« Chercher le garçon », MAC/VAL

Pour fêter son dixième anniversaire, le MAC/VAL propose l’exposition « Cherchez le garçon » commissionnée par Frank Lamy ; une prise de position presque politique à l’heure où la société rumine la « théorie du genre ».

En 1981, le groupe Taxi Girl écrit « Cherchez le garçon, trouvez son nom. » et revendique la bisexualité de son chanteur. Il devient l’un des rares titres français de l’époque punk à traiter de l’homosexualité masculine. Frank Lamy titre par ailleurs son texte de présentation « Boys keep swinging » qui reprend le titre de David Bowie, précurseur sur la question du genre.

Les influences de cette exposition sont donc musicales et témoignent d’une certaine affection pour ceux qui ont initié, par le biais de la musique, une remise en question de la masculinité.

Mais alors, comment et pourquoi traiter d’un art dit « masculin » qui serait exclusivement réalisé par des hommes ? Pour cela, Franck Lamy se base sur des théories de femmes. Virginie Despentes, qui en appelle à l’émancipation masculine et pousse les hommes à réfléchir sur et pour eux-mêmes. Mais aussi sur Béatriz Preciado qui déconstruit les fonctions préétablies des femmes et des hommes dans la société. L’exposition s’avère être basée sur des prises de position féministes, dans le sens où la domination sous toutes ses formes doit être annihilée « Le féminisme est une aventure collective, pour les femmes, pour les hommes, et pour les autres » comme l’affirme Virginie Despentes.

« Cherchez le garçon » s’impose alors comme une exposition vouée à la destruction des stéréotypes avec un art typiquement masculin. Un an auparavant le musée d’Orsay créait la déception avec son exposition « Masculin/Masculin », partant du postulat selon lequel la nudité masculine semble peu représentée, voire tabou. Mais celle-ci distanciait l’homme de son corps à tel point qu’elle l’objectifiait. Alors qu’en-est il de ces artistes qui se servent du corps — pas forcement nu, pour penser et représenter l’homme moderne, l’anti-héros, le faible, le queer autant que le viril, le lâche, l’asexué, et tout ce qui englobe la nature humaine ?

En arrivant dans l’exposition, on tombe nez à nez avec l’œuvre Sans titre de David Ancelin. Posée sur un socle, une paire de santiags surmontée d’un pantalon avec la ceinture ouverte se tasse devant nous. Le pantalon prend la forme du corps, mais l’homme est absent, ou alors invisible. Le ton est donné : l’homme a baissé son froc. La tenue parfaitement virile du rock star n’est pas sans rappeler la fois où Jim Morrisson brisait le mythe de l’artiste maudit en baissant son pantalon sur scène, c’était en 1970. Cette sculpture — puisqu’elle est posée sur un socle, est à la fois provocation et soumission. Baisser son froc, c’est la lâcheté, montrer son sexe c’est de la provocation. Mais ici, la subtilité du corps absent montre l’ambiguïté du message : entre virilité et faiblesse.

David Ancelin, sans titre, 2009 bottes, pantalon et ceinture en cuir 40/40/140 cm (avec socle)

David Ancelin, sans titre, 2009
bottes, pantalon et ceinture en cuir
40/40/140 cm (avec socle)

Un peu plus loin, une télévision cathodique diffuse Broken Fall de Bas Jan Ader. L’artiste, tristement célèbre pour avoir disparu en mer, nous apparait ici suspendu à la branche d’un arbre. Seulement tenu par la force de ses bras, l’artiste va jusqu’à l’épuisement, puis chute. Ici c’est la force du corps qui est remise en question, l’homme est-il plus fort que la nature ? L’artiste flanche et perd l’équilibre sous la puissance du vent. L’homme peut-il se dépasser physiquement ? L’artiste ne lutte pas, il explore ses limites, puis accepte la chute comme un combat perdu.

Le combat. Certaines œuvres exposées semblent illustrer cette action, menée par des artistes initiant de nouveaux rapports au corps. C’est le cas de Genesis-P Orridge qui nous propose deux photographies qui sont finalement peu éloquentes de l’engagement de ce dernier. Genesis P-Orridge est l’initiateur avec sa femme Lady Jaye, d’un nouveau genre sexuel : la pandrogynie. Créateurs d’une identité singulière, la pandrogynie rassemble deux personnes (deux « âmes sœurs ») qui veulent faire partie d’un seul et même être. Pour cela, le couple use de la chirurgie esthétique, non pas pour ressembler à des jumeaux, mais pour devenir l’être qu’ils veulent incarner. Malgré la mort de sa compagne, Genesis P-Orridge continue de mener le combat d’acceptation de ce nouveau genre sexuel. Dans une pleine acceptation de sa singularité, entre homme et femme, dont il embrasse tous les aspects.

Genesis P-Orridge, BP010, Red chair posed, 2008, tirage c-print sous plexiglas, 143,51x182,88 cm

Genesis P-Orridge, BP010, Red chair posed, 2008, tirage c-print sous plexiglas, 143,51×182,88 cm

« Ce n’est pas ma révolution si ça ne me donne pas envie de danser » écrivait Emma Goldman. L’œuvre Ce qui est dansé, personne ne me lenlève de Santiago Reyes pourrait être la réponse à cette citation. Le film de l’artiste retrace le parcours emprunté par l’artiste pour se rendre de Noisy-le-Sec au Mac/Val, en transport en commun, et surtout, en dansant. Accompagné de musique, l’homme est concentré sur ses mouvements parfois maladroits. En faisant abstraction du monde extérieur, l’artiste semble agir dans l’urgence, dans une obligation personnelle qui semble finalement jouissive. De cette attitude anormale dont rien n’est condamnable, ce sont les mouvements autant que le corps qui appartient à l’artiste, dans une volonté libertaire.

Santiago Reyes, Ce qui est dansé, personne ne me l’enlève, performance, 2014

Santiago Reyes, Ce qui est dansé, personne ne me l’enlève, performance, 2014

« Chercher le garçon » s’attache à représenter une pluralité de médiums et de discours d’artistes hommes du XXe siècle. Alors que la masculinité tend à se redéfinir dans la société contemporaine, les œuvres proposées ne cherchent pas seulement à déterminer un nouveau masculin, mais à observer tous les aspects de l’homme moderne, qui prend en compte les questions intimes liées au « je ». La centaine d’artistes exposés introduisent l’idée de la lutte intérieure, de la destruction du patriarcat. Quand bien même la représentation phallique fait partie intégrante de l’exposition, elle n’est qu’un moyen de renverser son image de domination. « Chercher le garçon » pousse à la réflexion en convoquant des artistes dont le désir est d’enclencher une révolution, un renversement de l’ordre établi en se mettant dans la marge de la masculinité prédéfinie.

Ici, l’homme n’est ni le sexe fort ni le sexe faible, il est homme, dans sa définition la plus humaine.

Marie Bonhomme

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