À la recherche du temps ductile : Lyes Hammadouche

//« Tout est parti d’une colonne »

Le titre de l’exposition est à lui seul une évocation du lieu dans lequel elle se situe, mettant en avant l’ascension des colonnes comme point de départ du processus créatif. Elle prend place dans l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins, provoquant ainsi un dialogue entre un lieu patrimonial et la création contemporaine. Le Collège des Bernardins est un lieu d’enseignement théologique, menant d’autres actions comme des rencontres & débats et une programmation culturelle, allant de la musique à la danse en passant par l’exposition d’art contemporain. Le Collège  a décidé d’axer sa politique culturelle vers la promotion de la jeune création afin de permettre aux artistes émergeant les plus prometteurs de pouvoir réaliser et se confronter à l’exposition dans un lieu aussi symbolique que l’ancienne sacristie. Gaël Charbau, le commissaire invité, a convié Lyes Hammadouche, un artiste émergeant, à réaliser une résidence au sein du Collège en lui laissant carte blanche. Il s’agit pour l’artiste de sa première exposition monographique, mais également de sa première vraie confrontation avec un lieu singulier et chargé d’histoire. Durant trois mois, avant l’ouverture de l’exposition, il est venu très régulièrement dans l’ancienne sacristie afin de s’imprégner de l’atmosphère qui s’en dégage. Lyes Hammadouche est un artiste émergeant de 27 ans en fin de doctorat entre l’École Normale Supérieure et l’École Normale Supérieure des Arts Décoratifs. L’opportunité offerte par le Collège des Bernardins lui a permis d’expérimenter ses recherches dont l’axe principal est le temps ductile. Pour cela, il a réalisé cinq installations qui agissent comme un tout, mais tout en possédant leur individualité.

 

Vue de l'exposition "Tout est parti d'une colonne" ©Clément Le Penven, 2015

Vue de l’exposition « Tout est parti d’une colonne »
©Clément Le Penven, 2015

// Le temps ductile

Tout d’abord intéressé par le temps normé, l’artiste a orienté ses recherches vers son inverse : le temps ductile. Son but est d’analyser la création de dispositifs permettant de modifier la perception du temps du visiteur par le biais d’œuvres artistiques. En effet, le temps ductile est le temps de l’intériorité, intrinsèquement propre à chacun, il s’agit d’un élément subjectif qui varie selon chaque personne. L’ambiance de « Tout est parti d’une colonne » est propice à retrouver ce temps intérieur trop souvent occulté par le temps sociétal dans lequel nous évoluons tous les jours. L’ancienne sacristie est plongée dans la pénombre, permettant au temps extérieur de ne pas influer sur la perception du visiteur. Lyes Hammadouche y a donc créé un cocon temporellement à part où les sens des visiteurs sont réveillés.

// L’univers

La recherche du cosmos, de l’univers prend une place importante dans toutes les œuvres de l’exposition. Les engrenages Des développantes du cercle exacerbent l’ascension des colonnes de la sacristie, agissant comme des astres en constante révolution autour des colonnes. Ils produisent des éclipses avec les autres œuvres de l’exposition, en les occultant, un nouveau rapport de force se construit entre les œuvres. Le phénomène de révélation de la lumière que cela induit donne une autre dimension aux œuvres. Le rapport au temps et au cosmos est également présent avec CMB, le tempo infini du monde, cette œuvre évoque le Big Bang et le « Fond diffus cosmologique » en replaçant le visiteur dans l’expansion de l’univers dont les origines remontent à 14 milliards d’années. Alliant le passé et le présent en un seul instant. Murmure de Miroir participe à la dimension sonore de l’exposition. Le bruit métallique qui s’en échappe transporte directement le visiteur vers les sons cosmiques utilisés dans la science-fiction comme 2001, L’odyssée de l’espace. Tout comme sa forme circulaire et l’action de graver rappelle les sondes Voyageurs envoyées par la NASA en 1977 afin de montrer notre existence aux possibles formes de vies se trouvant dans l’univers.

Lyes Hammadouche, Les développantes du cercle, deux disques en polystyrène, acier, roulements, moteurs, 250x175x20 cm, 2015 Production pour le Collège des Bernardins ©Clément Le Penven

Lyes Hammadouche, Les développantes du cercle, deux disques en polystyrène, acier, roulements, moteurs, 250x175x20 cm, 2015
Production pour le Collège des Bernardins
©Clément Le Penven

// L’hypnose

L’hypnose et ses mécanismes permettant la modification de l’état de conscience sont des notions également au centre de la recherche de Lyes Hammadouche. 60 secondes et CBM, le tempo infini du monde sont les deux œuvres qui y font référence assez subtilement. 60 secondes se compose d’une roue en bois dans laquelle deux plaques de verre emprisonnent du sable blanc et noir et de l’eau. La lente rotation de la roue permet au sable de s’écouler lentement renvoyant à l’esthétique du sablier et au temps qui s’égraine littéralement au sein de cette œuvre. Son titre non figuratif invite le visiteur à interpréter comme il le souhaite le paysage en perpétuelle construction devant lui. Laisser travailler son imagination est très appréciable. Les subtiles variations du sable permettent de tenir en haleine le visiteur, biaisant ainsi sa perception du temps. Une seconde œuvre interpelle le visiteur grâce à son mécanisme de scansion. CBM, le tempo infini du monde, par le son sourd qu’elle produit vient créer un rythme dans l’exposition. Toutes les minutes, le cylindre de bois qui la compose vient frapper le sol (grâce un mécanisme laissé à l’appréciation du visiteur, rien n’est caché dans « Tout est parti d’une colonne »). Placée sur une fausse pierre tombale, la cavité qui se cache en dessous permet au son d’être amplifié et de venir perturber la déambulation du visiteur. Cette ambiance hypnotique est l’un des vecteurs permettant au visiteur de sortir du temps normé afin d’effectuer ce voyage intérieur.

Lyes Hammadouche, 60 secondes, 1 mécanisme, sable, eau, verre, tripli boulot, roulements, impression 3D PLA, 8x85x16 cm, 2015 Production pour le Collège des Bernardins ©Clément Le Penven, 2015

Lyes Hammadouche, 60 secondes, 1 mécanisme, sable, eau, verre, tripli boulot, roulements, impression 3D PLA, 8x85x16 cm, 2015
Production pour le Collège des Bernardins
©Clément Le Penven, 2015

 

Cette exposition est avant tout une expérience, celle d’un lieu et d’une autre temporalité. Certaines œuvres peuvent sembler soit totalement hermétiques, soit trop bavardes, cependant, cette exposition vaut la peine d’être visitée. Il est nécessaire de s’ouvrir aux œuvres pour laisser parler sa sensibilité, son imagination, car elles agissent comme autant de réflexion sur l’espace qui nous entoure, mais aussi comme des mises à nu du visiteur, l’aidant ainsi à réfléchir sur sa propre existence. Prendre le temps d’apprécier les œuvres est quelque chose d’essentiel dans « Tout est parti d’une colonne ». Les mécanismes cycliques assez lents et en constante évolution sont autant de détails dont les inductions sont laissées à la découverte du visiteur.

Cyrielle BRÉAN

Jusqu’au 5 juillet 2015 au Collège des Bernardins

20 rue de Poissy

75005 Paris

Du lun. au sam. de 10h à 18h, dim. 14h à 18h.

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