« Leiris & Co » – Un voyage artistique

« Leiris & Co », du 3 avril au 14 septembre 2015, au Centre Pompidou Metz est une exposition qui présente un esprit à travers plusieurs autres. Grâce à environ 350 œuvres dont de nombreux chefs-d’œuvre d’artistes qui lui furent proches (Joan Miró, André Masson, Alberto Giacometti, Pablo Picasso, Wifredo Lam, Francis Bacon etc.), des objets et œuvres d’art africains et antillais, ainsi qu’un riche corpus d’archives et documents originaux (manuscrits, livres, films et musique), l’exposition qui lui est dédiée présente les multiples facettes de Michel Leiris.

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Francis BACON, Portrait of Michel Leiris, 1976 Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris © The Estate of Francis Bacon / All rights reserved / ADAGP, Paris 2014 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Bertrand Prévost

Le parcours de l’exposition se compose de 16 parties qui permettent de répertorier les différentes activités de Leiris. Il nous mène vers des univers, des personnalités, des voyages et des expériences propres à cet homme passionné, engagé, novateur. Une exposition autobiographique originale d’un écrivain autobiographique singulier, entre autres.

Homme de légende(s)

Poète, ethnographe, écrivain autobiographe, critique d’art, Michel Leiris est une figure marquante du 20e siècle. Grand intellectuel, ses soirées entre amis paraissent impensables : fidèle critique de Pablo Picasso et de Francis Bacon, il rencontre aussi Antonin Artaud et André Masson. Sa rétrospective au Centre Pompidou Metz ne pouvait se nommer plus fidèlement : Leiris et sa compagnie.

Le Centre Pompidou livre là un exercice formel réussi. Les voyages de Leiris, son combat antiraciste et anticolonial, ses valeurs progressistes, tout est authentiquement retranscrit et l’homme est raconté dans son exhaustivité. Mais si le défi de rendre claire la vie d’un homme aussi multiple que Leiris est abouti, la forme de l’exposition reste complexe. En effet, Leiris ne peint ni ne photographie, mais il écrit. La rétrospective de l’ethnographe-critique-écrivain-poète était un défi visuel ; comment rendre lisible et compréhensible une pensée dans un espace d’exposition ?

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Alberto GIACOMETTI, Figurine dans une boîte entre deux boîtes qui sont des maisons, 1950

Exposer Leiris c’est retranscrire ce qui a échappé à l’œil du grand public ; les réunions informelles entre grands intellectuels, son intérêt pour la corrida, son admiration pour le jazz et la révélation qu’il a eue devant l’image de Fred Astaire. Le Centre Pompidou réussit, à travers un parcours fait d’enregistrements audio, d’interviews, de documents originaux, de carnets de voyage, à plonger le visiteur non seulement dans la vie d’un grand intellectuel, mais aussi dans une époque révolue. Son œuvre est un regard sur le monde et, à travers lui, un contexte nous revient : le début du 20e siècle, aussi colonialiste que déjà moderne, en plein renouveau technique et artistique.

La vie de cet intellectuel est donc exposée selon le thème plutôt classique « ma vie, mon œuvre ». Cela aurait pu être ennuyeux, parce que complaisant. Mais la prouesse est de confondre la vie et l’œuvre de Leiris dans un savant mélange visuel et auditif, faisant appel sur le même plan à la sensibilité et à l’intellect. L’existence de l’homme devient matérielle devant nos sens et nous parvenons à distinguer, à travers les restes du passé, sa vie comme une matière dans l’espace de l’exposition. Et la matière pourrait être le maître mot, la traduction littérale du travail d’écrivain de Leiris. Il nous donne à voir, parfois même au-delà de l’image, ici en légende de Head VI (1949) de Francis Bacon :

 « Le cri, avec sa violence abrupte, est positivement un trou ou une déchirure dans le tissu de la vie civilisée. »

Michel Leiris, A cor et à cri, 1988

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Head VI, 1949

Tel est le ton, souvent bestial, de l’exposition. Leiris n’expose pas, il est exposé. Ses mots, sa voix, son visage nous restent comme des traces, des visions furtives d’un homme de l’ombre ; au fur et à mesure de l’exposition, la figure de l’homme s’éclaircit et son œuvre nous apparaît impressionnante. Impressionnante au sens photographique du terme, car son travail nous reste en mémoire. Michel Leiris s’est constitué artiste en dehors de l’œuvre, en intériorité et en réflexion, et nous délivre un secret.

L’œuvre que l’on n’enlèvera jamais à l’artiste, c’est peut-être sa pensée.

Janice Szczypawka

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