« Ukraine Extra-ordinaire » – Slow Galerie

Exposition du 16 au 30 avril 2015

La Slow galerie est une jeune galerie, spécialisée dans les arts graphiques et implantée depuis février 2014 dans une ancienne pharmacie. Un nom et un emplacement qui se prêtent parfaitement au lieu : proclamée être un espace où l’art peut soigner vos maux, la Slow galerie (galerie lente en anglais) invite à la relaxation. Spacieuse, très éclairée, on y trouve une première pièce de vente de sérigraphies, de dessins et de gravures. Une seconde pièce fait office de salle d’exposition et de salon de thé. Les hauts murs blancs sont presque entièrement recouverts de cadres ; très loin du white cube, l’endroit est chaleureux, agrémenté de plantes vertes et de mobilier en bois. Les visiteurs peuvent s’y reposer, boire un café et admirer l’exposition en cours. La décoration est sobre, lumineuse et se rapproche de la tendance scandinave en vogue. Un lieu de détente et de jouissance de l’art, en somme. C’est pourquoi il est surprenant d’y voir s’y installer durant le mois d’avril des artistes underground ukrainiens extrêmement engagés politiquement dont le discours secoue le calme apparent de l’espace.

VUE D’EXPOSITION, SLOW GALERIE 2015

Revenons un peu sur l’histoire : le conflit ukrainien éclate en 2013 alors que le gouvernement décide de se désengager de l’accord d’association avec l’Union Européenne, en préparation depuis des mois. Les populations de classe moyenne, voyant arriver un rapprochement avec la Russie, savent qu’elles n’auront plus leur place dans ce gouvernement en devenir. De violentes manifestations éclatent sur la dorénavant fameuse place Maïdan et ne cesseront que plusieurs semaines après, avec la fuite du président Viktor Ianoukovytch, laissant derrière elles plus de quatre-vingts morts. La violence du conflit au sein du pays appelle beaucoup d’artistes qui s’investissent et créent. Pour débattre, pour dénoncer, pour se rappeler et surtout inciter à la réflexion.

Olexa Mann, Yvan Semesyuk, Kristina Yarock, Iulia Nosar et les frères Braty, exposés à la Slow Galerie, font partie de ces dissidents. L’exposition « Ukraine Extra-ordinaire » rassemble ces six artistes le temps du mois d’avril dans le cadre du festival « Ukraine, Scène libre ». Le projet est né de la rencontre entre le commissaire Ukrainien Oleg Sosnov et les Français Aurélie Pollet et Michael Prigent. Avec la révolution de Maïdan et, depuis peu, la guerre civile opposant les pro-Russes et les loyalistes Ukrainiens, on entend beaucoup parler de ce pays d’Europe de l’Est. Les propos sont sombres, concentrés sur ces violences. En Occident, les médias nous renvoient une image dure et lointaine de ce pays. Les commissaires de l’exposition désirent mettre en lumière le bouillonnement culturel du pays qui a tendance à être ignoré.

VUE D’EXPOSITION, SLOW GALERIE, 2015

Ces jeunes artistes livrent leur vision très personnelle du conflit de leur pays d’origine. Dessins, collages, peinture, gravure et broderies, des techniques aussi diversifiées que leurs univers. Les yeux du visiteur se posent assez instinctivement sur les broderies d’Yvan Semesyuk. La forme légère, celle de cette technique traditionnelle de l’Ukraine, rappelle les livres pour enfants, ludiques et légers. Cependant, les animaux qu’ils représentent portent l’habit militaire, épinglé du blason de l’organisation nationaliste ukrainien ou encore drapé des couleurs jaunes et bleues de l’Ukraine. Armés, banderistes (partisans nationalistes de Stephen Bandera, le héros ukrainien à la gloire très controversée qui a libéré le pays du joug polonais lors de la Seconde Guerre mondiale), ses personnages pourtant enfantins semblent issus d’un mauvais rêve, traumatisme bien ancré dans l’identité du peuple. Autour, les collages des jumeaux Braty et les gravures de Kristina Yarock réconcilient les populations ukrainiennes, entre tradition et modernité, et illustrent leur culture populaire. Enfin, les illustrations au crayon de Iulia Nosar d’une sobriété et d’une simplicité déconcertante rappellent l’efficacité du dessin de presse contestataire.

Très peu de texte accompagne l’exposition, outre les brèves présentations des artistes. Le sujet de l’exposition, et notamment les satires dessinées de Iulia Nosar, dénonce les discours imposés, le contrôle des esprits. L’exposition silencieuse laisse la possibilité d’analyser et élaborer son propre discours. Cette manière de n’imposer par aucun mot l’interprétation des travaux est en accord avec l’idéologie des artistes.

IVAN SEMESUYK, CHACUN VOIT LA VICTOIRE DIFFÉREMMENT, ACRYLIQUE, 60X90CM, 2013

L’ensemble des travaux exposés semble jeter un regard ironique sur les événements ukrainiens. L’ambiance douce de la galerie crée une parfaite cassure entre la réalité de la situation et le ton de l’exposition. Le visiteur est invité à s’asseoir, admirer et cependant garder une certaine distance entre la gravité de la réalité et de ce havre de paix surréaliste. On sent les artistes rire jaune de ce contraste saisissant.

VUE D’EXPOSITION, SLOW GALERIE, 2015

Et tandis qu’on observe de loin le conflit au travers des yeux de ces jeunes créateurs, l’horreur nous surplombe : La Rage Populaire, Le Dieu de la Révolution, le Nouveau Moyen-Âge d’Olexa Mann, peintures posées en hauteur, dominent la galerie. Le rouge, le noir, la violence cauchemardesque, les corps déformés de monstres de la guerre sont ce qui surmonte et survit aux interprétations des cinq autres.

Anaëlle Villard

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