Outrage manifeste

à propos du cycle d’expositions « Outrage », commissariat de Mathieu Buard. « Outrage, premier coup », Cité internationale des arts de Montmartre, 11/04/2015. Et « Jeune Prédation #3 : Outrage, premier contre-coup », Galerie Jeune Création, 15/04 et 16/04/2015.

IMG_6719-2VUES DE L’EXPOSITION  À LA CITÉ INTERNATIONALE DES ARTS (SITE DE MONTMARTRE). © T.F. 

L’exposition à volets multiples, conçue par Mathieu Buard, sur une invitation du G8 (cycle d’expositions codirigées par Océane Ragoucy et Sylvain Couzinet-Jacques), est une proposition en prise directe avec les réflexions curatoriales actuelles. « Outrage » réfléchit les formats de l’exposition et l’envie pour un jeune commissaire de remettre en cause les pratiques établies notamment celles en actes dans les White-Cubes. Cette proposition, qui va évoluer sur plusieurs mois, a vu naître un premier coup, puis un premier contrecoup, telle l’affirmation d’un manifeste sur une approche dite « outrageuse » de l’exposition. L’outrage est ici à entendre dans ce qu’elle suppose des limites de la représentation, mais aussi de présentation des œuvres dans le cadre d’une exposition. Il s’agit d’expérimenter ses possibles, de jouer des codes en les renversant, d’oublier les règles d’usages de l’espacement, par exemple, pour mieux interroger les rapprochements. Comment coexistent ainsi des œuvres d’univers multiples sur une même cimaise ? Quels dialogues se font jour dans l’accumulation des œuvres ? Quelles confrontations tendent à naître de l’accrochage resserré ? 

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VUES DE L’EXPOSITION À LA CITÉ INTERNATIONALE DES ARTS (SITE DE MONTMARTRE). © T.F.

Le « premier coup » s’ouvre pour une journée dans un atelier de la Cité internationale des arts de Montmartre. L’atelier, par essence lieu de réflexions et d’expérimentations créatives, n’est pas transformé en lieu d’exposition classique, mais se pare d’une exposition dont il devient un support actif. En effet, les toiles, photographies, installations ou vidéos sont disposées avec attention, prenant appui sur les volumes généraux et les recoins de la pièce avec toutes leurs contraintes. Certaines œuvres deviennent quasi inaccessibles, observables de loin par le regard ; d’autres au contraire se dressent en parois à dépasser, mais dont l’échelle 1 induit une proximité (Gabriel Méo). L’ensemble rappelle à la fois un cabinet de curiosités, avec son lot d’étrangetés, de collages d’objets primaires et de toiles empaquetées (Antoine Donzeaud), de tableaux aux traits de crayons de couleur délirants (Raul Illarramendi) ou à la nostalgie prégnante (Eva Nielsen). L’accent repose sur l’image picturale. Nous parlons ici d’images de peintures plus que de médium, car qu’il s’agisse d’un tableau peint, d’une projection ou d’une photographie, l’ensemble parle inexorablement de l’acte de peindre dans une certaine forme d’abstraction. Mathieu Buard confie en ce sens son attachement à une zone floue du regard, à un moment où la focalisation est nécessaire et en même temps déjouée par l’accumulation.

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VUES DE L’EXPOSITION À LA CITÉ INTERNATIONALE DES ARTS (SITE DE MONTMARTRE). © T.F.

Nous découvrons la pensée du commissaire avec les œuvres. Elles déterminent un champ d’investigation de la création émergente, tendu entre des pratiques plus ou moins confirmées. Nous nous attardons ainsi sur l’œuvre Lolo de Mimosa Echard, un pan de textile ajouré à la couleur passée. Elle devient un rideau fané dont la partie inférieure commence à être rongée. Deux murs enserrent cette œuvre en exposant une mosaïque d’œuvres. Plus loin, nous dépassons une image surdimensionnée posée verticalement au sol. Gabriel Méo repeint, ici, ironiquement l’une des dents d’une bouche à la fois drôle et effrayante. Au-delà de cette pièce, nous entrons dans un espace intimiste où une photographie poétique et abstraite de Sylvain Couzinet-Jacques côtoie un amoncellement de petites roches peintes par Maud Maris. Enfin, à côté, une projection de diapositives de Ludovic Sauvage présente des paysages dont le centre a été découpé et évidé en forme de soleil géant. Cette sélection, non exhaustive, témoigne d’une esthétique globale qui tout en se nourrissant de la diversité, a su faire transparaître le panorama d’une imagerie en déclin, dirigée vers un degré certain d’abstraction. 

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VUES DE L’EXPOSITION À LA CITÉ INTERNATIONALE DES ARTS (SITE DE MONTMARTRE). © T.F.

Le commissaire a pensé son exposition tel un collectionneur fictif, assemblant à son gré les œuvres, choisissant les confrontations et les ruptures. Réfléchissant au principe de la collection d’œuvres d’art, il pense alors le terme d’outrage dans le dépassement de la singularité de telle ou telle pièce. Les tableaux ne se détachent plus sur une cimaise blanche, mais font partie d’un ensemble multiforme conduit par l’arbitraire. En effet, un collectionneur crée dans son chez-soi un corpus singulier, outrepassant paradoxalement l’unicité de chaque acquisition. Un tel accrochage offre donc une réflexion tautologique, plutôt qu’une extrapolation autour d’une œuvre. C’est alors à l’œil de l’observateur attentif d’extraire les singularités, tout en considérant ce qui unit le tout. Les discours se croisent afin d’en produire de nouveaux. Toutefois, ces nouvelles formes de langage n’altèrent en rien celles dont elles proviennent. Il s’agit finalement d’accepter l’outrage comme acte manifeste d’une nouvelle fabrique d’expositions. 

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Vue de l’exposition à la galerie Jeune Création. © Mathieu Buard

L’un des principes de cette pensée curatoriale se base sur un potentiel de réactivation et de transformation. Ainsi, l’aspect arbitraire des choix de la première occurrence du projet est contrebalancé par la refonte de l’exposition, en contrecoup, à la galerie Jeune Création. Dans cette seconde étape, les œuvres résonnent d’une autre manière. Là où dans la première exposition leur juxtaposition rejouait l’intérieur intimiste d’un collectionneur imaginaire, ici, l’espace plus restreint fait plutôt penser à une réserve d’œuvres d’art. Les deux propositions ne s’annulent pas, au contraire, elles se complètent en dévoilant la contextualisation de chacune des expositions, leurs évolution, redites ou écarts. Le commissaire remet donc adroitement en cause ses premiers choix, affirmant la possibilité d’une réécriture tout en interrogeant ses limites. 

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