Clément Balcon – Entretien

 Entretien avec Clément Balcon, réalisé le vendredi 13 mars 2015 à Paris.

Clément Balcon vient d’être sélectionné pour le Salon de Montrouge qui se tiendra du 05 mai au 03 juin 2015 à Paris. Il y présentera un triptyque de trois dessins. À cette occasion, j’ai pu le rencontrer dans l’appartement de sa grand-mère et l’interroger sur sa pratique, ses souvenirs, son parcours et son quotidien d’artiste. Entre sérigraphie, dessin et Picsou Magazine, voici l’entrevue avec l’artiste Clément Balcon. 

  • Vous avez réalisé votre première exposition collective à 20 ans en 2006, au Brésil. C’est une belle entrée en matière. Pouvez-vous nous parler de cette exposition et surtout de la pièce que vous y avez présentée ?

J’ai réalisé cette exposition lorsque j’étais en première année des Beaux-Arts de Paris et ce, dans le cadre d’un atelier. Dans un premier temps, il faut savoir que les ateliers des Écoles des Beaux-Arts reposent sur un système très libre où toutes les promotions sont confondues, mais pour rentrer dans l’atelier de notre choix, le chef d’atelier doit d’abord nous accepter ; parfois des voyages sont organisés dans le monde. Pour ma part, je suivais l’atelier de pratique multimédia, enseigné par Jackie Chriqui. À vrai dire, je suis un peu tombé dans cet atelier par hasard. Même si je pratiquais déjà beaucoup le dessin et la B.D., j’avais envie d’aborder de nouvelles pratiques artistiques.

Pour en revenir au voyage, nous étions tout d’abord un groupe de 4 à partir, puis 5 à la fin lorsqu’une autre personne nous a rejoints. Nous sommes donc partis au Brésil avec comme point de départ le film Fitzcarraldo de Werner Herzog. Ce film raconte comment un homme, passionné de chant lyrique et d’opéra va entreprendre la construction d’un bateau-opéra lui permettant de voguer sur le fleuve Amazone et d’y faire chanter Enrico Caruso, son idole ainsi que Sarah Bernhardt. Nous avons nous-mêmes vogué sur un bateau durant un mois sur le Rio Negro avant de descendre l’Amazone. Le bateau nous servait d’atelier et ce temps de navigation fut consacré à la conception et la création d’œuvres en vue d’une exposition sur le port de Belém, notre destination finale. J’ai finalement présenté un travail lié à la B.D., une vingtaine de dessins en noir et blanc réalisés sur des planches de cartons de dix mètres de haut et qui reprenaient des mythologies locales.

  • Quand avez-vous découvert la pratique de la sérigraphie ?

J’ai découvert la sérigraphie en deuxième année des Beaux-Arts, mais j’ai véritablement commencé une pratique en troisième année avec l’intégration du pôle impression-édition, dans l’atelier de Wernher Bouwens. J’ai commencé par apprendre la lithographie, l’offset puis la sérigraphie. Cet atelier m’a permis de travailler le format de l’édition et j’ai pu m’atteler à la réalisation de quelques livres. Par la suite, je me suis spécialisé dans ce pôle et suis même devenu moniteur d’atelier.

  • À présent la sérigraphie est une pratique récurrente et même majeure dans votre travail plastique. Quelles furent vos premières impressions par rapport à cette technique et son évolution dans votre travail ?

