« Let’s Build a Home » : Claire Trotignon à la Galerie de Roussan

« Let’s build a home » est la première exposition personnelle de Claire Trotignon à la Galerie de Roussan (du 14 mars au 2 mai 2015), réalisée avec le soutien du CNAP, aide à la première exposition. Diplômée de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Tours en 2008, l’artiste développe une pratique artistique s’articulant autour de la notion d’espace à travers l’architecture, le paysage et la cartographie. Son travail a été présenté, entre autres, au Centre d’art Le Transpalette à Bourges, au 57e Salon de Montrouge ainsi qu’au Centre Pompidou Metz.

Vue de l'exposition "Let's build home" de Claire Trotignon (14 mars - 22 mai 2015) à la Galerie de Roussan

Vue de l’exposition de Claire Trotignon « Let’s build a home », Galerie de Roussan, du 14 mars au 2 mai 2015, Paris, France. © Galerie de Roussan

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Vue de l’exposition. © Galerie de Roussan

À la recherche d’un dialogue avec le passé, elle s’appuie sur les premières théories mathématiques de la perspective apparaissant à Florence au début du 15e siècle avec le De Pictura de Leon Battista Alberti et sur les idées politiques, religieuses et philosophiques associées. Cette influence n’est pas cachée dans le parcours d’exposition : on rencontre en premier des maquettes construites en balsa, de hautes tours aux murs très fins. Les triangulations rappellent les édicules des premières expérimentations sur la troisième dimension dans les fresques de Giotto à Assise ou dans l’architecture fragile du Bon Gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti à Sienne. Le concept de « commensuratio » permettait à l’homme de la Renaissance de se mesurer à l’architecture dans toute sa rigueur mathématique avec la construction d’un lieu fonctionnel. Claire Trotignon procède de ce même concept pour bouleverser les règles selon son « imaginarium », dans lequel le passé s’entrechoque avec le présent, anéantissant tout repère spatio-temporel. Sur le fil du rapport entre le plan et le volume, elle questionne les codes du réel à travers les jeux formels qu’on retrouve dans ses œuvres. Collages, dessins, sérigraphies : les médiums qu’elle emploie favorisent la création d’espaces qui dénaturent la notion d’échelle et mettent en cause la certitude de la perception du spectateur.

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Claire Trotignon, Les surfaces reposantes, 2015, sérigraphie rehaussée à l’aquarelle contrecollée sur un plateau de jeu, 66×52 cm. © Galerie de Roussan

À partir du flyer de l’exposition, qui se déploie en volume comme l’œuvre Les surfaces reposantes réalisées sur un plateau de jeu, on s’immerge dans les paysages fictifs qu’elle transporte sur le papier en assemblant des fragments de gravures anciennes. Minutieusement taillés, rayés et retravaillés ces prismes en deux dimensions se mêlent aux coupures de papier jauni pour dessiner une cartographie de l’histoire de l’art avec une délicatesse et une légèreté exceptionnelles, évoquées également par le titre de l’exposition inspiré d’une chanson des Whites Stripes. Morceaux de rochers, de végétation et de nuages sont collés les uns aux autres, presque imperceptiblement, offrant à voir un paysage idyllique et flottant dans l’espace comme celui des Relèves sécantes, fait d’îlots inconnus, falaises abruptes et roches escarpées.

Claire Trotignon, Les relèves sécantes, 2015, collage de gravures et sérigraphies, 180x126 cm. Claire Trotignon, Les surfaces reposantes, 2015, sérigraphie rehaussée à l'aquarelle contrecollée sur un plateau de jeu, 66x52 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, Les relèves sécantes, 2015, collage de gravures et sérigraphies, 180×126 cm. © Galerie de Roussan

