Passions secrètes : Quand des collections « privées » se retrouvent exposées au « public »

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Affiche de l’exposition  Passions Secrètes 

 

 » Passions secrètes  » c’est l’histoire d’une commissaire d’exposition, Caroline David, qui décide d’aller à la rencontre de 18 collectionneurs flamants, qui vont généreusement prêter 140 œuvres pour réaliser une exposition gigantesque avec l’aide de lille3000. À travers une déambulation dans un espace de 6000 m²  composant le Tripostal (centre d’art contemporain reconnu sur Lille), les visiteurs sont invités à découvrir la femme, qui n’est apparemment pas assez exposée ; l’Amérique, dont nous ne parlons jamais assez ; et un jeu de miroir, comme si nous ne nous regardions pas assez ; cela des  années 70 à aujourd’hui. Un parcours certes impressionnant, mais pas original pour autant….

L’idée de réunir des œuvres de collections privées n’est pas mauvaise, au contraire, qui sont ces acheteurs qui remplissent les caisses du marché de l’art contemporain ? Que collectionnent-ils de si exceptionnel ? Nous sommes si curieux ! Mettez-les sur le devant de la scène, montrez-nous leur fortune !

Être passionné de femmes, du rêve américain et de son propre reflet est-ce si secret ? Passions secrètes propose ici des thèmes récurrents n’ayant rien de bien secret, ces stéréotypes sont agaçants. Mais si les collectionneurs aiment les sujets épidémiques alors nous n’allons pas contredire les propos curatoriaux, c’est exceptionnel !

La femme collectionnée, qu’est ce que c’est?

L’exposition commence par le thème de la femme dans l’art contemporain. Un sujet déjà très identifié et très thématique, mais sans doute le plus intéressant des trois. Dès l’entrée nous sommes séduits par les vidéos Nus intimes de Lili Dujourie qui présentent sur plusieurs moniteurs des vidéos de femmes. Un côté érotique et provocant ressort de ces belles images en noir et blanc. Dès ce premier espace l’atmosphère est sous tension, un certain visage de la femme est donné.

Jan Van Oost, La veuve noire

Jan Van Oost, La veuve noire

L’araignée de Louise Bourgeois y tient toute sa place. Cette sculpture en bronze symbolise le mythe d’Arachné dans lequel une jeune fille talentueuse dans l’art du tissage se réincarne en araignée ; allégorie fréquemment utilisée pour représenter l’image de la maternité, de la femme. On poursuit cette référence à l’araignée par la sculpture de Jan Van Oost La Veuve noire qui nous parle ici de mort (l’araignée venimeuse, la femme qui assassine). Cette sculpture très réaliste invite le visiteur à se questionner à savoir si c’est une performance, personne réelle ou non ? Elle représente une jeune femme allongée, habillée tout en noir, repliée sur elle-même et tournée vers le mur, prostrée pour mieux échapper aux regards.

Louise Bourgeois, Maman

Louise Bourgeois, Maman

Les représentations faites de la femme sont assez obscures et inquiétantes et c’est aussi la meilleure partie de l’exposition, celle qui invite à l’émotion, à la sensibilité, à la réflexion. Cette ambiance de début sur l’expression de l’intime autour de la femme est très réussie. Et soudainement sont exposés le Madonna de Bettina Rheims,  une image de Marilyn Monroe  de Mimmo Rotella ou encore un sosie d’Elizabeth Taylor de Paul McCarthy et tout s’écroule ! Les œuvres ne communiquent pas, elles proposent une diversité de femmes qui, ensemble, déservent les propos curatoriaux. 

 

Oh miroir, mon beau miroir dis moi qui est le plus riche ?  