J’ai vraiment commencé mon travail sur la sérigraphie en l’intégrant dans la technique et le format du livre. Ce fut une manière pour moi de réaliser que les livres ne sont pas que des supports, mais peuvent être l’objet même de l’œuvre. Mon premier objet en tant que tel fut la reprise de la tragédie Shakespearienne Othello comme un feuilleton sous forme de revue. Le sujet principal porte sur la relation de couple d’Othello et de Desdémone. Dans le livre, l’image d’Othello est altérée jusqu’à sa disparition totale comme gangrénée par la jalousie qui le ronge sourdement. Bien entendu, pour ce projet la technique est autant importante que le sujet, puisqu’il s’agit de faire passer un message par cette technique, en l’occurrence la disparition progressive de l’image d’Othello. Pour ce faire, j’ai utilisé la technique de l’Offset, une technique entre la lithographie et la sérigraphie. Ce projet fut véritablement révélateur pour moi dans le fait de faire porter un message par la technique, la pratique de l’estampe n’étant pas juste de la photocopie de luxe ! Elle est à la fois l’image originelle, et a de ce fait un statut quasi sacré, mais se doit également d’être dépassée, de perdre ce statut lors de l’impression. Ce second acte de création, cette forme de renaissance de l’image annule sa vie antérieure, et la transforme.

  • Pour l’exposition au Salon de Montrouge, vous comptez pourtant présenter des dessins. À quelle fréquence dessinez-vous dans votre quotidien ? Et est-ce en grande quantité ?

 Je dessine énormément ! Mais j’ai une technique de production très lente et fastidieuse. C’est d’ailleurs pour cela que je suis revenu à des formats plus petits pour des questions de temps. Pourtant je veux absolument que mes personnages soient à l’échelle 1, car ce qui m’intéresse serait le rapport humain à mes dessins. Il y a également un rapport au décor de théâtre dans les fonds d’images afin que le spectateur sente qu’il en fait lui-même partie.

  • Que dessiniez-vous lorsque vous étiez enfant ?

 Des B.D. ! J’ai beaucoup été influencé par celles de Carl Barks et je dessinais moi-même des personnages en animaux. Même si rien de très palpitant ne se passait, mes personnages interagissaient les uns avec les autres dans un monde que je contrôlais. Je pense que ce fut un déclic important dans ma jeunesse. Particulièrement dans le fait de se réapproprier un patrimoine avec un univers enfantin et pouvoir parler de choses sérieuses. Ce fut également le cas avec la découverte de l’Association et de Spiegelman, qui connectaient une B.D. enfantine animalière avec des sujets plus graves.

  • De ce que j’ai pu voir de votre travail, votre pratique oscille entre sérigraphie, dessins, bandes dessinées (scénario) et publications. Mais dans les publications et la sérigraphie il y a du dessin, dans le dessin il y a de la narration comme dans la B.D. C’est en somme des matières et des matériaux qui se croisent, se rencontrent et se complètent. Qu’est-ce qui ressort et se dégage majoritairement de votre travail actuellement ? Et est-ce que vous jouez vous-même de ces connexions ?

Il y a tout d’abord eu une rupture radicale lorsque j’ai quitté les Beaux-Arts. J’ai arrêté de faire des livres d’art ainsi que la partie narrative de façon nette pour faire de l’image unique. Aux Beaux-Arts, j’accordais une grande importance à la narration et maintenant, je suis presque devenu peintre. Ce n’est que très récemment que je me suis remis à la B.D. et au dessin libre. Je suis donc revenu à mes premiers amours avec la narration et à un rapport à la temporalité.

Par rapport à mon travail d’artiste, je travaille toujours à partir de films et d’arrêts sur image. Les séries de mes dessins sur les baisers sont tirées de films pornographiques. Entre chaque image, il y a un décalage qui correspond au film, de quelques millièmes de seconde. Il y aurait presque quelque chose de l’ordre de la pellicule dans mon travail et il est vrai de dire que le cinéma m’influence énormément avec ses questions de rythmique, de narration et de temporalité.

  • Il y a un travail que j’aimerai particulièrement aborder avec vous. Il s’agit de la B.D Les sœurs Constantine. Une bande dessinée mise en ligne par épisode. Parlez-nous de ce projet.

 Ce projet est un travail un peu spécial. Pour des questions professionnelles, j’avais même hésité à publier la B.D. sous un pseudo. Je ne savais pas si mon travail de plasticien devait être associé à mon travail de dessinateur de bande dessinée. Avec ce projet, il s’agissait surtout de revenir à l’idée du feuilleton et de la narration, en somme à mes premiers amours.

