Ismaïl Bahri, « Film à blanc », Galerie Les filles du Calvaire, 20.03 > 25.04

En attente de développement…

Pour sa seconde exposition personnelle à la galerie les Filles du Calvaire, « Film à blanc », l’artiste franco-tunisien Ismaïl Bahri investit l’espace avec plusieurs installations vidéos. Les films ont tous été réalisés en Tunisie alors qu’il effectuait en parallèle une résidence de production à l’Espace Khiasma. L’artiste aborde au fil des œuvres présentées le dispositif cinématographique ainsi que la lecture d’un événement.

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L’entrée dans l’exposition est frontale. Un triptyque de vidéos (Eclipses) nous accueille, dévoilant le procédé utilisé par l’artiste pour ses différentes pièces. Il recourt ici à une simple feuille de papier blanc, découpée aux dimensions 4/3, qu’il fixe sur l’objectif de sa caméra au moyen de fils de fer. Ainsi, le champ de vision de l’appareil est partiellement obstrué. Seules des bribes de paysages apparaissent lorsque le papier se soulève, soumis aux aléas du vent. Questionnant le monde qui l’entoure à travers ce geste simple, Ismaïl Bahri attire notre attention sur les marges de l’écran. En retournant la fonction de la caméra, celle de donner à voir, il interroge la lecture cinématographique habituelle où le décor tient une place secondaire. Ici, les contours de la scène, les épiphénomènes, deviennent le sujet du film.

Le papier blanc est à la fois un écran, un obstacle mais il est aussi un révélateur. Lorsque le papier remonte et qu’il intègre le paysage, il devient une échelle de la réalité. Cela permet également au regardeur de découvrir une partie de la scène filmée, de détenir des indices, lui permettant d’imaginer un contexte global. Cependant, l’attitude de l’artiste est assez paradoxale. Dans un sens il se rapproche de la pratique documentaire en allant sur le terrain, en focalisant son travail sur un lieu spécifique, Tunis. Il recueille des parcelles de son voyage et de la vie des Tunisiens pour nous les faire partager. Il capture autant des paysages, des habitants (Eclipses) que la mer à perte de vue (Chants). Toutefois, en choisissant d’entraver la vision du spectateur il le pousse à faire intervenir son imagination pour reconstruire une scène grâce aux fragments de réel dont il dispose.

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Parfois, la scène disparaît totalement ou presque, et seule une surface unie reste visible (Eclipses, Chants, Percées). Cet aplat blanc rappelle le format de la pellicule de cinéma, attendant d’être développée et de dévoiler son contenu. L’analogie est peut-être d’autant plus frappante dans la dernière pièce de l’exposition où un une vidéo, Film à blanc , est diffusée dans un black cube recréant l’atmosphère d’une salle de cinéma. La vidéo diffuse une manifestation dans le centre de Tunis, se déroulant derrière un cache blanc cette fois-ci scotché sur l’objectif. L’événement est donc sous-entendu par les quelques centimètres restant entre les contours de l’objectif et les limites du papier. L’artiste signifie finalement plus la scène par son absence que par son contenu réel.

Par ce va-et-vient, d’apparition et de disparition de l’image, le spectateur est mis dans une position de voyeur. Ce processus crée une intrigue, un désir irrépressible de découvrir ce que l’on pressent mais que l’on ne peut pas totalement visualiser. Avec l’installation Percées située au premier étage, le dispositif prend toute son ampleur. L’oeuvre, composée d’une série de vidéos passant en boucle, reprend le même procédé mais la feuille blanche couvre cette fois-ci la totalité de l’objectif lorsque le papier est rabattu. Des parcelles de lumière surviennent par à coups, guidant le visiteur dans la salle. Ainsi cette projection, semblable à une myriade de fenêtres sur le monde, établit tout de même une distance avec le visiteur. La réalité apparaît lointaine, comme si nous l’observions à travers des persiennes.

Sans titre3            Cette œuvre rentre en confrontation avec les commentaires qui émanent de la vidéo sonore Focale (2013). Cette dernière, constituée de 5 vidéos sonores en boucle, diffuse simultanément la traduction des dialogues sur un mur de la pièce. Elle illustre les différentes discussions échangées entre l’artiste et des habitants de Tunis alors qu’il était en train de filmer dans la ville. Des individus viennent à lui, interpellés par son matériel et son mode opératoire. Ils le questionnent : « Je voulais comprendre à quoi sert cette feuille ! ». Au-delà de la curiosité, les échanges tournent rapidement à la confession. Ils livrent leurs impressions sur la situation du pays, leur quotidien. Ces commentaires sont une adresse directe au spectateur. Elles marque une rupture avec la douceur des paysages fantasmés du Maghreb (Percées) et laissent se révéler l’envers du décor. La fascination qu’exerce ces paroles est seulement possible par le rythme irrégulier d’apparition des images, qui ne happe pas notre regard, pourtant si conditionné à être charmé par des éléments visuels au quotidien.

Grâce à une scénographie minimaliste et efficace, l’exposition respecte le fil rouge des œuvres de Ismaïl Bahri. Alors que son travail va à la rencontre du monde réel, l’artiste évite de tomber dans l’art engagé, produisant plutôt des médias révélateurs de son environnement.

 

– Julia Gomila

 

Oeuvres

Ismaïl Bahri, Eclipses, 2013, Triptyque en boucle, Vidéo HD, 16/9, 15’13 ».

Ismaïl Bahri, Chants (Déclin), 2015, Ensemble de 6 vidéos en boucle, vidéo HD, 16/9, durées variables.

Ismaïl Bahri, Focale, 2014, Série de 5 vidéos sonores, Durée variable, 16/9.

Ismaïl Bahri, Percées, 2014, Vidéo HD couleur, 16/9, Insonore, Lecture en boucle.

Ismaïl Bahri, Film à blanc, 2013, Série présentée en ensemble de 3, 5 ou 6 vidéos nécessairement, Vidéos en boucle, Vidéos sd, 4/3, Durées variables.

 

 

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