Benjamin Renoux : la métamorphose du Moi

Entrer dans l’univers de Benjamin Renoux c’est accepter d’en ressortir déboussolé. Dans un face à face avec des bribes de son passé ou de celui d’un autre, anonyme, représenté par de vieilles photos de famille, l’artiste nous renvoie au nôtre et plus directement à nous-mêmes.

Arrivé tout droit de Londres, où il vit et possède un atelier, l’artiste a été sélectionné parmi les 3 000 candidatures reçues pour le Salon de Montrouge. Jouant sur la matérialité multiple de la pratique artistique, il semble échapper à toute catégorisation. En passant de photos-vidéos, à la sculpture tout en peignant, l’artiste creuse des possibilités plastiques tout aussi étranges et singulières les unes que les autres.

Installation de l'exposition de Benjamin Renoux au 60ème Salon de Montrouge (vue d'exposition) © Benjamin Renoux

Installation de l’exposition de Benjamin Renoux au 60e Salon de Montrouge (vue d’exposition) © Benjamin Renoux

 

Lorsque l’on observe de loin l’espace de Benjamin Renoux, notre œil est immédiatement attiré par une imposante pièce en bois, finement travaillée, encadrant la photo ancienne en noir et blanc d’une femme de profil. La jeune femme semble en train de parler, capturée dans son élan. Une ombre bouge, se superpose à ce buste élégamment figé en action. Rien d’étonnant, les visiteurs sont nombreux en cet après-midi de vernissage, on s’approche pour contempler mieux cette femme, en espérant que les reflets de l’agitation environnante disparaissent. C’est alors que l’on réalise que cette ombre mouvante est celle d’un jeune homme, semblant répondre à la femme.

En exposant la photographie et son reflet filmé dans un moment passé, l’artiste cherche à questionner le statut de la photographie elle-même. Ce procédé, qu’il utilise en filmant un « instant de vie » de la photo, comme le nomme l’artiste, donne une âme à l’œuvre et change notre regard sur ce médium artistique. Le visiteur, si habitué à observer son propre reflet lorsqu’il contemple une œuvre à la surface de verre, est alors surpris de se voir effacé face à la photo. Joli clin d’œil à des références d’histoire de l’art telles que Narcisse ou Méduse, Benjamin Renoux trompe la vision que nous avons de l’objet artistique.

Son travail s’imprègne de la théorie dite de la « phase du miroir » développée par le psychanalyste Lacan. Ce dernier avance l’idée que le bébé entre six et dix-huit mois apprend à se reconnaître dans un miroir et prend alors conscience qu’il est un tout. C’est en voyant notre reflet que nous accédons à la construction de notre Moi. L’artiste, ici, provoque le visiteur en effaçant ce jeu de miroir habituellement expérimenté, il gomme son identité afin de ne laisser paraître que celle de la photographie. Les quatre autres photographies exposées répondent au même procédé vidéo, mais cette fois en petit format, exprimant quelque chose de plus intime. Les reflets, qu’ils soient des corps nus en action, des fenêtres ou des néons, dansent sur la surface de la photo telle des spectres fantomatiques.Tout est suggéré, l’artiste laisse le public s’approprier ses œuvres. Tout le monde possède ce genre de vieilles photos de famille, enfouies dans quelques lieux cachés, oubliés ou sacralisés. Chacun peut identifier son histoire face à la multitude de celles présentées dans l’espace.

Au centre du dispositif, on contourne une sculpture de béton, sur laquelle sont apposées deux longues photographies, représentant un homme nu allongé. Intrigués par ce corps blanc, endormi tel un gisant, notre œil fait des allers-retours entre la sculpture et  les photographies au mur, cherchant un lien. Avec pour titre L’invasion, la sculpture nous interpelle, nous dérange presque comparé à l’harmonie de l’accrochage qui la surplombe. Le corps semble étouffé, pris au piège par le béton de la sculpture, un bloc divisant les deux images.

 

Benjamin Renoux, L'invasion, 2015 (vue d'exposition) © Benjamin Renoux

Benjamin Renoux, L’invasion, 2015 (vue d’exposition) © Benjamin Renoux

 

En face, on discerne la petite photographie vers laquelle ce corps athlétique et blême est tourné : Conversation #16 (Cité de Hatra en Irak avant sa destruction en mars 2015, Néon). Apparaissant et disparaissant au rythme du néon déficient, la cité irakienne d’Hatra, détruite par les islamistes en mars dernier, semble renaître perpétuellement de ses cendres. La vision est angoissante, soutenue par cet enchaînement tel des pulsations saccadées qui plongent pour quelques secondes la photo dans la nuit.

 

 

Benjamin Renoux nous secoue et interroge nos expériences, nos souvenirs, nos vies. La précision et l’esthétique sombre de son travail fonctionnent à la perfection dans ce voyage temporel au plus profond de l’être.

 

Mona Prudhomme

 

[Pour en découvrir plus sur l’univers artistique de Benjamin Renoux : son site internet]

 

 

 

 

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