« Un mural, des tableaux »

Avec l’exposition « Un mural, des tableaux », qui a lieu du 22 Novembre 2014 au 22 Mars 2015, le Plateau, ou FRAC île-de-france, présente exclusivement de la peinture, au sens classique du terme, acrylique, gouache ou huile. Xavier Franceschi, commissaire de l’exposition, a choisi de montrer les peintures récemment acquises par le Frac île-de-France de 13 artistes ou groupes d’artistes réparties dans 13 salles.

Premier mur avant d’entrer dans l’exposition. L’inscription suivante : ST, C#2, DTD, SPS2E8, TDRTS, M4, PCT, UPE, AST103, U(MWM), M, A9FB, PAF, AEP, C604, 751-R/752-NR, ST, FS, une ligne, puis, sous la ligne, PM062.

Ce langage codé interpelle. Est-ce un code ? Est-ce une énigme ? Cette exposition est-elle une énigme ? La visite commence donc dans une abstraction mathématique ; la mathématique est une logique ; elle est irréfutable.

On entre dans la première salle. Cette dernière abrite une œuvre (sans-titre) de Denis Castellas composée de deux surfaces monochromes, en apparence, et d’un personnage robotisé, C3PO, vedette du film La guerre des étoiles. En observant ces deux surfaces colorées, les monochromes, on peut apercevoir, en transparence, d’un côté un paysage, et de l’autre côté, un très grand portrait de Rembrandt. Le paysage et le portrait sont cachés sous les monochromes, mais les traits sont perceptibles. Les objets transformés, paysage et portrait, ne sont pas au centre du questionnement de l’artiste ; c’est le processus qui est mis en avant, comme un mouvement permanent d’apparition et de disparition de la peinture. De part et d’autre de cette œuvre, des lignes diversement colorées se déploient. Nous ne sommes plus seulement face à l’œuvre de Denis Castellas mais face à une seconde œuvre, celle de Stéphane Dafflon : PM062.

PM062

PM062

PM062 est une œuvre mais aussi l’intitulé d’un protocole. Ce mot signifie à la fois un ensemble de règles de bienséance mais également un ensemble de règles définissant une opération complexe. Protocole est donc à double sens. Le premier sens est pris au mot par le commissaire d’exposition, qui structure ainsi l’exposition. Ce protocole est un véritable dispositif qui vise parfois à encadrer les œuvres. Notre regard est ainsi guidé, porté dans les différentes salles Le second sens protocolaire nous apparaît alors : un ensemble de règles définissant une opération complexe. Ces peintures forment un tout difficilement interprétable. Le protocole est là : tout est agencé intelligemment et forme une opération complexe. On verrait donc une tentative de résoudre l’énigme même du protocole, au sens général : comment effacer la complexité d’un contenant pour faire apparaître l’évidence du contenu ?

Jean-Luc Leblanc, Miranda 4, 2012, Huile sur toile et  Un peu étroit, 2014, Huile sur toile Entourées de PM062

Jean-Luc Leblanc,
Miranda 4, 2012,
Huile sur toile
et
Un peu étroit, 2014,
Huile sur toile
Entourées de PM062

Les tracés du protocole sont effectués à partir de règles bien précises émises par l’artiste. Les couleurs utilisées s’accordent parfois avec les œuvres, ce qui peut donner l’impression de la présence d’un seul et même artiste par salle (pour les toiles et le protocole). Mais ce n’est pas toujours le cas et cela souligne la présence presque évidente de deux artistes et de deux démarches. Chaque salle n’est donc pas espace de présentation d’un seul artiste, mais bien d’un artiste qui fait écho à un second, Stéphane Dafflon.

Dans les salles suivantes, je découvre les œuvres d’artistes qui travaillent sur le pixel et l’illusion d’optique. Une artiste s’intéresse au Rock et à la musique en général en représentant des installations préexistantes réalisées par d’autres artistes. D’un point de vue global, les œuvres nous donnent à voir différentes techniques picturales : Transparence, recouvrement, ponçage, raclure, flou, pointillisme. On trouve aussi toutes formes de reproduction d’images. Il y a donc une certaine ambiguïté entre la place laissée au blanc par le protocole et ces œuvres basées sur une accumulation d’images.

En effet, la plupart des œuvres à tendance figurative exposées sont des reproductions d’images préexistantes souvent trouvées sur internet, dans des magazines, etc. et n’ont donc finalement, et majoritairement, aucune valeur réelle aux yeux des artistes.
Des images sans valeur, issues d’univers inconnus, d’un contexte inconnu, d’un auteur inconnu, n’ont pas grand intérêt à être reproduites. Reproduire des images déjà existantes dans un monde où les images fusent en abondance, a peut-être un but, celui de recyclage de l’image. Il s’agit donc d’une exposition qui évoque la reproductibilité des images, en ce qui concerne les œuvres plus figuratives, mais qui, ne la questionne pas vraiment. Qu’est-ce que cela implique de reproduire une image préexistante trouvée dans un magazine, (qui n’a pas vraiment d’intérêt), et de la transformer en œuvre d’art, se l’approprier, en devenir l’auteur, dans un monde où il y a déjà trop d’images (de magazines sans intérêt) ? Pourquoi ? En quoi cette modification est importante pour les artistes ? Que vise-t-elle si elle vise quelque chose ?

Sans trouver de réponse concrète, nous poursuivons la visite. Enfin, une rencontre avec des univers poétiques. Le travail de Johannes Kahrs, Untitled (man with Mask) est la représentation d’un homme de face portant un masque. La posture qu’il adopte est assez intrigante. Les couleurs utilisées ainsi que la technique du flou ont la capacité de provoquer un trouble, un questionnement, mais dégagent une grande sensibilité et poésie. Soulignons également les peintures de Nina Childress, proches de la photographie, qui basculent la vision qu’on a, au premier abord, d’une scène qui, finalement, nous échappe.

PM062

PM062

L’exposition collective présente donc un défi de taille : exposer le collectif. Autrement dit, exposer différents points de vue artistiques et faire coexister des formes parfois contradictoires dans leur rapport à l’espace. En ce sens, la tentative du Frac île-de-france est réussie. Le collectif, dont il est question, ne se résout pas dans un choix d’artistes qui se ressemblent. Là est le point d’orgue de cette exposition : elle est collective dans sa globalité, mais les tableaux ne se fondent pas dans une vision unique de l’art contemporain. De différents formats, conçues selon des méthodes et avec des matériaux multiples, les œuvres ne sont pas attendues et surprennent parfois par leur singularité. Il s’agit de faire coïncider les univers artistiques, de chercher les frottements entre les différentes propositions et, au final, d’éviter la pensée unique. Cette pensée si dangereuse pour l’art de manière générale. L’exposition au plateau pose la différence fondamentale entre unicité et unité.

ST, C#2, DTD, SPS2E8, TDRTS, M4, PCT, UPE, AST103, U(MWM), M, A9FB, PAF, AEP, C604, 751-R/752-NR, ST, FS, une ligne, puis, sous la ligne, PM062. Le langage codé d’une exposition collective d’œuvres uniques unies par un protocole.

Janice Szczypawka

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