Marion Catusse – Autopsie artistique des enfants perdus, entre autres.

Marion Catusse est une jeune artiste de 23 ans. Après des études de design d’espace, elle s’est réorientée vers les arts plastiques. Lundi 27 avril 2015, elle m’a fait part de son univers artistique, autour d’un chocolat chaud.

Comment vous définissez-vous artistiquement ?

Je travaille autour de l’organique et du minéral : l’univers cellulaire. J’explore un univers invisible qu’est le microscopique et je me l’approprie à une échelle différente.

 Peut-on traduire votre démarche par une profonde recherche anatomique, ou plutôt comme une étude artistique ?

Une étude artistique même si au départ j’ai commencé à travailler sur la cartographie du corps. Mes premiers dessins ont donc été conçus à partir d’un livre d’anatomie et portent ainsi le nom de parties du corps : le cœur, l’estomac, le pancréas, etc.

Aujourd’hui mes cellules sont plutôt ma vision de l’univers microscopique, il y a un côté très aléatoire dans mon travail, c’est plutôt de l’expérimentation artistique d’un univers scientifique.

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Cartographie du corps, Cœur, Pancréas et Estomac, 2012, Ink and glue on paper, 21 cm x 15 cm

 Utilisez-vous des outils de la biologie médicale tels que des microscopes, pipettes, flacons pour créer vos œuvres ?

J’utilise la pipette. J’ai fait quelques œuvres dans des boîtes de Pétri aussi, car j’aime l’univers scientifique. J’aime bien le côté froid et propre de l’univers scientifique, le fait d’exposer sur des plaques transparentes afin que le rendu soit neutre et minimal.

 Ainsi, pouvez me parler de votre manière de procéder ?

Je fabrique les cellules à partir d’une réaction chimique entre la colle et l’encre. Selon les colles, selon les encres, selon le support, la réaction est différente. Sur papier, il n’y a pas de transparence, mais j’aime bien que des volumes se créent.

J’ai commencé à travailler sur du verre lors de la journée de métiers d’art au Musée de Cluny, où l’on devait réinterpréter une œuvre du musée. J’ai choisi les vitraux. Je me suis rendu compte que la chimie ne marchait pas entre le verre et la colle, que la matière se décollait. C’est ainsi que je récupère mes cellules pour les intégrer aux pierres, aux crânes, à la résine. J’essaye aujourd’hui de travailler avec de la gélatine aussi.

 Est-ce qu’il vous arrive de déposer de l’encre directement sur les objets ?

Je l’ai fait sur des petits os, ainsi que sur des coquillages. L’encre s’infiltre de manière aléatoire. Il faut qu’il y ait un intérêt, que le support et l’encre interagissent.

 D’ailleurs où et comment vous procurez-vous tous ces os ?

J’ai eu la chance de faire mon projet de mémoire au Museum National d’Histoire Naturelle au sein du pôle Taxidermie qui m’a donné des os. Le Museum a une collection d’état et des pièces données par des gens, qui ne sont pas des pièces d’état.  J’avais trois mois pour faire mon projet de mémoire au milieu d’animaux silencieux.

La série Les enfants perdus a la particularité d’avoir été justement réalisée au sein du Muséum national d’Histoire naturelle. Pourquoi avoir choisi cette appellation ?

Au musée, les os qui ne servent pas, dont on ne connaît rien, sont appelés les enfants perdus. C’est donc le sujet de mon mémoire.

2014

Les enfants perdus, 2014, Skull, resin, agar agar, mica, ink and glue

 

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Les enfants perdus, 2014, Skull, resin, agar agar, mica, ink and glue

Les enfants perdus, 2014, Skull, resin, agar agar, mica, ink and glue

 

 

 

 

 

 

Possédez-vous un « cabinet de curiosité » pour entreposer toutes ces acquisitions ?

Non. Pour être honnête, toutes mes pièces sont dans une malle fermée. Je vis chez mes parents, je n’ai pas la place, j’ai un chat et ce sont des pièces fragiles. J’ai encore beaucoup de pierres qui traînent et qui n’ont pas encore trouvé leur allié.

Vous travaillez donc à partir d’ossements, du corps interne, qui auraient plutôt tendance à déranger, mais le rendu est très esthétique. En quoi l’esthétisation de notre structure interne est importante pour vous ? Est-ce une manière de rendre beau ce qui vous semble laid ?

Ce sont des os d’animaux, car j’étais dérangée à l’idée de travailler sur le corps humain, même si on me l’a déjà proposé. Ce serait trop morbide. Tandis que ça l’est moins sur le corps animal. Pourtant je suis une Brigitte Bardot, j’adore les animaux, mais j’arrive à m’en détacher. J’ai toujours une appréhension à dire aux gens que je travaille sur l’organique et les os, car je sais que cela peut déranger, mais je considère que je travaille sur la vie et non pas sur la mort. Mes cellules viennent redonner de la vie à des os morts.

Je chercherais à les rendre « beaux » si je les trouvais laids, mais c’est tout l’inverse. Mes supports sont beaux lorsque je les choisis, quand ils sont bruts, autant les os que les pierres. Le choix des couleurs serait plus une manière d’esthétiser l’univers cellulaire en effet. Mon travail serait totalement différent si je n’utilisais que du rouge sang. Et le côté minimal, la transparence viennent « apaiser » en quelque sorte le support qui parle déjà beaucoup de lui-même.

Il est tout de même possible d’évoquer une dimension funèbre dans votre travail, relative à la mort, malgré votre volonté de lui tourner le dos.

