L’art de faire rire – Jérome Cavalière

Rencontrer Jérome Cavalière ou découvrir l’une de ses œuvres, c’est s’offrir quelques minutes de rires francs grâce à son aisance à la plaisanterie et son regard cynique sur le monde. Ce jeune artiste, fraîchement diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Art de Grenoble ne se découvre une aptitude à cette carrière que relativement tard. Comme n’importe quel autre jeune, il aime créer des situations drôles et s’amuser des contraintes absurdes. Ce n’est qu’après de nombreuses années passées dans le milieu sportif (dans lequel il a pu gravir les échelons jusqu’à l’équipe nationale de tir à l’arc) et une blessure l’empêchant de continuer qu’il découvre que sa production, bien qu’intangible, s’apparente à l’art contemporain. Toutefois, le domaine sportif continue de hanter sa création : guéri de sa blessure, il peut de nouveau saisir arc et flèches et faire contribuer ces surprenants outils à sa création.

JEROME CAVALIERE, ENTRETIEN AVEC UNE ŒUVRE D’ART, ESSAI N° 4 À 30 METRES, 2013, COLLECTION PRIVEE © JEROME CAVALIERE

Il vaut mieux expérimenter ce que fait Jérome Cavalière qu’en discuter avec lui : il éprouve quelques difficultés à théoriser son travail. Se sentant bloqué par les anciennes contraintes scolaires qui imposaient de s’inclure dans une tendance, il préfère se libérer de ce type de carcans. Il crée avant de construire son discours. De la même manière, il refuse de voir dans les médiums utilisés une astreinte. Celui qui se prête le mieux à l’idée sera le bon : ainsi, on trouve dans son corpus d’œuvres des vidéos détournées, du dessin, des photographies, de la performance, des installations.

Le comportement d’enfant créatif dont il n’a pas pu se défaire s’allie à un esprit intelligent pour plonger les spectateurs (mais aussi lui-même) dans les situations les plus irréalistes possible. Un jeu de mots, une blague potache entre amis deviennent sources de création. House Music naît de l’impossible rencontre entre l’univers House (style de musique, mais aussi traduction anglaise de maison) et les cabanes de jardin pour enfants. Ces maisonnettes se transforment en boîtes de nuit stroboscopiques où l’on peut imaginer des bambins en transe, reproduisant précocement le comportement de l’adulte en devenir. Il tente de remuer l’univers des spectateurs, les confronter à une réalité qui n’est plus tout à fait la leur. En mettant en scène des instants dont l’absurdité déconcerte, il essaye de transformer leur expérience du quotidien.

Mais la profondeur du discours de Jérome Cavalière se situe dans la moquerie constante des systèmes réels dans lesquels il évolue. Avant son entrée à l’école d’art, il ne s’intéresse que très peu à la pratique artistique et encore moins à sa théorie. La vénération qui règne autour de l’œuvre en tant qu’objet ne le touche pas ; l’illogisme derrière l’adoration d’un urinoir retourné et signé le laisse perplexe. Qu’à cela ne tienne, le jeune homme va faire descendre de leur piédestal les œuvres super-stars. Il prend les peintures de Mosset pour cibles, dévisse les néons de Dan Flavin et déplace au fenwick un Bernard Venet. Arrêtons donc de prendre l’art au sérieux !

JEROME CAVALIERE, FLAGRANT DÉLIT, 2011, TIRAGE PIGMENTAIRE MONTÉ SUR DIBOND ENCADRÉ, 105x70cm, SÉRIE DE 6 PHOTOGRAPHIES ©JEROME CAVALIERE

La vie quotidienne, mais surtout les mondes de l’art et du sport ne peuvent pas échapper à son humour grinçant. Dopage, drogues, fausseté et complaisance, tout est pointé du doigt et moqué. Les séries de vidéos Désaccords donnent une assez bonne vision de son travail : tout démarre par une plaisanterie avec un ami, Stéphane Déplan, une vidéo filmée au téléphone de jeunes en train de se battre, récupérée sur internet, et des sous-titres qu’ils rajoutent pour détourner le sens de leurs paroles. Des artistes ivres se disputant après s’être vus chassés d’une exposition, le ton montant entre le directeur d’un FRAC et des artistes… les sujets tournent autour des tensions cachées du monde de l’art, le tout baignant dans le vulgaire et le médiocre. Si le traitement fait rire, on comprend bien vite que la réalité n’est pas si drôle. Il prend parti de tourner en dérision l’hypocrisie de cet univers dont il profite malgré tout.

Jérome Cavalière, Désaccords, 2014, Série de vidéos en collaboration avec Stéphane Déplan. ©Jérome Cavalière

Car, l’artiste, loin de tout désir de portée politique, se refuse à tout esprit critique et condamnation morale. Selon lui, il serait encore plus hypocrite de sa part de vainement tenter de changer le monde tout en y creusant sa place. Militer ou vendre, il faut choisir.

Même si l’on peut regretter ce manque de volonté de dénoncer réellement (après tout, l’art ne sert-il pas à proposer d’autres points de vue, d’autres réalités qui peuvent être adoptés pour changer les situations actuelles ?), Jérome Cavalière se démarque par son esprit cabotin. Il est bouffon à la cour du roi : énergumène sans limites, il sautille autour des plus grands en leur tendant un miroir déformant. Il rit de nos erreurs, de nos contradictions, de cette bienséance que nous nous imposons. Il critique, oui, mais c’est à la fois avec et de nous qu’il rit et qu’il joue.

JEROME CAVALIERE, TEXTES CRITIQUES, ROTRING SUR PAPIER, 21×29,7cm, 2013 ©JEROME CAVALIERE

Anaëlle Villard

Jérome Cavalière présente Désaccords et Competition are for horses, not artistsau salon de Montrouge du 5 mai au 3 juin 2015.

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