Nous sommes amenés à une réflexion sur le sublime et sur la perception face à la grandeur de la Nature, à la fois dominante et inaccessible, où l’homme n’y apparaît que par son action : l’architecture. Dans Leurs étais et dans Nos abîmes inclinées, l’artiste inscrit dans le paysage des fragments de bâtiments utopiques de type moderniste, s’adressant directement au spectateur : comme un voyageur errant, l’homme se retrouve face à un lieu qui l’entraîne à penser à lui-même face à l’infinitude de la Nature. La ruine y joue un rôle essentiel, puisqu’elle permet d’ouvrir un temps nouveau pour s’interroger sur le système des représentations contemporaines. La fascination pour les sciences de la perspective et de la mesure du Cinquecento trouve son équilibre dans une tension – que nous n’hésiterons pas à qualifier de romantique – entre l’architecture et la nature, entre la vie civilisée et la vie sauvage. « Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l’homme, sont rentrées dans la nature » écrivait Albert Camus à propos des Noces entre les ruines de la ville romaine de Tipasa et la mer d’Algérie. Claire Trotignon nous incite à nous plonger dans ce paradis perdu qu’est la nature pour rechercher une sorte d’accord entre notre soupir et le soupir du monde.

Claire Trotignon, Leurs étais, 2015, collage de gravures, 50x70 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, Leurs étais, 2015, collage de gravures, 50×70 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, Nos abîmes inclinées, 2015, collage de gravures, 40x50 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, Nos abîmes inclinées, 2015, collage de gravures, 40×50 cm. © Galerie de Roussan

La série Private Place révèle quelque chose de cosmique et d’universel. Les architectures qu’elle dessine, remplies de morceaux de gravures, rappellent les jardins à la française et les architectures utopistes du 18e siècle, où le contraste entre le vide et le plein cherche son équilibre comme dans un jardin oriental. Des théâtres, des piscines, des arcs, des escaliers : ces projections laissent libre cours à notre imagination. Ce sont des lieux trompeurs, comme ceux qu’elle invente à partir de vieilles cartes postales, pour la plupart utilisées. Elle les superpose au même titre qu’une séquence du cinéma. Dans A Little River, A Great Dam, A Beautiful Lake les lieux et les atmosphères se mélangent, laissant place aux souvenirs et aux mémoires : paysages éphémères et impalpables où l’accès n’est qu’une illusion…

Claire Trotignon, Private place - Entrance, 2015, collage de gravure et dessin, 30x40 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, Private Place – Entrance, 2015, collage de gravures et dessin, 30×40 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, A Little River, A Great Dam, A Beautiful Lake 4, 2015, Collage cartes postales, 23x29 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, A Little River, A Great Dam, A Beautiful Lake 4, 2015, Collage cartes postales, 23×29 cm. © Galerie de Roussan

Dans son « archéologie contemporaine », on ne peut que regarder les traces d’une action passée et d’une destruction future : elle nous projette vers la fin d’une ère – celle de l’utopie moderniste – où les ruines, ces signes du temps, sont englouties par quelque chose de plus grand qu’elles. Ses œuvres sont percevables comme des sortes d’évènements ou d’expériences : des Explosions qu’elle réalise sur papier à partir de minuscules restes du découpage précédent. Ces nuages atomiques, dont l’un est transposé sur la structure d’un retable, sont de vraies métaphores de l’homme du 21e siècle, fragmenté et impuissant. Une sorte de nostalgie ou d’inévitable fatalité ?

Claire Trotignon, Retable, 2015, collage de gravures, bois, plexiglass, bois laqué, dimensions variables env 150x150x7 cm. © Galerie de Roussan

Claire Trotignon, Retable, 2015, collage de gravures, bois, plexiglass, bois laqué, dimensions variables env 150x150x7 cm. © Galerie de Roussan

Avec une clarté de propos et un accent de lyrisme, Claire Trotignon nous parle d’un espace souvent oublié. Nous empêchant de penser à l’espace comme une étendue physique où les objets sont caractérisés par une position et une stabilité propres, les lieux qu’elle imagine et projette sur le papier nous rappellent une nature mouvante et instable : c’est l’espace qui dépasse la troisième dimension, c’est le temps fluide de l’homme et de l’histoire.

Martina Furno

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