ELMGREEN & DRAGSET Marriage, 2004

ELMGREEN & DRAGSET, Marriage

En bas des marches du premier étage, la section sur les miroirs est introduite par Marriage de Elmgreen & Dragset. Un objet du quotidien devient un objet d’art, apporte des éléments scopiques, une manière de dire que le spectateur est lui même en train de se voir à travers la collection, ce qui n’est pas inintéressant, mais c’est, encore une fois, mal posé. On trouve des miroirs par-ci par-là, on a du Daniel Buren,  Robert Barry, Olafur Eliasson, Jim Hodges… Mais au milieu de cet amas de collections, ces œuvres perdent sens. Heureusement parmi tout cela des exceptions : l’installation Rectangle inside ¾ cylinder  de Dan Graham. Arrivé à cette œuvre enfin ça échange, ça joue !  Dan Graham joue sur l’utilisation de l’espace et du reflet, joue la transparence et la mise en abyme. Il se sert de différents verres, miroirs, glaces qui vont tantôt réfléchir, tantôt flouter les silhouettes. Rectangle inside ¾ cylinder invite les visiteurs à participer autant intérieurement qu’extérieurement et ça marche, cette œuvre éveille l’appétit en plein milieu de cette exposition où commençait l’indigestion.

Dan Graham, Rectangle inside ¾ cylinder

Dan Graham, Rectangle inside ¾ cylinder

Américanisons nous !

On poursuit le parcours et puis ça devient flou, on monte encore en haut, c’est vaguement américain. On arrive à ressentir les mouvements new-yorkais des années 60-70 dans les œuvres de Joseph Beuys, Matthew Day

Tony Ourslet, Eyes

Tony Ourslet, Eyes

Jackson ou encore Sam Durant. Et puis il y a l’Amérique et ses symboles avec des fragments de la statue de la Liberté de Danh Vo, un ensemble de clichés scato-cacao de Paul McCarthy … Cette série sur le rêve américain est de trop, trop bling-bling, trop consommation, trop section « Américanisons nous » à maison du monde. Mais merci à Tony Ousler et son oeil qui vient critiquer cette société de consommation et dénonce le pouvoir américain : Big Brother vous regarde !

 

La question posée  » comment refléter les passions des collectionneurs ?  » n’est pas entretenue. On ne ressent ni la passion ni le secret. Le pari de réunir des collectionneurs, d’exposer leurs œuvres, mêler le privé au public est réussi. Mais l’échange, l’émotion, le partage entre les collectionneurs et le public dont nous parlait la commissaire d’exposition, où est-il ? Le seul moment sur ces deux heures trente d’exposition où les collectionneurs invitent le public dans leur « collection intime » c’est par l’œuvre spectaculaire de Wim Delvoye, Trophy représentant un couple de cerfs en train de faire l’amour en missionnaire. Le visiteur voit la photographie de Gauthier Delblonde, à qui il a été demandé pour l’événement de réaliser des photographies où l’on aperçoit les œuvres exposées in situ, on se rend compte que Trophy est dans un coin de couloir entouré de différentes choses. On a alors le lien avec les propos du curateur, on imagine l’intérieur du collectionneur et sa vision. Cela fait partager au visiteur le regard des collectionneurs ! Mais l’ensemble ne fonctionne pas pour autant, dans le reste de l’exposition on a plus une impression de m’as-tu-vu ?

Photographie Gauthier Delblonde

Photographie Gauthier Delblonde

 

Wim Delvoye, Trophy

Wim Delvoye, Trophy

 

 

 

 

 

 

 

D’après les propos de Caroline David, l’exposition est conçue comme un jeu de domino où une œuvre en entraîne une autre. Mais le parcours est mal rythmé, on a de la peine à critiquer l’exposition, car il y a de très belles œuvres, mais les critiques ne visent pas les œuvres mais la manière dont elles sont amenées, elles ne tiennent pas ensemble. Cette exposition donne le tournis, perd le visiteur face à cette diversité d’œuvres. D’autant plus que les cartels mal placés rendent difficile la lecture des œuvres : quelle œuvre correspond à quoi ?

Alors certes, c’est une exposition spectaculaire, c’est un gigantesque inventaire, tout est énorme, monumental, il y a tout de même une montgolfière dans une pièce !  Il faut l’avouer, cette exposition  mérite d’avoir la générosité des découvertes, des bons artistes. Cette exposition est riche, très riche même, certainement comme le sont ses collectionneurs… Alors  oui il faut aller visiter cette exposition pour voir certaines œuvres, mais non l’exposition pour  » l’exposition « . 

 

Kris MARTIN T.Y.F.F.S.H.

Kris MARTIN T.Y.F.F.S.H.

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