Concernant la B.D, j’ai repris ici une technique de décalquage. Tout est tiré de photographies et de dessins que j’ai d’abord décalqués puis agencé entre eux sur l’ordinateur.

(…) Pourquoi ce décalquage ?

 Je me suis rendu compte que dans le monde de la bande dessinée, il faut sans cesse faire évoluer son dessin dans la quête d’un idéal de perfection ou d’originalité de style. Avec la technique du décalquage, il s’agissait de perdre mon style, de travailler avec quelque chose qui n’est plus à moi et d’y concéder une économie de moyens. Il y a là quelque chose de très mécanique où l’artiste devient une sorte de machine et dont l’enjeu est de perdre ce qui en ferait son identité, mon identité. C’est un procédé assez libérateur, car en perdant son identité, on perd ses influences dans une certaine pauvreté du dessin. Tout cela fait écho à la question de la fascination esthétique ainsi qu’à celle de la beauté des images. C’est quelque chose que j’interroge et que je questionne dans tous mes travaux.

  • Vous avez déjà pensé à un format d’édition/livre d’artiste ?

 Oui, j’y ai déjà pensé, mais ce serait quelque chose de très complexe à réaliser. La mise en page de la B.D. des Sœurs Constantine a vraiment été pensée pour un format web, dans un processus de déroulement de la page infinie. Mais cela ne m’a pas empêché de me poser la question. Si cela devait un jour être réalisé, il faudrait que le format reprenne ce même principe, à savoir l’idée d’une édition en rouleau.

  • L’histoire débute par l’interrogatoire d’un personnage qui décrit l’intérieur d’un appartement. Apparemment « tout était beau chez elle ». Puis on découvre que ce personnage est représenté par un crocodile. En fait, tous les personnages masculins sont des animaux humanisés. Il y aurait presque une dimension qui se rapprocherait des œuvres de Jean de la Fontaine, aussi bien dans cette effigie que dans l’ambiance, mais d’une manière contemporaine. J’ai également pensé à la B.D Blacksad de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido. Est-ce que vous avez d’autres références ou inspirations par rapport à votre travail ?

J’ai toujours été fasciné par le monde animalier et il est certain que c’est quelque chose qui doit se ressentir dans ces dessins. Les animaux n’ont pas vraiment d’expression, ils sont impassibles, c’est comme s’ils portaient un masque. Ceci est d’ailleurs d’autant plus saisissant chez les oiseaux et les reptiles. Pour les personnages masculins et le crocodile, c’est toujours la même tête que je leur ai dessinée, à partir du décalquage d’une photographie de cet animal. On en revient à la pratique du masque comme quelque chose d’iconique et de l’ordre du masque symbolique qui ne change jamais d’expression. Cette B.D se compose donc d’une matrice, d’un modèle unique et ceci diffère de la B.D Blacksad dont le style « Disney » vise à humaniser au maximum chaque personnage à travers tout le spectre des émotions humaines, ce qui au final va à l’encontre de ce que je veux faire.

  • Quels sont tes rapports et ta sensibilité par rapport à ton quotidien ? Plus intimement, comment te définirais-tu en tant que personne et en tant qu’artiste ?

Dans la vie, je pense que j’essaie le plus possible d’être spectateur des choses… et d’avoir un rapport au monde d’observateur. On pourrait dire que voir et observer le monde m’intéresse plus que d’en être actif.

Après, il est vrai que ma pratique, qui me prend pratiquement tout mon temps, me conforte presque dans une position de « moine copiste » et de solitaire. En tant que personne, j’ai un rapport lent, laborieux et presque pénible avec ma pratique artistique.

Et il y a toujours ce rapport au cinéma, très présent dans ma vie d’où en découle une certaine contemplation… comme des captures de vie filmées.

