« Chercher le garçon » – Musée du MAC/VAL

Une exposition faite uniquement d’oeuvres d’hommes ? Comme cela semble original. Dans une société patriarcale où les femmes bataillent pour se creuser un trou de souris là où les hommes prennent tout l’espace, est-ce vraiment de bon goût de penser ce genre d’événement excluant ? N’est-ce pas déjà le quotidien des expositions d’art de voir promu particulièrement le travail des hommes ?

Ces questionnements et préjugés ont plusieurs fois été adressés au Mac Val pour son exposition Chercher le Garçon qui a débuté le 7 mars 2015. Elle présente le travail de plus d’une centaine d’artistes masculins et environ 250 œuvres exposées. Frank Lamy, commissaire de « Chercher le garçon » cite Virginie Despentes et son merveilleux pamphlet féministe King Kong Theory en introduction : « De quelle autonomie les hommes ont-ils si peur qu’ils continuent de se taire, de ne rien inventer ? De ne produire aucun discours neuf, critique, inventif sur leur propre condition ? À quand l’émancipation masculine ? » Si l’on se penche sur l’Histoire de la représentation de la masculinité, dont les théorisations sont presque inexistantes, on remarque que, contrairement à celle de la féminité, extrêmement peu de changements ont eu lieu.

DAN FINSEL, THE SPACE BETWEEN YOU AND ME, VIDÉO DE 28’54 », 2012 ©DAN FINSEL

On critique de plus en plus régulièrement notre société dite patriarcale. De quoi s’agit-il ? Dès la naissance d’un enfant, une norme à laquelle il faut correspondre lui est déjà imposée. Le rose pour les filles, le bleu pour les garçons. Bien au-delà d’un goût pour les couleurs, ces normes vont conduire le mode d’éducation des individus selon leur sexe. Les adjectifs « faible », « doux » et « silencieux » vont, par exemple, sembler inhérents à la condition féminine tandis qu’être le « chef », « musclé », « insensible » seront les voies à suivre pour être considéré comme un homme. Depuis le début du 20e siècle, les mouvements féministes travaillent à briser ces constructions sociales. Dans l’idée collective, cette oppression touche seulement les femmes tandis que, bien qu’elles en soient les plus handicapées, les hommes la subissent également d’une manière différente. L’exposition pensée par Frank Lamy essaye de faire l’état des lieux de leur condition.

VUE D’EXPOSITION © TB/TIME OUT

Nous entrons dans la salle d’exposition temporaire par la confrontation avec une première œuvre de Laurent Prexl, jeune artiste français. L’œuvre se présente presque comme un tableau d’acuité visuelle qu’on trouve chez l’ophtalmologue. O, H, C, N, Ca… nos quelques souvenirs de chimie nous permettent de reconnaître les symboles des éléments de l’oxygène, de l’hydrogène et ainsi de suite, dont la taille décroît jusqu’à les rendre illisibles. Il s’agit ici de dresser un portrait de l’homme par sa composition moléculaire et de poser une limite : à l’instar des femmes, un homme n’est rien de plus qu’un autre homme. Le reste de cette première salle s’attarde sur la recherche des artistes pour déconstruire l’idée du mâle fort, du mâle viril, du mâle invaincu. Le visiteur pourra admirer les vidéos de Bas Jan Ader qui accepte la possibilité de la défaite en se laissant choir du haut de branches ou d’un toit, tandis que Philippe Perrin arbore son absence de musculature dans un costume de boxeur.

Les salles s’enchaînent et présentent diverses thématiques sur le sujet. Yan Xing donne à voir une vidéo dans laquelle des mannequins nus sont filmés dans des pauses que Robert Mapplethorpe donne à ses modèles. Leur corps, tout en nuance de gris, sublimé par le grain de l’appareil, tremble dans l’effort de maintenir sa position, mettant en scène la difficulté de ces hommes à se présenter sous une image de perfection trompeuse et l’irréalité de ces corps huilés et musclés. Plus loin, Michel Journiac discute de la condition de la femme par rapport à celle de l’homme en se travestissant pour la série 24 heures dans la vie d’une femme, en écho à Personal Commission de Leigh Ledare qui se laisse photographier dans des mises en scène très sexualisées, imaginées par des femmes qu’il rencontre par petites annonces. Sont abordées la question du modèle du père et sa mise à mal, la remise à l’état fragile d’enfant de l’homme, celle de l’individu qui se détache petit à petit du corps de l’homme pour découvrir de nouvelles nuances du genre. Le travail de Pippa Garner, transsexuelle, qui a laissé au passé le nom de Philippe, est notable : elle célèbre son mariage avec un double masculin. Cette union scelle l’acceptation de ses différentes identités.

LUCAS SAMARAS, PHOTO TRANSFORMATION, PHOTOGRAPHIE COULEUR, POLAROÏD SX 70 RETRAVAILLÉ À LA MAIN, 7,8 x7, 8CM HORS MARGE, 28 DÉCEMBRE 1973 © PACE WILDENSTEIN GALLERY/CNAP

En traitant des questions féministes, pro-LGBT (Lesbienne, Gay, Bi, Transsexuels/transgenre), de la construction sociétale du genre du point de vue de l’homme, l’exposition « Chercher le garçon » est exceptionnelle. Néanmoins, elle reste bancale sur certains points. Beaucoup de travaux ne semblent pas trouver leur place dans le discours de Frank Lamy et peuvent laisser le visiteur perplexe. Que vient faire Le mur couché de Christophe Cuzin entre ces murs, par exemple ? Ou encore le travail de Sepand Danesh qui réécrit inlassablement les ouvrages de Marcel Proust ? Au-delà de la question de la masculinité, on trouve des œuvres qui abordent celles du rôle et du statut de l’artiste. L’exposition regorge déjà de plus de 200 tableaux, vidéos, photographies, sculptures dans une scénographie extrêmement chargée. Les murs sont recouverts jusqu’au plafond, les sons des vidéos se recouvrent mutuellement et un brouhaha englobe les visiteurs. Bien qu’on puisse rapprocher ce tumulte de voix à la grande diversité des visions de la masculinité, l’absence de mise en valeur d’une œuvre par rapport à l’autre rappelle que chaque expression de la masculinité est personnelle et légitime. Il n’en demeure pas moins que l’ajout de questionnements sur la condition d’artiste vient polluer la compréhension du propos du commissaire.

L’image du phallus est bien évidemment très présente dans l’exposition, beaucoup d’artistes trouvant le courage de se présenter dans leur plus intime appareil. On note néanmoins le geste moqueur du scénographe qui livre un accrochage tout en finesse… Humour qui, cependant, finit par agacer : est-ce vraiment en accord avec l’esprit de « Chercher le garçon » que de glisser une plaisanterie vaseuse qui met le pénis en divin créateur ?

VUE D’EXPOSITION,  2015

Précédant la citation que Frank Lamy tire de King Kong Théorie, Virginie Despentes déclare que le but de la révolution féministe est d’« admettre qu’on s’en tape de respecter les règles des répartitions des qualités. Systèmes de mascarades obligatoires » et que « les femmes sont des lascars comme les autres, et les hommes des putes et des mères, tous dans la même confusion. ». Qu’il est dommage, dans cette exposition si prometteuse, puisque la masculinité est en chaque individu, de taire la parole des femmes et de ne définir, encore une fois, le genre homme qu’à ceux qui ont le bon attribut entre les jambes.

Anaëlle Villard

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