« De Concert », Benjamin Mouly, galerie les Filles du Calvaire (6 Mai 2015 au 20 Juin 2015).

Images court-circuitées

La galerie les Filles du Calvaire organise simultanément deux expositions monographiques, et notamment la première exposition personnelle de Benjamin Mouly, 28 ans, diplômé de la célèbre école de photographie d’Arles et bientôt de la HEAD (Haute École d’Art et de Design de Genève). Le photographe nous emmène dans une promenade visuelle où les images surgissent plus qu’elles ne se laissent regarder.

L’exposition s’apparente à un circuit où chaque photo représente une nouvelle étape, une nouvelle histoire. Benjamin Mouly photographie des moments intimes, des extraits de son quotidien. Ils sont souvent anodins, tels qu’un vase rempli de fleurs sur une table (Flowers, 2013) ou une femme portant deux verres (Two Glasses, 2013). Toutefois les jeux de cadrage, ou plutôt de décadrage, donnent une aura mystérieuse à ces parcelles du réel. Cela crée l’envie chez le spectateur de connaître ce qui se trame en dehors des contours de l’image. Ainsi, le travail du photographe suit un fil rouge soit la porosité, comme il le dit lui-même, qui existe entre l’image et la réalité. Toutes ses photographies semblent être en suspension, comme s’il capturait un mouvement sans le figer totalement. Lorsque l’on observe la jeune fille qui lâche une orange dans le vide (Sans Titre, 2012), on ne peut s’empêcher de penser au moment où le fruit rebondira sur le sol. Il tente ainsi de matérialiser la « matière des attitudes » sans pour autant les emprisonner totalement.

Benjamin Mouly, Two Glasses, 2013, 33,5 x 50 cm Crédits : Benjamin Mouly, Galerie les Filles du Calvaire

Benjamin Mouly, Two Glasses, 2013, 33,5 x 50 cm
Crédits : Benjamin Mouly, Galerie les Filles du Calvaire

Dans la même optique d’échange, la disposition des photographies en fil indienne le long du mur n’en est pas pour autant linéaire. En effet, les jeux des formats, parfois petits, moyens ou grands, créent une rythmique aléatoire qui tient le visiteur en haleine. Comme une partition de musique, chaque image est liée à la suivante pour finalement former un tout. La trame musicale se matérialise d’ailleurs sous la forme d’une étendue jaune poussin, peinte pour l’occasion sur un mur de la galerie. Le photographe approfondit d’autant plus la mise en circulation des images à travers les Fragments (Fragment #3, Fragment #5) des installations pensées pour l’exposition « Space-Related » en 2013. Pour le Fragment 3#, il sélectionne deux morceaux de photographie, en l’occurrence Swing (2013) et Grape (2013), qu’il fait se chevaucher. Cette disposition questionne la lecture que l’on peut avoir d’une image au vu d’une autre. Comme une charade, il s’agit d’observer chaque élément visuel puis de les mettre en lien pour arriver à un ensemble, qu’il soit narratif ou symbolique. Ces images débordent du cadre qui ne limite totalement aucune des deux photographies, mais sert plutôt de trait d’union entre elles. En outre, l’étalement de ces images rappelle le format du livre, qui serait dans ce cas aplati pour mettre au même plan les photographies et favoriser leur interaction.

 Benjamin Mouly, Fragment #3 de l'installation « Space-related », 2013, 67 x 139 cm Crédits : Benjamin Mouly, Galerie les Filles du Calvaire


Benjamin Mouly, Fragment #3 de l’installation « Space-related », 2013, 67 x 139 cm
Crédits : Benjamin Mouly, Galerie les Filles du Calvaire 

Les œuvres de Benjamin Mouly apparaissent donc comme des objets porteurs d’histoires. Outre les différents flux qui traversent ses images et qui sont un terreau favorable à l’imagination, les couleurs contrastées et le grain si dense des photographies accentuent l’aspect irréel des scènes. L’artiste arrive à ce résultat en utilisant un flash puissant lorsqu’il saisit un instant. Ce procédé donne un aspect furtif à ces événements, qui semblent être des apparitions susceptibles de s’évaporer à tous moments (Path, 2012). De plus, la saturation des couleurs renforce le côté factice des images et leur inocule un côté pop, à la lisière du kitsch, sans jamais être vulgaire. En effet, le travail de l’artiste relève plus d’un énoncé poétique et subtil, où l’image est évocatrice d’une réalité plus que d’une confrontation visuelle.

Benjamin Mouly, Path, 2012, 33,5 x 50 cm Crédits : Benjamin Mouly, Galerie les Filles du Calvaire

Benjamin Mouly, Path, 2012, 33,5 x 50 cm
Crédits : Benjamin Mouly, Galerie les Filles du Calvaire

Dans une salle isolée, une vidéo projetée à même le mur, sur un carré également jaune poussin, reprend le propos de l’exposition. Des échantillons de photographies s’affichent et se succèdent sur le mur, avant de sortir hors du cadre pour laisser la place à de nouvelles. Bien que ces images soient mises en mouvement, elles semblent cependant moins dynamiques et propices à la rêverie que les photographies. L’installation aurait peut-être pris plus de sens si elle avait été intégrée au reste des œuvres au lieu d’être mise à part, marginalisant cette vidéo du reste de l’exposition. Néanmoins, « De Concert » a réussi son pari, celui d’assembler les différentes photographies de Benjamin Mouly en une mélodie délicate et onirique.

Julia Gomila

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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