 

  • Enfin pour terminer, pouvez-vous me parler précisément de l’œuvre que vous allez présenter pour le Salon de Montrouge et de son aspect technique ? Votre travail découle d’une technique très particulière. Pouvez-vous nous expliquer sa spécificité ?

Pour le Salon de Montrouge, je vais présenter mon travail sur la série des Baisers et qui est un travail de quadrichromie dessiné. Mais tout d’abord, il faut que je raconte comment j’en suis arrivé à cette pratique. À ma sortie des Beaux-Arts, je n’avais pas encore d’atelier de sérigraphie et ne pouvais donc pas travailler comme je le voulais à mes idées de projet. Il me fallait trouver une alternative. C’est ainsi que, fidèle à mon attrait pour le décalquage et son aspect mécanique, j’ai eu envie d’appliquer la technique de la quadrichromie à mon dessin.

La quadrichromie est connue comme étant un procédé d’imprimerie qui permet de reproduire le spectre colorimétrique à partir des 3 couleurs primaires (cyan, magenta et jaune) et du noir pour dessiner les points de trames qui composent une image. En somme, une technique d’impression qui permet la superposition de la trame pour une illusion de la photographie, donc du réel.

(…) Comme les affiches dans le métro ? Lorsque l’on regarde de très près, on ne voit que des points de trames de ces 4 couleurs, parfois superposés.

Exactement ! C’est une pratique qui est au cœur de la sérigraphie quand on est en photographie. Pour en arriver à ce résultat, il faut passer par plusieurs étapes :

Dans un premier temps, il faut sélectionner une image. Dans la série des Baisers, ce ne sont que des images tirées de films. Avec Photoshop, je transforme l’image en quadri, c’est-à-dire que je sépare mon image en quatre couches de couleurs distinctes (cyan, magenta, jaune et noir). Je décalque ensuite chaque couche de couleur l’une après l’autre en les superposant. Cette étape ne peut se faire sans une table lumineuse et doit donc être réalisée dans le noir.

Au final, ce travail implique en quelque sorte de se transformer soi-même en imprimante dans la réalisation de cette œuvre qui se situe entre photographie et dessin. Est-ce du dessin ? Est-ce de l’impression ?… Le statut de l’œuvre est étrange.

Dans mes dernières productions, j’intègre une sorte de gribouillage dans l’image. Certaines images ne sont d’ailleurs même pas complètement terminées volontairement. Ce dérapage peut être vu comme une perte de contrôle, un enrayement de la machine, une saturation explosive… qui a bien sûr un aspect très sexuel dans ces images qui sont toutes à la frontière entre le décent et l’indécent. C’est comme si la machine, l’imprimante, se cassait. Il y a une perte de contrôle et ce côté-là est extrêmement intéressant à explorer. On peut également y voir une référence au mouvement expressionniste dans l’absence de raison, de maîtrise et de contrôle de l’artiste. Soit il reproduit mécaniquement, soit il dérape de façon incontrôlée, dans les deux cas il met de côté sa faculté de jugement. Dans ce cas-là, l’artiste n’est plus tant que ça une machine.

Au Salon de Montrouge, c’est une série de trois dessins que je vais présenter et qui seront à prendre ensemble et séparément à la fois : Y a plein d’orPlein de lilasEt des yeux pour les voir. Les titres de ces dessins sont inspirés de la chanson Les amants de Paris d’Édith Piaf. Les dessins doivent être vu comme un triptyque, d’une dimension de 70/100 centimètres. Enfin, j’ai choisi ces images pour le rapport au corps et au mouvement des deux personnages qui sont représentés sachant que chaque baiser est tiré d’une scène d’un film pornographique. Ce qui m’intéressait vraiment c’était de saisir ce moment d’abandon à quelque chose d’assez romantique et de finalement totalement classique.

 

Propos recueillis par Marcy Petit.

 

 

One thought on “Clément Balcon – Entretien

  1. Pingback: Le romantisme pornographique de Clément Balcon — Le Tag Parfait

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.