le dessin représente une plante, mais il s’agit finalement d’une opération précise : une plante a été scannée, imprimée, sculptée, puis dessinée. Ou l’inverse. Dans tous les cas, le processus créatif de l’artiste reste complexe, réaliste et fictionnel à la fois.

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« Encyclopedic Drawings » series, 2014

Dans une société où il y a trop d’images, l’artiste s’interroge sur la question de la représentation. Dessiner un objet. Dessiner un objet à partir de l’image de cet objet.

Reste la sensibilité. Les œuvres de Rodrigo Arteaga, en remettant en question la représentation, nous pousse à nous incliner, à nous approcher. Sait-on encore regarder un visage ? Sait-on encore écouter une histoire ? Sait-on encore éprouver des émotions ? Les détails, la précision et la finesse des œuvres impliquent un regard observateur, attentif, contemplatif, de la réflexion pour que le travail et les propos de l’artiste parviennent à atteindre notre sensibilité.

Que fait Rodrigo Arteaga quand il représente une feuille d’arbre par une feuille en papier modifiée ? La représentation cartographique du cerveau par un plan de métro ? Il nous amène à considérer le sens en sculptant la forme. L’artiste nous invite ainsi à déplacer notre regard de ce qui paraît vers ce qui est. Telle est la question ici posée, de manière énigmatique et sous-entendue : que percevez-vous dans le fatras du monde ? Ce qui vous parvient n’est pas ce qui est réellement. Question fondamentale abordée par de nombreuses pratiques artistiques, comme la littérature ou encore le théâtre. Rodrigo Arteaga nous pose bien ici la question fondamentale : être ou ne pas être. La feuille n’est feuille qu’en fonction du regard de celui qui lui donne matière. Celui qui voit, qui assiste, décide inconsciemment de ce qui est en face de lui, en fonction de ce qui a été déjà été. C’est ainsi, par un jeu de formes et de dévoilements du regard, que l’exposition se construit savamment, doucement, tel un mirage qui nous aurait échappé.

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Atlas of comparative botanical studies, 2014

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Atlas of comparative botanical studies, 201

Interroger la matière d’une œuvre, la provenance de ses matériaux, la façon dont elle a été conçue ; ces opérations prennent sens dans l’exposition de Rodrigo Arteaga. L’œuvre se justifie d’elle même, sans légende.

En jouant avec les différents degrés de perception, l’artiste imagine, sans relâche, transforme, réinterprète, recréé. Dans cet univers poétique, entre nature et culture, entre imaginaire scientifique et botanique, vit un travail minutieux, d’une finesse renversante, qui témoigne du talent des jeunes artistes d’aujourd’hui, et de demain.

Janice Szczypawka

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