Je n’aime pas la mort, mais je ne travaille pas sur des os pour exorciser une sorte de peur. Et puis je travaille sur la vie, dans le sens où ma cellule vient redonner de la vie à des supports inertes. Mais je sais qu’en parlant de la vie, cela implique la mort. Cependant, je ne cherche pas à ce que l’on voit la mort dans mon travail.

Les os, 2013, Bones, ink and glue, 9cm

Les os, 2013,
Bones, ink and glue, 9cm

Les premières choses que j’ai faites étaient rouges, dans des coquilles d’œufs, et je parlais d’embryons morts. Pour le coup, je parlais de la mort. Ainsi, aujourd’hui, je n’utilise plus de rouge, mais les couleurs. Ma seule cellule rouge, je ne l’aime pas. J’utilise une gamme de couleurs qui est très douce. Du violet, du bleu. Je travaille avec une gamme de gris, violet et vert et un peu d’ocre. Au départ, je ne travaillais qu’avec du rouge. C’est en me détachant des livres d’anatomies que j’ai réussi à me détacher de la couleur sang.

Il me semble que les prises de vue sont importantes dans votre travail. Vous photographiez vos œuvres comme si vous deviez les archiver, les classer. Avez-vous imaginé un rituel d’immortalisation de vos œuvres ? Pouvez-vous me parler de ce choix de cadrage, de fond neutre qui rend l’image très pure, et très nette ?

J’ai demandé de réaliser un shooting à une amie de la section Photographie de mon école. La seule règle était que le fond soit blanc pour la neutralité. Je voulais aussi qu’on ne voie que les pièces afin que mon book soit le plus sobre possible.
Mais j’aimerais bien refaire un shooting avec une mise en scène sur des supports, comme des photos d’exposition.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler à partir de l’infiniment petit ?

Le livre d’anatomie. Dans cet énorme livre présent dans mon école, il y avait des motifs étranges, microscopiques, incroyablement beaux.

 Pouvez-vous me parler de votre sensibilité à la texture, au matériau ?

J’aime les matériaux bruts. Je dois m’adapter à eux. Avec le mica par exemple, c’est le fait qu’il ait des failles, de devoir travailler là où j’ai le droit de travailler.

Les micas, 2014, Mica, ink and glue

Les micas, 2014,
Mica, ink and glue

Les titres sont plutôt significatifs. Leur accordez-vous une place importante dans votre travail ? Les choisissez-vous en fonction de la dimension poétique et narrative supplémentaire qu’ils peuvent apporter aux œuvres ?

J’ai eu beaucoup de mal a donné des titres à chacune de mes œuvres. Je donne plus facilement un titre à la série. Ce n’est pas quelque chose finalement qui m’importe beaucoup. J’aime laisser les autres interpréter.

Durant ma deuxième année d’arts plastiques, j’avais réalisé un projet qui s’apparentait à une sorte de test de Rorschach. J’ai demandé à l’un de mes professeurs, psychologue dans un hôpital, de tester mes travaux sur ses patients. En leur montrant mes dessins, chacun a donné cinq mots. Cela m’a permis d’utiliser certains de ces mots pour donner des titres. Je trouve que dans l’art c’est la compréhension des autres qui est très importante. Si personne n’est touché par ce que je fais, ce n’est pas très intéressant. J’avais envie de savoir ce que les autres voyaient. J’ai donc fait le test sur d’autres personnes. Les mots se ressemblaient beaucoup finalement. Le milieu aqueux, l’univers, la cellule étaient des mots récurrents.

Ma série nommée Les pétales représente cinq petits cubes de résine avec des cellules violettes. Les pétales racontent une histoire. Lorsque je décolle les cellules du verre, je les laisse tomber. Ils ressemblent à des pétales qui tombent.

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Les pétales, 2013, resin, ink and glue, 5cm x 5cm x 4,5cm

Vos œuvres cultivent un certain mystère. Pouvez-vous parler de cette dimension mystérieuse ? Est-ce une volonté pour vous de faire des pièces « abstraites » ? 

Je ne cherche pas à ce que ce soit mystérieux. C’est abstrait certes, mais la plupart des gens comprennent l’univers cellulaire directement. Mais c’est plus intéressant que le spectateur se questionne que de tout lui donner.

 Où puisez-vous vos sources d’inspiration, même si vous précisez ne pas vraiment vous en servir ?

Je suis attirée par des artistes qui travaillent sur le microscopique ou le corps humain, comme le travail de Lubos Plny, exposé à la galerie Christian Berst. Son travail anatomique est incroyable. Antoine Bridier-Nahmias, chercheur en virologie et pathologie moléculaire à l’hôpital Saint Louis, m’inspire aussi. Il travaille avec des champignons dans des boîtes de Pétri et il fait des paysages de moisissure.

Vous allez bientôt exposer au salon de Montrouge, qu’attendez-vous de cette expérience ?

J’ai encore du mal à l’imaginer. Je suis à la fois très impatiente et stressée. C’est ma première exposition donc mon imagination déborde. Mais je crois que c’est surtout les rencontres qui vont être importantes via les nombreux rendez-vous organisés entre artistes et professionnels du milieu de l’art.

Pouvez-vous me parler des œuvres que vous avez choisies de présenter ?

J’ai essayé de choisir des pièces qui représentent assez bien tout mon univers, autant organique que minéral, sur verre, résine… Mais je ne suis pas encore totalement fixée.

Quels sont vos futurs projets ?

J’ai commencé à expérimenter le végétal avec mes dernières pièces au Salon de Montrouge et j’aimerais le développer, intégrer le vivant dans mon travail.

Par Janice Szczypawka

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