« OUTRAGE » : premier coup

À la Cité internationale des arts, au cœur de Montmartre, a été inauguré le premier coup du cycle d’exposition « Outrage » le samedi 11 avril avec un commissariat de Mathieu Buard. Dans une atmosphère tranquille et rurale, les œuvres d’un groupe de jeunes artistes émergents sont accueillies dans un atelier au premier étage d’un vieux bâtiment entouré de nature et de silence.

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

La nature restrictive des lieux et la verticalité accompagnent le visiteur dès son entrée dans l’édifice. À travers un petit escalier, on atteint le premier étage. L’espace où sont accrochées les œuvres joue sur la verticalité et sur le sens du désordre apparent qui doit frapper le visiteur dès son arrivée. À droite, à gauche, du sol au plafond, les murs sont recouverts d’œuvres qui saturent l’espace. Le concept « outrageant »,  volontairement étudié, se reflète soit dans l’accrochage, soit dans le mélange des techniques d’exécution des compositions. Difficile pour le visiteur de reconnaître les œuvres, présentées sans aucune légende ou indication. Une petite carte illustrée, trouvable à l’entrée, se propose d’indiquer la disposition des tableaux et des installations, sans signaler de manière précise la véritable identité des pièces. C’est un « outrage » à l’égard du public, mais aussi un « défi » pour le visiteur qui s’enfonce dans l’exposition, presque à l’aveugle.

Plan de l’exposition « Outrage » à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Plan de l’exposition « Outrage » à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Lolo, textile ajouré de Mimosa Echard, seule œuvre de l’artiste présente dans l’exposition, montre un grand rideau occupant les fenêtres, devenant ainsi partie intégrante, presque kitch, de l’ameublement. Le tissu déchiré, coupé et usé conduit les observateurs à jouer avec leur imagination, en les interrogeant sur le passé et sur l’emploi précédent du tissu.

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Laureline Galliot, designer industriel, propose une œuvre sur toile, Almost digital, où le regard très intense, hypnotique, mélancolique, mais dans en même temps sûr et décidé d’une jeune femme, devient le point focal du tableau. Le visage coloré s’oppose au fond naturel de la toile, les couleurs ne sont pas mélangées, mais distribuées une à côté de l’autre pour former des effets totalement artificiels d’ombres et lumières.

Sur le mur droit, en hauteur, le diptyque Série lucide (V) de Éva Nielsen voit la représentation d’un cottage plongé dans la nature ; la figure humaine en est absente (comme habituellement dans son travail), mais montre un moment de vie et de nature fermé sur la toile.

Refuge (boceto) de Raul Illarramendi, artiste vénézuélien, est réalisé avec l’usage d’un crayon de cire sur toile sur métal. Le fond violet est traversé par des traces de couleur noire qui correspondent, pour l’artiste, à des marques laissées par la patine humaine dans le quotidien urbain.

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

L’accrochage continu, sans ordre apparent, avec une œuvre de l’année 2015, sans titre, d’Amélie Bertrand à côté d’une des trois œuvres de Sylvain Couzinet Jaques présentes dans l’exposition : Outstanding Nominals, photographie de 2013. L’œuvre qui rappelle un polaroïd détruit par la chaleur, fondu, aux couleurs évanouies, semble se réfléchir dans l’autre photographie de l’artiste, Standars&Poors, sur le mur opposé, où, les images sont là encore détériorées et non visibles au premier regard.

Les œuvres de Gabriel Méo ne frappent pas par leur beauté, mais par leur étrangeté. L’artiste utilise et réutilise des objets et des images. La surface de la toile devient un champ d’expérimentation pas toujours compréhensible et parfois inquiétant, comme l’énorme bouche souriante d’un homme, réalisé sur toile, présentée verticalement et placée à côté de l’entrée.

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

En parlant de verticalité, Antoine Donzeaud, participe à l’exposition avec Ordinary Objects for Common Use (Couch), représentation sur toile en blanc et noir d’un vieux canapé, abandonné dans une chambre. Des taches de couleur sombre, omniprésentes dans ses œuvres et qu’on peut définir comme une sorte de signature de l’artiste, occupent la partie haute de la toile. L’artiste présente également pour l’exposition une autre œuvre : Boy Field Chill,  assemblage de métal, polyane, toile, acrylique et colliers de serrage polyamide.

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Raphaël Barontini, jeune artiste de Saint-Denis, nous offre pour cette occasion trois oeuvres. Black venus, appartenant à la série Célébration, frappe pour son format insolite : la peinture, réalisée sur toile, rappelle à première vue un étendard, une bannière visible pendant les carnavals et les processions religieuses. Évidente est la volonté de l’artiste de déplacer la peinture en lui donnant un nouveau statut, avec un travail innovant où l’idée est de faire sortir l’art des endroits qui lui est traditionnellement réservé, pour être brandi et transporté ailleurs. Black venus, réalisée à travers un collage digital de plusieurs éléments, voit la représentation du buste d’une statuette votive africaine, imprimée en négatif et en blanc, avec l’ajout de petits détails. Le collage d’éléments différents est aussi évident dans Nature morte au fouet et à la conque et dans Drapeaux, des tissus suspendus de formats divers, sur lesquels sont représentés des portraits qui rappellent la royauté, élément récurrent de son travail.

En continuant le parcours de l’exposition, on tombe sur un petit coin de l’atelier, séparé du reste par l’œuvre de Gabriel Méo (flanquée à côté de l’entrée), où l’atmosphère devient plus intime et privée. Dans cet endroit sont disposées les projections de Ludovic Sauvage : Plein Soleil, diaporama composé par 81 diapositives de paysages où l’œil cherche à reconstruire la partie manquante, et 1971, projection sur papier coloré d’une mono-diapositive. Le monde de Maude Maris (Chimères, toile, 2015), peuplé de formes, de couleurs irréelles, et de paysages figés dans l’espace et le temps, conclut le parcours de l’exposition.

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

Vue de l’exposition à la Cité Internationale des Arts (Site de Montmartre) © Mathieu Buard

C’est seulement à la fin que l’on peut comprendre ce qu’ « Outrage » doit représenter à nos yeux : outrage est l’être à la limite, outrage est l’irrésolution généralisée, c’est l’attentat à l’espace, la rupture et l’excès, outrage est l’imposition d’une expérience transitive où les œuvres sont disposées dans l’espace sans aucune règle apparente. Outrage est un ensemble de créations qui ne dialoguent pas entre elles, mais également une collection de pièces uniques réunies comme dans un cabinet d’amateur et qui font de ces œuvres un vrai trésor.

Valentina Alessia Parisio

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