« Une promenade sans but » avec Lionel Estève

« I wandered lonely as a cloud / That floats on high o’er vales and hills, / When all at once I saw a crowd, / A host, of golden daffodils; / Beside the lake, beneath the trees, / Fluttering and dancing in the breeze ». Le poète anglais William Wordsworth écrivit ces vers en 1804 s’inspirant d’une promenade avec sa sœur le long d’un champ de jonquilles près du lac Ullswater. Frappé par le mouvement des fleurs caressées par le vent, il avait fait de cette approche lyrique de la Nature le noyau central de sa démarche poétique.

En montant les escaliers de la galerie Perrotin pour rejoindre l’exposition de Lionel Estève au premier étage (18 avril – 30 mai 2015), cette strophe résonne dans l’air. Sur le dos du carton d’exposition, une photographie prise par l’artiste au parc impérial de Tokyo : une verdure luxuriante, un lac, des arbres aux feuilles verdoyantes qui se reflètent dans l’eau. « A Wander » raconte une balade solitaire, une « promenade sans but » au sens Romantique, une rencontre entre le « je » et la Nature.

Lionel Estève, Le collier, 2015, bulbes de pavot dorés, fil, 27 x 17 x 3 cm. © Martina Furno

Lionel Estève, Le collier, 2015, bulbes de pavot dorés, fil, 27 x 17 x 3 cm. © Martina Furno

Dans la première salle, deux grands paysages en peinture acrylique sur verre nous accueillent. Traits secs et anguleux se transforment en branches d’arbres, les taches de rose forment les fleurs, le bleu représente le ciel, le jaune le soleil. La technique pointilliste évoque les jeux d’enfants, ainsi que le Collier de fleurs de pavot séchées et dorées à la feuille rappelle l’artisanat et les activités créatives proposées à l’école ; au centre de la salle, une plume suspendue au plafond, presque invisible, tourbillonne, simulant la brise.

Lionel Estève, Sans titre, 2015. peinture acrylique sur verre, encadrement, 206 x 156 cm. © Martina Furno

Lionel Estève, Sans titre, 2015. peinture acrylique sur verre, encadrement, 206 x 156 cm. © Martina Furno

Dans la salle suivante, six peintures réalisées sur un support insolite, fait de plantes pressées, blanchies et puis vernies à l’aquarelle, nous entourent. L’atmosphère se charge de mystère. Avec ses couleurs pures et foncées, les Papiers de Toscane ne veulent pas décrire la végétation de la région italienne, mais plutôt nous mettre dans les mêmes conditions qu’un voyageur au milieu d’une clairière, face à une nature puissante et inaccessible. Le rapport avec la Nature est réinterprété par l’artiste lyonnais comme un contact personnel et direct, une recherche intérieure, une trame complexe. On se plonge dans cette entité vivante, conscients des mots de Baudelaire : « La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles; / L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers ». Dans ce lieu sacré, on perd notre identité en s’abandonnant à l’extase et au ravissement ; on arrive à percevoir cette « correspondance » secrète avec tout ce qui nous entoure si bien que « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».

Vue panoramique de l'exposition de Lionel Estève, « A Wander», 18 avril - 30 mai 2015, Galerie Perrotin, Paris, salle 2. Lionel Estève, série Papiers de Toscane, 2015, plantes pressées, aquarelle, encadrement, dimensions variables. © Martina Furno

Vue panoramique de l’exposition de Lionel Estève, « A Wander», 18 avril – 30 mai 2015, Galerie Perrotin, Paris, salle 2. © Martina Furno

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Lionel Estève, Papiers de Toscane, 2015, plantes pressées, aquarelle, encadrement, 144 x 194 cm. © Martina Furno

On poursuit ce chemin de flâneurs vers la troisième salle où des aquarelles en grand format se succèdent sur les murs. Des prismes aux bords bariolés, si légers qu’on doit se rapprocher pour les distinguer, se détachent à peine du fond blanc comme des bulles de savon. En bas une frise de plantes séchées, encore une fois dorées à la feuille, parcourt la salle au même titre que des marqueteries dans le chœur d’une église. La feuille d’or, matériau précieux dans la peinture, confirme la valeur de richesse conférée à la Nature en tant qu’espace de liberté et d’imagination. Dans ce lieu d’alchimie créative l’artiste réfléchit, expérimente, improvise et s’improvise.

Vue de l'exposition. Lionel Estève, Sans titre, série de 7 œuvres uniques, aquarelle sur papier, encadrement, 173 x 123 cm.  Lionel Estève, Sans titre, série de 58 œuvres uniques, plantes dorées à la feuille d'or, verre, 40 x 30 cm. © Martina Furno

Vue de l’exposition, salle 3.
Lionel Estève, Sans titre, 2015, série de 7 œuvres uniques, aquarelle sur papier, encadrement, 173 x 123 cm.
Lionel Estève, Sans titre, 2015, série de 58 œuvres uniques, plantes dorées à la feuille d’or, verre, 40 x 30 cm. © Martina Furno

Le chemin se termine dans la dernière salle où un véritable herbier de plantes séchées semble flotter sur les murs blancs. Ce collage se compose des fleurs et des feuillages des arbres les plus divers. Grands, petits, certains minuscules, certains aux proportions géantes. Un mur entier est occupé par une pluie de trèfles, Normal Luck. Le monde végétal – un paradis perdu – est si présent qu’on peut le respirer.

Lionel Estève, Normal Luck, 2015, installation de plantes dorées à la feuille d'or. © Martina Furno

Lionel Estève, Normal Luck, 2015, installation de plantes dorées à la feuille d’or, dimensions variables. © Martina Furno

Lionel Estève, dans sa rencontre avec la nature de la Drôme ou de la Toscane, réalise un appel silencieux : la création, artistique ou pas, devient authentique à partir du moment où l’on abandonne notre forme première – le « je » – pour s’immerger dans une vie odorante, dans le flux vital qui, comme un magma, s’écoule dans la rêverie.

 Martina Furno

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