« Ce que j’ai vu n’existe plus »

« Ce que j’ai vu n’existe plus », et pour cause, il s’agit dans l’exposition personnelle de Thomas Tronel-Gauthier à la Galerie 22,48 m² de rencontrer les traces d’actes par essence absents, d’actes qui ont généré des formes avant de s’éteindre.

TRONEL-Gauthier-gallery-shot-1TTG_CQJVNP_2248_02  Vues de l’exposition de Thomas Tronel-Gauthier, « CE QUE J’AI VU N’EXISTE PLUS », Galerie 22,48 m², du 29/01 au 28/02/2015, Paris, France.

Thomas Tronel-Gauthier est un artiste français qui vit et travaille à Paris. Néanmoins, on peut le qualifier d’artiste globe-trotteur, car il nourrit son travail de nombreux voyages, proches ou lointains, déambulant sur les plages du Havre comme sur celles des Îles Marquises. Il rapporte de ses pérégrinations des morceaux de paysage, savamment prélevés par l’expérimentation des possibles de la matière. Il se fait tour à tour chimiste et plasticien, en déployant par exemple des litres de résine sur des bancs de sable découverts par les marées, afin d’en capturer l’empreinte. Ces moulages effectués nécessairement sur la nature, portent ainsi la trace d’un temps, celui du séchage direct, mais aussi d’un corps, puisqu’ils sont réalisés en fonction de celui de l’artiste, dans le but notamment de ne pas risquer de repartir bredouille. En effet, la prise est longue. Tel un proto-photographe, aux méthodes d’un scientifique bricoleur, l’artiste fait de sa matière le révélateur en négatif du paysage. Il capte une image qui se façonne naturellement en objet.

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Thomas Tronel Gauthier, The Last Piece of Wasteland #32014, Résine teintée, 121 cm x 98 cm.

Face aux pièces de la série The Last Piece of Wasteland ou de celle nommée Territoire, véritables fragments de plage figés dans la résine, aux ondulations poétiques et sensuelles, nous observons « une image en acte », fixée par la matière dans le temps. Reprenant les propos de Georges Didi-Huberman, nous comprenons ici la Ressemblance par contact transformant l’empreinte en une trace immémoriale. L’image n’est plus la fenêtre ouverte par Alberti, mais un pas en avant de la matière vers le regardeur. Elle semble même, par le mouvement suggéré d’ondulation, fuir vers lui et l’emporter dans son maelstrom. Les images ici élevées au rang de sculptures tout en étant des formes opérantes du « ça a été » de Roland Barthes, demeurent également des formes potentielles. L’artiste propose avec cette série de bas reliefs, accrochés au mur ou disposés au sol, de rendre possibles des territoires par fragments. Chaque lambeau de paysage se fait une invitation à la dérive, sur les mers de notre imaginaire, ou parfois sur des sols aux évocations lunaires. Retravaillées en atelier, ces sculptures deviennent parfois anachroniques, on pense en effet à des images de comètes, à un voyage que Jules Verne n’aurait pas renié, partant de Vingt mille lieues sous les mers pour atteindre la lune.

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Thomas Tronel-Gauthier, Récif d’éponges (capita vitium)2010, Porcelaine blanche, 25 cm x 47 cm x 41 cm.VUE DE L’EXPOSITION, « CE QUE J’AI VU N’EXISTE PLUS », GALERIE 22,48 M².

Ces moulages côtoient une autre sculpture sur laquelle notre regard se heurte. Il s’agit d’un récif d’éponges blanches qui semble bien fragile. Lors de la réalisation de cette pièce, l’artiste a enduit de porcelaine les éponges récoltées lors de divers voyages. Après séchage et cuisson, il découvre cette sculpture à la précision extrême, mais dont le support d’origine a totalement disparu, réduit en cendre. Il ne reste plus que cette coquille vide, autre duplicata du réel. Comme l’indique Rosalind Krauss, « la duplication projette l’original dans le domaine de la différence du différé et du bourgeonnement des multiples à l’intérieur de l’un ». Dans l’œuvre de Thomas Tronel-Gauthier, les empreintes sont certes des traces avérées de la réalité, mais le plus souvent elles sont transformées, modifiées, altérées. Ainsi tout en conservant l’essence d’une potentielle reproductibilité, il nie concrètement celle-ci pour rendre ces sculptures uniques.

Au-delà des sculptures, l’artiste s’interroge d’une autre manière sur l’empreinte et les principes de la morphogenèse. Cet ensemble de lois qui structure la formation de tout organisme, bien qu’étudié par de nombreux scientifiques reste en partie un mystère. Thomas Tronel-Gauthier en fait la base de fascinantes peintures monochromes dévoilant des rhizomes en formes de racines, de végétation, ou même d’organe. Ces toiles, dont un tondo bleu outremer trône en maître dans l’exposition, dévoilent un aspect haptique de la peinture. On ressent le toucher, et là encore la matière qui tout en étant indéniablement figée semble nourrir une envie d’évolution.

TTG_CQJVNP_2248_14LesOracles8VUE DE L’EXPOSITION DE THOMAS TRONEL-GAUTHIER, « CE QUE J’AI VU N’EXISTE PLUS », GALERIE 22,48 M², DU 29/01 AU 28/02/2015, PARIS, FRANCE.
Thomas Tronel-Gauthier, Les Oracles2012 – 2013, série de gravures sur nacres de l’archipel des Tuamotu (Pacifique), socles en laiton soudés à l’argent, dimensions variables

Les matériaux choisis le sont dans la mesure d’une réflexion contigüe sur le sujet qu’il traite et les moyens techniques de le rendre effectif. Ainsi ses recherches, lors de sa résidence aux Îles Marquises en 2012, l’ont conduit à travailler la technique traditionnelle de la gravure sur nacre. Il a alors souhaité tracer sur des huitres perlières de Polynésie des champignons atomiques, afin de rappeler un passé proche dans lequel cette région fut désignée pour des essais nucléaires français. Devant ces coquilles gravées, nommées Oracles, on se demande comme l’exprime l’artiste, si on « est face à une image d’archive à jamais gravée dans les sédimentations d’une faune marine encore très impactée par l’histoire, ou bien à la prophétie d’un inquiétant futur où l’histoire pourrait être amenée à se reproduire ? »

« Ce que j’ai vu n’existe plus », car les œuvres de Thomas Tronel-Gauthier restent les promesses d’un passé perdu et d’un avenir qui se génère sur les cendres de celui-ci.

T.F.

D’autres informations sur le site de la Galerie 22,48 m² 

Et sur le site de Thomas Tronel-Gauthier 

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